Du 27 juin au 10 août 1916 et du 21 août au 30 août 1916 : Séjour au Fayet  
Du 10 août au 20 août 1916 : Voyage en Suisse
par Léonie Fine

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Carte du voyage en Suisse  - Les moyens de transport - L'année 1916 en France

     

Photo
1er rang : Edouard, Léonie
2nd rang : Benjamin, Clotilde

1916 - Carnets (n°18 et 19) rédigés par Léonie Fine (agée de 63 ans) relatant :

- un séjour effectué au Fayet, par Léonie, avec Benjamin, Minette, Madeleine, Claire et ses 4 enfants, Sœur Jules, Jeanne (notre cuisinière), Germaine (notre femme de chambre).

- un voyage effectué en Suisse par Léonie et Benjamin.

 


Les participants (d'après une photo de 1922) : Benjamin et Léonie Salles, leur fille Claire Salles-Perrin et ses 4 enfants Ginette, Eugène, Jean, Jules et leurs cousines, Minette et Madeleine Fine, qui sont les enfants de Gabrielle Salles-Fine, sœur de Claire.


Claire Salles-Perrin (1855)

Ginette Perrin (1910)

Eugène Perrin (1910)

Jean Perrin (1912)

Jules Perrin
(1913)

Minette Fine (1906)

Madeleine Fine (1909)

 

Mardi 27 Juin 1916    départ de Marseille en train

          A 9 h ½ du soir départ de la campagne, Benjamin, Sœur Jules, Minette, Madeleine et moi avec Jeanne et Germaine, notre cuisinière et notre femme de chambre. Marthe et Yvonne sont désolées de rester, je le suis encore plus qu'elles ; quant à Madeleine elle pleure toutes les larmes de ses yeux à la pensée de quitter sa mère.
          Nous nous entassons dans notre omnibus trop petit avec nos dix colis sur l'impériale. Départ de la gare à 11 h 25. Seuls tous les cinq dans notre compartiment réservé .          

Mercredi 28 Juin 1916     Arrivée au Fayet      [Carte Fayet]

          La Sœur installe les enfants étendus sur des pliants. Jeanne et Germaine sont en 2de. Jusqu'à Vienne, bon sommeil. A Lyon, trop de temps, 1 h ¾ d'arrêt, toujours de l'encombrement au buffet de la gare. Jusqu'à Bellegarde, rien de remarquable, la route devient jolie, douane assomante : trois malles à ouvrir, puis un à un pour les saufs-conduits. Plus de temps pour déjeûner, avalons un potage, achetons des paniers et vite en wagon ; ce repas dans le train amuse fabuleusement les fillettes ; très joli trajet jusqu'à la Roche-sur-Foron. Changement de train à Anemasse et à la Roche. La route ravissante (pluie à Bellegarde).
Au Fayet jolie surprise, le massif du Mont Blanc entièrement voilé, on aperçoit quelques glaciers. Trajet très court jusqu'à la Sapinière. C'est bas comme je me le figurais, mais la maison petite et jolie, c'est propre et coquet. Installation immédiate, à souper, tout est fini.

Jeudi 29 Juin 1916     Le Fayet

          Les enfants dorment jusqu'à 9 h ½, Sœur Jules les réveille pour les faire déjeûner dans leur lit. Grande correspondance le matin. Le soir au Fayet pour arrêter Grange, le loueur d'auto ; l'attendons en vain pendant une heure devant l'hôtel du Bon Nant.
Nous étions descendus par l'ancien chemin de St Gervais, longeant le chemin à crémaillère du mont Blanc inachevé. Il ne fonctionne plus depuis la guerre. Retour par la grand'route, arrêtons inutilement une auto. Pays très accidenté et boisé. Sœur Jules et les enfants viennent à notre rencontre. Petit adieu à mes petites filles dans leur chambre.

Vendredi du S.C. 30 Juin 1916     Le Fayet

En auto tous les sept à 7 h ½ du matin pour la messe de 8 h au village de St Gervais. Route splendide, ciel radieux, somptueux hôtels au village, la chaîne du Mont Blanc (ou du moins une partie) toute blanche sur le ciel bleu. L'église très humide et froide ; quelques dames en villégiature sont à la messe. Prions le S.C. de toute notre âme pour la France, sa conversion, la chute du gouvernement, le succès de nos armes et l'avilissement de l'Allemagne. En sortant Jeanne fait des achats chez une épicière vendant des légumes verts de toutes sorets. Descente avec Mme Payot dans notre auto. C'est féérique. Matinée dans la salle verte, lecture. Benjamin remonte, accablé, du Fayet où il a été se faire faire la barbe, c'est vendredi le jour où est le coiffeur. Après dîner, y retournons, je fais mes comptes, Benjamin lit, Sœur Jules travaille, les enfants jouent. Avec Mme Payot au hameau des Plagnes, à la chapelle, où est la réserve et où l'on ne dit la messe que le dimanche. La journée a été splendide mais chaude.         

Samedi 1er Juillet 1916     Le Fayet

          Matinée sous le petit pavillon, nous imaginons l'après-midi la terasse bitumée, il y a de l'air. Le ciel si bleu ce matin devient gris, les nuages venant du midi et du nord nous donnent quelques gouttes qui nous font prendre nos parapluies sans les ouvrir pour faire nos achats au Fayet avec Sr Jules et Madeleine. Allons jusqu'à l'établissement des Bains, c'est triste avec un air délabré, lamentable comme si la tragique catastrophe de 1892 eût marqué ce coin de terre de tristesse. Le bel hôtel de Savoie s'élève avec tout le confortable moderne à l'entrée de la gorge des bains et de la montée de la ligne à crémaillère du chemin de fer du Mont Blanc ne fonctionnant plus depuis la guerre. Le chemin des piétons pour le village de St Gervais passe par là ; c'est notre chemin aussi pour la villa. Arrêt sur une banc ; des chèvres et un chevreau broutent par là ; Madeleine leur donne à manger. Distribution des achats à Minette et Madeleine ; elles sont enchantées et reconnaissantes comme si nous leur avions donné tout l'or du Pérou. Le matin Sr Jules avait été à la messe à St Gervais village avec Mme Payot en une ½ heure, c'est très raide parait-il.         

Dimanche 2 Juillet 1916     Le Fayet

          Tous à la messe de 9 h ½ aux Plagnes, c'est la seule et unique à ce petit village, le plus rapproché de chez nous ; ¼ d'heure de marche. Pauvre petite église, presque personne et c'est la seule pour le Fayet et les environs. Le ciel est couvert, le temps lourd. Allons après dîner à la villa au-dessus de la nôtre, inhabitée pour le moment et louée depuis trois ans à une parisienne. Adieux de Mme Payot sur notre petite terrasse, elle repart pour Annecy. Le ciel se charge, c'est l'orage, tonnerres, éclairs, la chaîne des Aravis disparait, pluie serrée ; sur le balcon il nous faut rentrer, trois orages successifs. Benjamin et Madeleine vont entre temps porter nos lettres à la poste. Pour le 1ère fois nous éclairons l'électricité à souper. Une lettre de Gaby nous apprend que Jules est arrivé jeudi ! Heureusement Claire était restée. Après souper Minette et Madeleine redescendent de leur chambre avec les bonnets de nuit de sœur Jules, courbées sur leur canne. Minette, toute tremblotante, les lunettes de Jeanne la cuisinière sur le nez, elles nous donnent la comédie.          

Lundi 3 Juillet 1916     Le Fayet

          Ce matin lecture bien agréable avec Benjamin sur le balcon, tandis que les enfants, sous l'impulsion de la sœur, s'amusent à la balle au sous-sol et dans les jardins, autour des rosiers. La balançoire est installée ; première lessive faite dans la maison.
          Le temps se couvre, il y a de l'air ; nous décidons d'aller tous les cinq au village de St Gervais. Nous suivons la crémaillère du Mont Blanc, faisant des haltes de temps à autre sur des bancs fort bien placés. Cherchons dans les villas, il y en a 150, une pouvant nous convenir. La Bérangère est à noter.
Visite à Mr le curé, il entrait dans son presbytère ; impossible d'obtenir un changement d'heure pour la messe aux Plagnes. Le curé nous indique la villa des Pervenches, elle ne nous convient pas, pas de jardin.
Au pont du Diable, cascades à voir. Rencontre de Mme de Vauplane qui aborde la sœur puis nous : son mari a pris les eaux de St Gervais pour un eczéma et s'en est très bien trouvé. Arrêt à l'église, descente rapide ; au retour les enfants courent, donc pas de fatigue. Dîner sur le balcon, c'est délicieux. Minette et Madeleine bien gentilles ; la sœur les couve des yeux, leur apprend des chansons et 1000 drôleries.          

Mardi 4 Juillet 1916     Le Fayet

Lettre de Naty et de Claire qui arrivera vendredi ; Jules partira quelques heures avant elle. Nous descendons ce soir au Fayet tous les cinq pour chercher des légumes verts et des fruits. Nous en trouvons chez Mme Louis Dufour, après l'école. La coopérative très bien montée pour tout le reste. Remontons par la route de St Gervais ; les enfants s'arrêtent avec la sœur chez la femme aux chèvres. Temps frais et bizarre , soleil, nuages, quelques gouttes. Au souper la sœur nous fait mourir de rire en faisant le canard avec ses deux morceaux de palmes.        

Mercredi 5 Juillet 1916     Le Fayet

          Pluie toute la nuit, elle tombe encore en nous levant, nous sommes dans la brume, elle continue tout le jour ; quand le brouillard se lève nous apercevons que toutes les montagnes environnantes sont de nouveau couvertes de neige, ce qui nous explique le froid que nous ressentons. Les enfants, très sages, s'amusant tout le jour, sœur Jules les occupe constamment.
         Allons avec Benjamin et Minette au Fayet toujours avec la pluie. Nous les faisons travailler : Benjamin fait une dictée à Madeleine et moi à Minette. Dépêche de Jules ; Claire arrivera vendredi.        

Jeudi 6 Juillet 1916     Le Fayet

          10 degrés, la neige est tombée sur tous les sommets, le soleil est resplendissant et on s'y chauffe volontiers. Etre assis à un demi-soleil est le rêve. Madeleine mûrit son rhume que lui a donné Germaine. Benjamin et moi seuls à la promenade, le soleil se voile fort à propos ; par la belle route de Chamonix jusqu'à des chalets où nous prenons le plus joli sentier nous faisant monter aux Plagnes par des pentes pas trop escarpées, tantôt sous bois, tantôt au milieu de vertes prairies ; le faire en sens inverse serait le rêve. Notre promenade dure 2 h. Arrivons à 8 h pour souper. Soirée sur la terrasse au début ; Jeanne, très enrhumée, s'est couchée.

Vendredi 7 Juillet 1916     Le Fayet

          Le temps est couvert, Claire aura moins chaud dans son trajet en chemin de fer. Depuis ce matin Minette et Madeleine parlent de cette arrivée ; voici le moment d'aller en gare ; j'y vais avec Minette et y retrouvons Benjamin. Le train a du retard ; le 1er wagon passe si vite que nous ne les voyons pas ; ils sont tous là ; en auto, tous à la villa, Claire en est enchantée, nous la lui faisons visiter dans les moindres détails. Ma cuisinière ayant la migraine, est couchée, c'est Marie qui la remplace. Pauvre Marthone, elle avait le cœur gros en voyant partir la famille de Claire, elle désirait tant venir.

Samedi 8 Juillet 1916     Le Fayet

Lettres ; on se bat à Déhibat, Xavier est envoyé vers le sud, voilà Gaby encore soucieuse. Temps bizarre, doux, pluvieux ; les enfants s'amusent dans le parterre ou sous le balcon. Ce soir à la chapelle de l'établissement de Bains où Germaine et Marie doivent aller à la messe. Belle nappe d'autel. 3 stations seulement au chemin de croix qui a du être emporté dans le sinistre de 1892. Achats de cannes et de balles aux petits de Claire ; au retour le vol de deux corbeaux, leurs croassements, puis les voir perchés au sommet d'un sapin, les amuse beaucoup. Ma cuisinière a passé sa journée au lit.

Dimanche 9 Juillet 1916     Le Fayet

          En auto à la messe de 8 h ½ avec la sœur et les enfants ; faisons avec Claire le tour de l'église dans le jardin public. Marie et Germaine ont été à la chapelle de l'établissement des bains. Jeanne va à 9 h ½ aux Plagnes. Le temps devient chaud, journée splendide. Les enfants s'amusent tout autour de la maison, puis dans la prairie, courant à la pente ; remontons avec peine au petit pavillon. Sous le gros cerisier air délicieux. Dessous les enfants et les grands. Le soir, tous à l'église des Plagnes, retour par la route, décidément c'est un beau pays. Le soir Germaine renverse sur sœur Jules son assiette de soupe. Clair de lune sur la terrasse.

Lundi 10 Juillet 1916     Le Fayet

          Temps couvert. Messe chantée à 8 h aux Plagnes où nous allons avec la Sœur. Les enfants s'amusent trop à des courses folles, Eugène et Madeleine en sont cramoisis. Le soir, très jolie promenade ; laissons à l'église des Plagnes la Sœur, Claire et Jean ; avec Benjamin, menons Minette, Madeleine, Ginette et Eugène dans la montagne en prenant le chemin surplombant celui descendant sur la route de Chamonix : il est très beau, bordé de fraisiers, tantôt au milieu des prairies, tantôt sous bois, tantôt une vue splendide sur les montagnes et la vallée ! Benjamin aurait continué indéfiniment, il faut revenir. Les enfants s'intéressent à la promenade, ce soir ils cueillent des fleurs pour les déposer sur la tombe d'une petite fille dans le cimetière des Plagnes, je les y trouve tous agenouillés !
          L'autre soir Benjamin parlait de maladie, de mort. Eugène lui dit "Bon papa, il ne faut pas parler de votre mort".

Mardi 11 Juillet 1916     Le Fayet

Minette toute souffrante se lève tard, reste étendue. Elle a trop couru hier et a pris mal ; comme il pleut, dans l'après-midi, au petit salon, elle reste sur le canapé à côté de Benjamin et, après le boston, le premier que fait Sœur Jules, elle va se coucher, tandis que Benjamin et Claire vont au Fayet malgré la pluie. Après souper, nous inaugurons le piano avec Claire. Ce matin volumineux courrier, Noélie nous annonce le mariage de Guiguite. André va aujourd'hui à la Viste pour la 1ère fois.

Mercredi 12 Juillet 1916     Le Fayet    [Carte Fayet]

          Il fait très frais : 13°, on ne peut rester dehors qu'assis au soleil. Minette a décidément pris froid avant-hier après avoir tant couru ; nous la gardons dans le petit salon. Après dîner nous pouvons travailler à l'ombre des sapins et à l'abri de l'air. Partons à 6 h pour la promenade, sans en savoir le but, avec Claire et ses enfants. Prenons l'ancien chemin des voitures de St Gervais et nous nous trouvons, sans nous en douter, au village. Laissons Claire et ses enfants retourner tranquillement. Avec Benjamin, faisons nos achats ; très polis les magasiniers. A notre arrivée à 7 h, les jeux de tennis cessent, les dames en toilette de dentelle sont dans les jardins des grands hôtels ; c'est l'heure de la table d'hôte. Chacun se dépêche. Au retour, à 7 h 20, personne, tout le monde est à table. Cette montée à St Gervais qui m'avait paru si terrible le premier jour, n'a rien été aujourd'hui. Trouvons Minette couchée mais soupant de bon appétit.

Jeudi 13 Juillet 1916     Le Fayet - Chamonix - La Fayet   [carte]

          Beau temps, ciel bleu. Après des hésitations, nous décidons d'aller à Chamonix, Benjamin, Claire et moi. Comme nos tergiversations nous font manquer le train de 10 h, prenons celui de midi avec 45 minutes de retard. C'est la première fois que nous faisons ce trajet par le train électrique ; route très intéressante, 1 heure de trajet, 4 stations, Chedde, Servoz, Ouches, les Bossons. A Chamonix, grands changements, hôtels splendides. A celui du Mont Blanc, déjeûner à 5 f. très bien ; tilleul pris sur la terrasse puis promenade dans les allées du joli jardin et dans celui du futur hôtel, fini mais non ouvert à cause de la guerre ; position unique, il est très beau. Temps couvert.
          Dans Chamonix, flânons ; Benjamin se fait raser. Claire expédie à Jules des bonbons au miel ; puis sur le route de Vallorcine, visite d'une jolie villa ; j'y cueille des fleurs ravissantes genre coquelicots blancs, jaunes et oranges. Voilà la villa qu'il nous faudrait. Nous voyons sur le grille que c'est celle de M. Vallot. Avons bien vu la Flégère, le Brévent, le Plan des Aiguilles, mais le dôme du Goûter reste voilé. Redescendons par le train de 5 h ½. Adieux d'un lieutenant chasseur alpin à toute sa famille, dix personnes toutes très émues ; lui faisait le crâne et riait avec tout le monde. La Sœur et les enfants nous manquent et vont en gare à l'autre train. Minette est dans le salon à jouer avec Jean et Jules, elle tousse et a l'air fatiguée.

Vendredi 14 Juillet 1916     Le Fayet

          La grande nouvelle est la rupture du mariage de Guiguite que m'apprend Noélie. Minette est mieux. Pluie tout l'après-midi. Ce soir, brume épaisse. Musique le soir.

Samedi 15 Juillet 1916     Le Fayet

          Quelle fraicheur, brouillard mais la journée s'annonce belle. Madeleine fait une lettre à sa mère sous la direction de la Sœur. Les enfants s'amusent à monter et descendre au midi. Après dîner sommes très bien au petit pavillon. Claire nous accompagne 4 pas à la promenade avec Jean. Avec Benjamin, Madeleine, Eugène et Ginette, montons par un sentier escarpé jusqu'à la route de St Gervais. Voyons de belles villas occupées par des propriétaires ou des succursales d'hôtel. Redescendons par l'ancien chemin après le pont ; air très vif.

Dimanche 16 Juillet 1916     Le Fayet

          Journée splendide ; aussi en auto découverte, Benjamin, Claire, Madeleine la Sœur, la cuisinière et moi ; Martin et Germaine vont à l'établissement ; à notre retour Minette et Jeanne qui vont aux Plagnes, à 9 h ½ sont encore là ! Les enfants s'amusent follement ; sous notre pavillon de verdure, nous sommes très bien. Le soir, à 5 h, montons, Benjamin, la Sœur et moi, à St Gervais pour la bénédiction ; chants horribles, harmonium criard, tout est faux. Pendant l'adoration de la Ste, avec Benjamin, contemplons, du banc du jardin public en face du pont du Diable, son cadre merveilleux, au milieu de noirs sapins se détachant sur une montagne toute blanche. A souper, Minette sur le ventre des dames.

Lundi 17 Juillet 1916     Le Fayet

          Brume épaisse, pluie jusqu'à midi. Nos domestiques font la lessive. Temps radieux l'après-midi ; la Sœur, avec 4 enfants, va s'acheter des chaussures au Fayet. Claire et Julot nous accompagnent à l'église des Plagnes. De là, par la grand route, avec Benjamin, à un torrent que nous contournons ; puis par un sentier bien marqué et assez horizontal, retour vers l'ancienne route de St Gervais. Traversons trois torrents. Minette, à cause d'un rhume, n'est pas sortie après goûter.

Mardi 18 Juillet 1916     Le Fayet - Passy - Le Fayet      [Carte Fayet]

          Temps radieux pour notre 1ère messe de semaine obtenue par Sœur Jules, c'est parfait. Tous les trois, à 7 h ½, étions dans cette pauvre petite église des Plagnes, une dame et nous, c'est tout. Benjamin sert la messe. Enfin Minette reprend sa vie dehors, elle est bien. Lettre de Clotilde très intéressante, nous narrant la 1ère visite d'André Guibal et la rupture. Notre lessive a beau jeu pour sécher, soleil radieux.
          Benjamin décide de partir de bonne heure pour Passy, tout le monde vient, Sœur Jules, Claire, Minette, même Jean. A mesure que nous quittons la vallée pour monter vers Passy, vue splendide sur les montagnes toutes blanches de St Gervais au Mont Blanc, vue de Mégève, c'est splendide ; nos montagnes couvertes de sapins sont au 1er plan, le Mont Blanc au second. Claire reste au bord de la route avec les enfants, Benjamin , la Sœur et moi, jusqu'à la vieille petite église ; la mairie est sur la place. Une grande maison "Notre famille", c'est une pension ; l'école communale ; une belle route monte jusqu'à Corronge, cette habitation au milieu des arbres sur un pignon. Retour rapide nous sommes en retard ; rencontre d'un enfant idiot qui nous suit longtemps disant :"hue... hue..." et faisant claquer son fouet comme si nous étions des chevaux ; les enfants ont eu une telle peur qu'ils ont couru jusqu'à la maison. Marie et Jeanne avaient été à St Gervais et sont revenues en courant en un ¼ d'heure.

Mercredi 19 Juillet 1916     Le Fayet

          Journée chaude, 27 degrés. Sont arrivés hier soir les Parisiens en auto : Mme Payot et son fils que nous allons voir à 2 h. Apprécions de plus en plus la villa, beaucoup de coins et recoins. Nous descendons au Fayet. Jusqu'à 6 h quelques achats. Sœur Jules remonte avec les cinq enfants et le grand seau de miel. Benjamin et moi menons Claire aux bains de St Gervais, allons jusqu'au fond, voyons d'où vient le torrent ; retour par un chemin montant au bois de Bréchat, nous aboutissons trop haut. Soirée délicieuse sur le balcon. Nuages noirs comme de l'encre sur les Aravis.

Jeudi 20 Juillet 1916     Le Fayet

          Journée idéale, l'air est vif, le soleil très chaud, il fait bon rester tranquille. Mme Payot vient dans la matinée, toujours très obligeante. Le soir, tous aux Plagnes ; là, division, Claire retourne avec ses enfants, Benjamin, Sœur Jules, les petites de Gaby et moi, prenons le joli sentier horizontal ; après les trois torrents, trouvons dans la forêt, sur une prairie, une jeune femme, son mari, le bras droit en moins, les deux jeunes fills, une chèvre, trois chevreaux et un chien. Le mutilé a été prisonnier au Tyrol, on ne leur donnait à manger qu'à 9 h, sans table, sans rien et une assiette de soupe à aller chercher dans la neige. Après souper dehors, pas un nuage et des étoiles, miracle ! La grande Ourse, la petite Ourse, enfin je vois où est exactement le nord.

Vendredi 21 Juillet 1916     Le Fayet - Les Contamines-Montjoie - Le Fayet      [Carte Fayet]

          Ciel tout brumeux, allons à la messe avec un brouillard épais. Y viennent Mme Payot et ses deux cousines avec la Sœur, confession avant la messe. En Savoie, les confessionnaux se ferment par trois portes, une pour le confesseur, deux pour les pénitents ; avec cette prodigieuse humidité, je lis et j'écris au petit salon. Remarquable colère de Jean se roulant dans le pré, se tordant et criant dans la pavillon, dans la forêt, tous les voisins accourent, et cela parce que Claire, voulant éviter une scène au moment de notre départ, l'expédiait avec Jules et Jeanne dans la forêt.
          A 3 h ½ Grange arrive avec l'auto. Nous partons tous les 8, les deux aînés de Claude entre la Sœur et moi au fond. A St Gervais-les Contamines, là l'auto s'arrête et à pied, par un fort soleil, jusqu'au sanctuaire de N.D. de la Gorge, c'est un but de pélerinage. Ex voto : pieds, bras, têtes en cire ; quelle vétusté ! Chemin de Croix ayant petites chapelles, dans la vallée très belle, très boisée, avec les cîmes du Bonhomme dans le fond. Quand on fait le tour du Mont Blanc, on passe par là pour atteindre le col du Bonhomme. Le Bon-Nant roule ses eaux claires avec fracas, c'est très pittoresque. Rafraîchissements au buffet du sanctuaire. Retour délicieux, plus de soleil, le Mont Joly à gauche dans les nuages. Benjamin bougonne contre Grange qui n'a pas voulu nous mener en auto jusqu'au bout. Le Mont Blanc s'est dévoilé, voyons le Dôme du Goûter, c'est superbe ! Arrêt, nous avons accroché un cheval, il a rué. Vallée enchanteresse, c'est la vallée de Montjoie. Au retour nous souhaitons à Madeleine sa fête, Sœur Jules lui a cueilli un beau bouquet et nous humilions Jean pour qu'il ne recommence plus jamais.

Samedi 22 Juillet 1916     Le Fayet

          Temps splendide, aussi envoyons-nous nos 4 domestiques à Chamonix de 2 h ½ à 7 h ½ ; elles partent enchantées, nous avons la garde des enfants, ils nous ont amusé par leurs jeux. Ginette dirige tout, elle dit à Jean "toi, tu ne sauras pas parler, mais tu m'appeleras maman". Le soir au Fayet avec Claire et Minette ; Benjamin s'aperçoit en gare qu'il a oublié de s'aoccuper d'un passeport pour la Suisse. Arrivée de nos domestiques ; tandis que nous remontons, nos domestiques nous rejoignent. Elles sont enthousiasmées et très reconnaissantes.

Dimanche 23 Juillet 1916     Le Fayet

          Journée s'annonçant splendide, la montée en auto à St Gervais délicieuse. Beaucoup plus de villégiateurs, la dame aux enfants, tous très bien. Si la matinée est courte et belle, l'après-midi, le temps chaud se couvre. Orage sur les Aravis, orage sur la chaîne du Mont Blanc ; éclairs, tonnerres, pluie ; il faut rentrer ; piano, boston, lecture jusqu'au soir où la Sœur, Benjamin et Claire vont à l'église des Plagnes.

Lundi 24 Juillet 1916     Le Fayet

          Brouillard épais, il pleut par moment, ce qui ne nous empêche pas de lire dehors, les terrasses abritées par les balcons et les toitures sont fort commodes. Vers 6 h, malgré le ciel gris, nous partons tous, sauf Jules, par la route de Chamonix ; nous voulons atteindre le tournant. Pas de boue, mais le brouillard baisse, la pluie commence, il faut retourner ; les uns vont droit à la villa, Benjamin et moi, par le grand lacet de la route de St Gervais, horriblement boueuse, à l'église des Plagnes ; retour par le sentier horizontal. Voyons la gentille femme au mari mutilé, ses deux enfants et ses chèvres. Jean mérite son bon point, quel miracle ! Minette dessine le portrait de Coco.

Mardi 25 Juillet 1916     Le Fayet

          Temps splendide ; d'abord pour la messe, c'est agréable, puis pour notre lessiveà sécher, c'est utile. Tandis que les enfants courent, avec Benjamin nous nous isolons dans le pavillon où Louis Veuillot, par ses lances rompues avec les uns et les autres, me tient en éveil ; j'avais ignoré ses démélés avec Mgr Sibour. Installés sur notre terrasse au nord, on nous porte le lige à visiter. Minette et Madeleine écrivent toute la matinée. Vu la chaleur, partons tard pour les Plagnes avec les six enfants, sans bonne ; retour par les torrents, ce qui les amuse beausoup, puis halte avec la jeune femme aux cabris. Soirée musicale.

Mercredi 26 Juillet 1916     Le Fayet

          Enfin lettre d'Edouard, cherchant la perfection en tout !!! Temps splendide, air très vif. Le soir deux bandes : une au Fayet, l'autre, composée de Benjamin, Eugène et moi, par le joli sentier des Plagnes, à la route de Chamonix ; voyons un écureuil. Regardons scier des sapins de 4 m de longueur, la manière de les faire descendre, les mettre en place. Remontons trop tôt, c'est raide. Eugène, très gentil, prend intérêt à tout, très attentioné pour son bon papa. Madeleine, ayant mal à la gorge, la Sœur la fait rentrer dedans cet après-midi.

Jeudi 27 Juillet 1916     Le Fayet

          Le temps s'envole, on se lève tard, on déjeûne tard. Arrive le courrier, puis la correspondance, un peu de lecture et c'est la dîner. Aujourd'hui lettre à Léon d'Astros pour notre passeport. Le goûter est là, partons pour St Gervais avec Benjamin, Sœur Jules et Minette, elles reviennent du pont ; faisons nos courses à St Gervais ; revenons par une forte pluie.

Vendredi 28 Juillet 1916     Le Fayet

          Messe aux Plagnes, journée de tranquillité parfaite, je finis mon 2° volume de Louis Veuillot ; je travaille beaucoup à ma chasuble, je regarde jouer les enfants, soit sauter à la corde dans l'allée, soit jouer au navire sur la terrasse, Minette est l'amiral, les autres les mousses, tous nous saluent militairement en marchant au pas cadencé tout autour de la maison, quand ils passent devant nous, même Julot. Grange vient nous parler pour un tour en auto, le soir, après souper.

Samedi 29 Juillet 1916     Le Fayet

          Journée splendide plutôt chaude malgré l'air vif ; aussi essayons d'avoir Grange, aucune auto n'est disponible. Les enfants s'amusent follement à faire de la gymnastique sur la balustrade de la terrasse. Notre promenade de ce soir à l'établissement des bains est pleine de péripéties. Y allons avec les 6 enfants sans bonne, par le petit sentier en face de la villa. L'allée des tilleuls tout en fleurs, faisons notre cueillette à la grande joie des enfants. Un monsieur vient vers nous et nous demande de quel droit nous agissons ainsi. "Mr, je croyais ce bien communal, lui dis-je" - "Non , madame, c'est comme si j'avais le droit de prendre votre bourse dans votre poche". Nous continuons notre promenade. Deux hommes chargent d'énormes bois sur un char, le vieux soutient le chargement avec son épaule sous son outil. Au retour, Sœur Jules attrape une grenouille. Mousse, un oiseau, la Sœur le lui prend et nous revenons chargés de butin. Germaine jette les hauts cris devant la grenouille qu'on lui a mis dessus. L'oiseau a l'aile cassée, on l'installe sur le balcon, sous un grillage de cuisine ; le tilleul est étalé sur le lit du 2°. Soirée idéale, une petite lumière monte au dessus de Passy, ce doit être à Carouge. Au soleil couchant le ciel était de feu, tous les nuages couleur oranger, que c'était beau !

Dimanche 30 Juillet 1916     A/R : Le Fayet - St Gervais - Megève - Ugine - Albertville - Beaufort   [carte]

          Journée splendide et chaude, 23ème communiqué sur notre poétique course en auto à St Gervais pour la messe de 8 h ½, de plus en plus de monde, l'église est comble. A 1 h Germaine emmène Jean et Jules pour nous permettre de partir en auto.
          Allons à Beaufort. Grange nous y mène par St Gervais. Voyons le Mont Blanc ; la forêt qu'on traverse après le pont du Diable , splendide ; au hameau des Crets, la villa des Edelweiss dans une situation ravissante, à louer ; elle doit dépendre de Combloux. A Megève, grand découvert, c'est moins boisé ; descente toujours ; gorge plus resserrée ; douane. Nous quittons la zone neutre pour entrer en France ; 2 tunnels ; Ugine, grandes usines pour les munitions. De là à Albertville où nous quittons l'Arly pour remonter le Doron. Vallée peu peuplée mais extrèmement boisée. Sommes à Beaufort en 2 h ½, y arrivons sans nous en douter. Beaufort a du cachet, bâti au fond d'une cuvette. La chaire de la vieille église de 1722, tout en bois sculpté avec 4 saints très remarquables comme sculpture. Montons dans une prairie, assis contre un chalet, nous y goûtons copieusement avec les tartines de Sœur Jules puis montons par un raccourci sur la route d'Arèche à 1 h de marche et Roselend à 3 h. Ces alentours de Beaufort sont très jolis, très boisés, un peu tristes, les promenades doivent y être faciles. Retour de 5 à 7 h ½. Cette fois nous traversons Abertville. A Flumet, laissons à gauche la route d'Annecy par le col des Aravis. Air très vif en remontant à Megève ; le Mont Blanc dans les nuages. Laissons la route de Combloux. Revoyons notre villa Edelweiss, celle de nos rêves. Vue plongeante, splendide sur le vallée de l'Arve, Sallanches, Le Fayet, Nous sommes à la hauteur de Carousse, Passy nous parait bas. Somme enchantés de notre après-midi.

Lundi 31 Juillet 1916     Le Fayet

          Journée chaude malgré l'air frais. Après goûter, vers le soir, nous allions partir pour la promenade quand nous voyons le ciel noir comme de l'encre sur le Mont Blanc ; au même moment tombent des gouttes ; nous jouons au boston sur la terrasse, sous le toit, l'orage passe au sud, nous l'évitons ; pendant ce temps effets de soleil couchant magnifiques derrière les Aravis. Nous grimpons au sommet de la prairie, derrière la villa, pour en mieux jouir, les enfants roulent dans la prairie ; Rentrons après 8 h. Dînons portes-ouvertes, soirée chaude de toute beauté, gare à demain la pluie. Aujourd'hui lessive malgré la fatigue de Marie et de Germaine qui ont été à pied à Sallanches et en sont revenues.

Mardi 1er Août 1916     Le Fayet

          Nous nous levons pour la messe aux Plagnes, elle n'y a pas lieu, c'est contrariant. Nous apprenons au retour que c'est demain qu'on la dira, on l'avait annoncé dimanche. Première journée de chaleur, 24°, c'est à 6 h que nous partons pour la promenade sans attendre Claire qui est au Fayet ; par le joli sentier sur la route de Chamonix où nous trouvons une bande d'enfants faisant le saut de mouton, comme ils nous amusent, ils nous suivent sur la route, faisant leurs bonds et leurs sauts avec une régularité mathématique ; les enfants essayent de les imiter sur le bord de la route et se jettent à terre. Ils réussissent mieux, embrigadés par Minette, portant leurs cannes en guise de fusil, faisant le salut militaire aux hommes qu'ils rencontrent ; un se retourne et braquant sur eux sa canne "Boum ! Boum !" leur fait-il en riant. Riposte immédiate de la part des enfants. Le soir, distribution des récompenses aux enfants de Claire. Eugène a une Ecossais.

Mercredi 2 Août 1916     Le Fayet

          Première journée de grosse chaleur, 26°. Le matin, messe pour la Portioncule aux Plagnes. Réponse de Léon nous envoyant notre passeport en règle. Nous ne bougeons pas jusqu'après 7 h. Aller à l'église le soir, visite du Dr Payot, alpiniste distingué. Il s'en est tué un à la Pointe Percée aux Aravis.

Jeudi 3 Août 1916     Le Fayet

          Encore chaud, pas un nuage, 25°, il y a de l'air, c'est mieux qu'hier. Nous passons l'après-midi moitié du temps sur la terrasse puis dans l'allée derrière les sapins, nous y sommes bien. A 7 h partons tous pour la prairie dans le haut de la propriété de l'établissement des bains. Les enfants s'y amusent follement à faire des fagots et à grimper sur la montagne à pic, c'est Madeleine qui est le plus haut. Lettre de Léon d'Astros, nous avons notre passeport.

Vendredi 4 Août 1916     Le Fayet

          Une quinzaine de personnes à la messe aux Plagnes pour le 1er vendredi du mois. Matinée fraiche, je ne peux pas rester sur le terrasse ; après-midi chaude, encore 25°, impossible de bouger. Les oiseaux venant sur nos terrasses manger les mies de pain des enfants, volant sous le toit, au bord de la gouttière, intéressent beaucoup les enfants. Boston, nous avec la sœur dans l'allée ; à 7 h allons tous dans la prairie de l'établissement où les enfants recommencent à monter à quatre pattes comme des écureuils, ils sont risibles. Clair de lune, c'est joli. Soirée sur le balcon.

Samedi 5 Août 1916     Le Fayet

          Ciel brumeux, il fait plus frais, c'est charmant. Les petits oiseaux venant manger sur la terrasse font la joie des enfants. Montons à St Gervais, Benjamin, Eugène et moi. Allons chez Bourrey pour les locations ; quelques achats ; beaucoup d'animation ; Benjamin se fait raser. Il fait très frais au départ.

Dimanche 6 Août 1916     Le Fayet - Sallanches - Combloux - Le Fayet   [carte]

          Grange est en retard ce matin avec son auto ; cependant nous sommes à temps à la messe ; monde énorme, c'est toties quoties. Retour tardif. Déjeûner à 10 h. La journée est splendide, l'air très vif, 12° ce matin à 8 h. Chacun se presse ou lit, ou écrit. A 5 h départ en auto tous les 4 et les 6 enfants. Temps merveilleux. A Sallanches, montons à Combloux, bien situé, château ! Le Mont Blanc est splendide ! Arrêt à la villa Edelweiss, c'est une mystification, rien à faire, on la louerait 800 fr et vendrait 20000. Route ravissante, toujours plus belle, bois superbes. Les enfants très sages, Julot s'était même endormi. Les femmes de chambre et la bonne Jeanne ont été aux cheminées des Fées et bien plus loin, elles sont enchantées. Clair de lune.

Lundi 7 Août 1916     Le Fayet

          Matinée fraiche comme toujours, je lis mon 3ème volume de Veuillot dans le pavillon en compagnie de Benjamin. Après dîner, loterie organisée par Sœur Jules pour tout le monde, les enfants devant, les parents et grands-parents dans les fauteuils derrière eux, de l'autre côté les domestiques. Les lots sont des bouquets de fleurs sèches et des parures en perles. A 6 h départ tous ensemble pour la promenade, nous allons par le chemin des Plagnes ; arrêt à l'église, chapelet à haute voix. Prenons le chemin au dessus de celui descendant sur la route de Chamonix. Sommes en haute forêt, c'est très agréable. Retour après le coucher du soleil, c'est charmant.

Mardi 8 Août 1916     Le Fayet

          Journée magnifique. le matin les enfants viennent s'amuser autour du pavillon, nous insistons pour qu'il soit considéré comme une église afin que le silence y fut respecté. Le soir, dans notre promenade horizontale avec tous les enfants, trouvons le jeune ménage du mutilé dans l'écurie de ses chèvres, ils sont réellement gentils ! Le ciel est merveilleusement éclairé après le coucher du soleil. La lune ne se voit qu'à travers les sapins.

Mercredi 9 Août 1916     Le Fayet

           Pas un nuage au ciel. Lecture fort intéressante de Louis Veuillot sur la terrasse-balcon, c'est délicieux. Après nos matinées très fraiches, nos près-midi sont chauds. Recevons Mme Payot, puis boston. A 7 h Benjamin et Minette vont au Fayet tandis que nous allons dans la prairie est, au dessus de l'hôtel de Savoie ; il y fait très frais, les enfants s'amusent à cache-cache, nous revenons tous ensemble. Clair de lune, après souper, les montagnes sont toutes éclairées. Tout à coup, à mi-hauteur de la Pointe Percée, un feu de bengale rouge apparait ; voilà des alpinistes en cours d'expédition, c'est bien dangeureux la nuit.

Jeudi 10 Août 1916    départ pour la Suisse : Le Fayet - Annemasse    [carte]

           Ce matin, malle à faire pour notre tournée de dix jours. Il a fait un orage cette nuit, nous avons tous pensé aux ascensionistes. Temps couvert mais chaud, 17°. A midi ½, avant de nous mettre à table, souhaitons à Claire sa fête. Sœur Jules a fait, au milieu de la table, un bouquet splendide ; chaque enfant a une tige de fleurs du col de Voza, les enfants offrent en plus des bouquets de fleurs séchées. Adieux à Mme Payot qui coupe ses fleurs dans l'allée. Je lis dans Veuillot la suppression de l'Univers en 1860. Pauvre Veuillot ! Tous, grands et petits, nous accompagnent en gare. A peine le train parti, forte pluie, ils n'auront pas eu le temps de retourner à la villa. Quelle jolie vallée ! Le ciel est noir comme de l'encre, mais au moins il fait frais, ce qui est préférable pour Benjamin. A Annemasse, en plus du changement de train, il faut défiler pour les passeports. Arrivons à 8 h ¾ à l'hôtel de l'Eau, belle chambre au 4ème, sur la place, et excellent dîner.

Vendredi 11 Août 1916     Annemasse - Montreux     [carte]

Nous nous perdons dans notre immense chambre ; courses tout le matin, déjeûnons à l'hôtel. A 9 h départ sur la France par Montreux où nous sommes à 8 h. Les environs de Genève charmants ; le château de Prangins, etc. Traversée idéale, pas de soleil, mais pas de Mont Blanc. A Montreux, hôtel Monney ; famille étrangère, 3 enfants, les garçons pieds nus en sandale, tous bruns ; chambre sur le lac très jolie, avec balcon. Clair de lune. La Dent du Midi couverte de neige.

Samedi 12 Août 1916     Montreux - Les Avants - Sonloup - Zweisimmen - Spiez - Interlaken   [carte]

Ciel sans nuage. La vue de notre fenêtre sur le lac est idéale ! Le balcon délicieux. Après notre déjeûner un petit oiseau entre dans notre chambre et vient manger sur le tapis de notre chambre les mies de pain de notre déjeûner. Partons à 10 h à pied pour la gare. Prenons le chemin de fer électrique de l'Oberland bernois. La montée jusqu'aux Avants est féérique, vue plongeante sur le lac de Genève ; on domine Glion et même les beaux hôtels de Caux ; immenses tennis devant les beaux hôtels. Prenons le funiculaire de Sonloup, 1158 m d'altitude avec une jeune dame charmante cherchant les officiers français. Promenade charmante sous bois, vue sur le Léman. A table, assiettes, verres, argenterie, tout est marqué avec une tête de loup ou le loup dans les bois. Villégiateurs installés partout.
Arrivés à 11 h, nous repartons à 2 h ½ des Avants. Trajet extrêmement intéressant, on remonte le cours de la Sarine, vue sur la Dent de Jaman, les rochers de Naye et à Château d'Oex extrêment bien situé, beaux hôtels, vue sur de beaux glaciers du côté des Diablerets, Gessauray, Gstaad à 1052 m. C'est l'écrin de toute la vallée. Voyageons avec un jeune ménage, la jeune femme italienne ; une dame parfumée qui s'étend. Route très gracieuse. A Zweisimmen, laissons les voitures électriques pour le chemin de fer à vapeur, longeons la Sarine jusqu'à Spiez. Laissons dans le train 3 jeunes enfants, leur gouvernante, leur père et leur mère. Attente vaine du tramway électrique. Une voiture arrive, nous la prenons jusqu'à l'embarcadère. Arrivons en même temps que le bateau.
          Spiez, délicieux. Navigation charmante sur le lac de Thonne. Passagers très nombreux. La Blumlisalp superbe. Avons salué dans notre trajet des soldats français. A Interlaken, ils pullulent, soldats, officiers. Chambre jolie à l'annexe de l'hôtel, en face de la Jungfrau, toute rosée, sans un nuage. A l'église catholique, demain matin beaucoup de messes parce qu'il est arrivé 14 pères dominicains, nous dit le curé ; quand nous sortons du presbytère, un officier français y rentre. A dîner, trois femmes du canton d'Appenzell avec l'étrange coiffure aux doubles ailes de cigale relevées à une hauteur prodigieuse sur la tête et bien parallèles leur donnent un air étrange. Clair de lune.

Dimanche 13 Août 1916  Interlaken-Harderkulm-Interlaken puis Interlaken-Brienz-Meiringen-Lungern-Gyswil-Sarnen-Lucerne
                                        
 [carte]

           Pas un nuage au ciel pour contempler notre chère Jungfrau. A la messe de 7 h ½, pas mal de militaires, nos officiers très édifiants. C'est à l'hôtel du Nord que sont nos militaires français.

  

           Au retour décidons de faire, par le funiculaire, l'ascension du Harder, c'est la montagne boisée qui s'élève au nord et à pic au dessus d'Interlaken. La rampe est très raide, en 20mn nous y sommes. De la terrasse du restaurant Harder-kulm, à 1326 m d'altitude, j'écris à mes religieuses pendant que Benjamin va se promener. La vue est très belle, toute la chaîne de la Jungfrau sans un nuage. A côté de nous, un peu en arrière, au même niveau, l'Amisbuhle ; la vue plonge sur les deux lacs et la ville. Promenade horizontale charmante. Redescendons à midi pour dîner à l'hôtel, repas excellent.
           Départ par le bateau pour Brienz ; il y a des militaires français à bord. Benjamin leur parle. Traversée charmante.
           En chemin de fer à Meiringen ; nous montons au Brunig par une forte rampe, belle vue sur la vallée de l'Aar puis en descendant sur le joli lac de Lungerer et Gyswil ; en gare un fiancé embrasse sa fiancée en la quittant. Lac de Sarner ; comme il pleut, renonçons au bateau et allons à Lucerne par le train. Dans notre compartiment une famille intéressante, le père, cheveux tout rasés, la mère très jolie, genre de Cécile, l'ancienne femme de chambre de Clotilde, deux petits garçons dont un très éveillé, une fillette qu'on tient à l'écart, puis son père, qui lui avait fait la moue, la prend à ses côtés. A l'hôtel du Cygne et du Rigi, jolie chambre à 4 fenêtres. Le temps est doux.

Lundi 14 Août 1916     Lucerne - Lac de Lucerne - Brunnen - Einsiedeln      [carte]

           Le ciel nuageux s'éclaircit. Quittons notre chambre si gaie de l'hôtel du Cygne à 9 h pour la traversée du lac. Temps idéal ; aussi jouissons-nous de notre tajet. C'est idéal. Ce qui l'est moins, c'est la multiplicité des boches et des familles des boches ; sur le bateau, une femme, deux sœurs et deux enfants vont voir un prisonnier.
A Brunnen des boches partout ; un tour de promenade, puis, sur la terrasse, déjeûner en compagnie de nombreux petits oiseaux. Joli trajet de 2 h 25 à 5 h. On domine la vallée du lac Werser, c'est très gracieux .
A Einsiedeln, à l'hôtel du Paon ; encore chambre à 4 fenêtres. Allons nous confesser. L'église d'une richesse inconcevable, la chapelle de la Vierge miraculeuse imite celle de Lorette en marbre noir. Puis au Panorama, ce crucifiement et toutes les scènes réellement bien. Sur la route y menant, jolies habitations avec jardin et, dans presque tous, une chose grotesque en platre. Après souper avec d'assez nombreux pélerins, promenade sur la route de Wadenswil ; devant les collèges on fait de la gymnastique, de la lutte, c'est intéressant. Pays très découvert. A 9 h pélerins debout priant à haute voix et chantant, très bien.

Mardi 15 Août 1916     Einsiedeln

Réveil au son joyeux des cloches, c'est un carillon très harmonieux. D'ailleurs le son des horloges est aussi remarquable. Messe à la Ste Chapelle après avoir communié à l'autel de gauche en entrant où la communion se donne continuellement. A 11 h plusieurs fidèles s'approchaient de la sainte Table ; à 11 h ½ encore un homme. Femme avec une coiffure en acier et au col brodé en or. A 9 h ½ grand'messe magnifique par son orchestration. Il y a une telle affluence qu'il faut porter des pliants de l'hôtel pour s'assoir, la basilique est comble. Je la visite encore une fois, elle est d'une richesse inouïe, la chapelle des confessions très intéresanate avec ses peintures.
           Après dîner à la table des messieurs dont j'ai bu le vin, décidons de ne partir que demain. Lecture sur la terrasse, visite intéressante à la salle des Princes : Napoléon III et l'impératrice Eugénie en pied de grandeur naturelle. Tout est intéressant. Les vêpres et la grand'messe remarquables comme orchestration : orgue, instruments en cuivre, violons, violoncelles, basses, chant grégorien, tout est splendide. Petite promenade, puis une heure de lecture sur la terrasse très agréable ; je lis "Les yeux qui s'ouvrent" d'Henry de Bordeaux. Sur deux alezans passent deux fois un cavalier et une amazone.
           Promenade par la route du cimetière, retour par la colline grâce aux indications données par une dame à la fenêtre ; 2 jeunes filles chantent très bien sous un bouquet d'arbres élevé. Allons au pied de la statue de St Benoît ; lorgnons de là l'intérieur des jardins de l'abbaye ; voyons les jeunes élèves s'amuser. Retour par le côté de la ferme, 18 chevaux et poulains en liberté. Grâce au secours de deux enfants, sautons un fossé au bord de la route.
           A 7 h ¼ à table pour être agréable au réglé maître d'hôtel, presque tout le monde est parti. A 8 h salut du S.C. , chapelet en allemand ; chant très juste.

Mercredi 16 Août 1916     Einsiedeln - Pfaffikon - Coire - Zizers - Coire      [carte]

           Départ d'Einsiedeln à 8 h. Avons pris le train de Wadenswill, il fallait prendre celui de Rapperswil pour descendre à Pfaffikon, nous aurions changé de voiture une fois de moins. Tous ces employés suisses très polis et obligeants. Arrivons à Coire (auj. Chur) à 11 h. Nous redemandons et obtenons la même chambre que l'année dernière. A 2 h partons pour Zizers. Edouard réellement bien. Causons de tous, surtout d'Alfred jusqu'à 5 h ¼. Edouard a enfin été voir ses pères de Davos samedi dernier. Au retour, Benjamin se fait barbifier, je cours faire quelques commissions. A la salle à manger, banquet de messieurs, une quarantaine. Le soir projet de retour.

Jeudi 17 Août 1916    Coire - Zizers - Coire

           Il a fait chaud cette nuit. Dès 9 h nous partons pour Zizers. Voyons le Père général qui nous amuse avec ses détails sur Einsiedeln où le P. abbé veut que rien ne change jamais. Dans son abbaye il maintient tout dans les mêmes idées ; les choix des élèves, il faut qu'on connaisse les pères et les grands pères. Quittons Edouard pour le train de 11 h 27. A la petite gare, point de train qu'un qui ne s'arrête pas. Nous attendons une heure, un autre train nous prend à midi 27. L'après midi flânerie, acahts, prenons des glaces ; il pleut, l'orage nous fait réfugier dans la cathédrale. Enfin rentrons. A 10 h du soir, l'orage dure toujours.

Vendredi 18 Août 1916    Coire - Disentis      [carte]

           Une lettre de Gaby nous apprend que Paul Viton a été tué. Pauvre Genette ! Qui sait si ce malheur ne changera pas sa destinée ! Nous l'apprenons à Edouard, ainsi que la nomination de Xavier aux Affaires étrangères. Je lui lis la lettre de Marthone sur les richesses de la campagne : quantité de prunes, de haricots, etc. Edouard la trouve très formée. Adieux à cet excellent frère que j'ai revu avec une grande joie.
           Il ne pleut pas, aussi, après force hésitation, partons par le train de 2 h ½ pour Disentis. La vallée du Rhin est superbe, pleine de surprises, jolis clochers dans des positions pittoresques ; le Rhin tantôt large et calme, tantôt rétréci et impétueux. Le brouillard cache tous les sommets, mais pas de pluie, et la forêts et les prairies sont si veloutées ! Enfin voici Disentis, le bel hôtel Kurhaus au milieu de son parc de sapins, mais il est loin du bureau de poste où nous prenons nos billets pour demain ; nous échouons en face de l'hôtel de la Poste, une auberge, c'est infect. Quel désir d'être à demain ! Visite de l'église de l'abbaye des Bénédictins, très grande, genre italien, et qui palit quand on revient de Einsiedeln. Souper mauvais sauf le potage soi-disant maigre. Disentis est rempli de prisonniers allemands, ils remplissent toutes les fonctions dans les hôtels ; c'est un boche qui conduisait le landau au Kurhaus, c'est un autre qui m'a porté mes colis à l'horrible hôtel de la Poste et ainsi de suite. Il parait que l'hôtel de la Couronne est un bon petit hôtel, nous ne l'avons su que le lendemain.

Samedi 19 Août 1916    Disentis - Andermatt - Göschenen - Fribourg      [carte]

           Nuit d'insomnie, notre chambre est laide et petite, une horreur. A 4 h ½ sur pieds, tous les voyageurs sont attablés avant 6 h. Deux landaus et un char pour les bagages. Deux hollandais partagent le nôtre, Benjamin et moi sur le devant, la capote relevée seulement quand le brouillard fondait. Ils étaient très polis l'un et l'autre. Pas de pluie, pas de soleil. Une brume épaisse par moments ; dans une déchirure on entrevoit un glacier. A l'Oberalp, au col, 2048 m d'altitude, un froid de loup ; on s'arrête pour la 2ème fois, avalons un chocolat, chacun se chauffe à l'énorme poêle. J'ai préféré le col de Klausen, mais ce qui est unique c'est après Andermatt, là est une énorme réunion et accumulation de noirs rochers énormes entre lesquels bouillonne la Reuss. Le pont du Diable sur la Reuss est au dessus d'une grande chute d'eau. C'est d'une superbe sévérité ! Les Suisses y accumulent leur artillerie, ils y sont très nombreux. Nous renonçons à notre voyage par Gletsch, nous avons assez de la voiture. Prenons à Göschenen la train pour Lucerne. Déjeûnons en gare, trajet délicieux de là à Berne, puis à Fribourg, hôtel Terminus, très bien, terrasse formant véranda. Ah ! que nous sommes bien ! A la recherche d'une église catholique, visite de la cathédrale, allons jusqu'au pont suspendu, retour en tramway.

Dimanche 20 Août 1916    Fribourg - Romont - Puydoux - Vevey - Martigny - Salvan - Finhaut - Chamonix - Le Fayet    [carte]

           Qu'il est fâcheux de ne pas séjourner dans notre jolie chambre, la terrasse en eût été si agréable. Messe de 7 h ½ aux Ursulines, puis jouissons de la vue de la tarrasse sur la Sarine, déjeûner et départ. Train omnibus, mais trajet agréable par Romont et Puydoux (auj. Puidoux), Chexbres, Vevey, ; déjeûner en deux temps, deux mouvements au buffet de la gare et départ pour Martigny, beau temps. Là, déception profonde, le train sur lequel nous comptions n'existe pas ; 3 heures d'arrêt pour attendre celui de 5 h. Une dame et une jeune fille partagent notre infortune, elles vont voir un malade prisonnier que les gaz asphyxiants ont failli faire mourir en août 1915. Allons à l'église, au cimetière, puis prendre une glace, enfin l'heure du départ arrive. Chemin de fer à crémaillère unique s'élevant au dessus de la vallée du Rhône à pic, c'est merveilleux. Salvan, Finhaut, assistons au bonheur du sous-lieutenant recevant sa mère et sa fiancée. La ligne surplombe le Trient, c'est féériqe ; la ligne court dans la montagne à pic à une hauteur fantastique .
           Arrivée à Chamonix à 8 h avec la nuit. Le Mont Blanc couvert de nuages. Point de train ce soir ; nous voulons arriver quand même ; arrêtons une victoria à un cheval ; allons vite dîner en face, à l'hôtel des Etrangers. La voiture n'arrive plus. Départ à 9 h ½ couvert comme St Georges. Je me réveille au dessus de l'usine, véritable illumination. Arrivée à 11 h ; appelons sous les fenêtres ; en un clin d'œil Claire, Marie, Germaine et Jeanne la bonne sont là ! Enfin nous sommes chez nous.

Lundi 21 Août 1916    Le Fayet

           Pour défaire la malle, nous nous couchons à 1 h du matin. Le matin grande joie de nous retrouver tous au déjeûner Séance : les enfants dirigés par Sœur Jules me mènent devant une table, chaque enfant nous offre ses devoirs, les fillettes en plus leurs ouvrages ; on nous montre les bouquets séchés de la Sœur, les cadeaux achetés à Chamonix pour Gaby, Marthe, Yvonne et Jeannette, les ouvrages faits par les pauvres. Je continue la séance par la distribution des petits souvenirs de voyage. Reprise de nos chères occupations, lecture, ouvrage manuel en famille. A 6 h petite promenade, laissons à l'église des Plagnes Claire et ses deux petits ; avec Benjamin et Sœur Jules menons les autres enfants au chemin horizontal menant à la forêt. Le temps si pur ce matin est très couvert cet après-midi, l'air vif ce soir, très bon dans la journée.
           Avec bonheur nous revoyons nos six petits enfants et reprenons notre vie tranquille du Fayet. Lecture, écriture, travail, tout est délicieux au milieu des siens. Le temps est beau, la lessive marche grand train. Le soir promenade avec les plus grands de l'église des Plagnes au chemin menant dans les bois. Nous nous arrêtons à la fin du chemin horizontal après les noisetiers, nous avons besoin de tranquillité et de repos. 10° ce matin à 8 h.

Mardi 22 Août 1916    Le Fayet

           14 degrés, air très vif, beau temps. La lessive sèche bien. Pauvre Veuillot, ses papiers sont saisis par la police, l'Univers supprimé, mais il avait fait son devoir. Je lis au demi-soleil dans la petite allée ; allons au pavillon, tandis que Ginette arrache les mauvaises herbes qui croissent dans les betteraves. L'après-midi, alignés contre la maison au nord, nous tirons l'aiguille, heureuses des rayons du soleil couchant nous atteignant, l'air est si vif. A 6 h ½ départ pour Le Fayet avec les six enfants ; achats puis, suivant la voie du chemin de fer, nous voulons atteindre les trois lacs ; un garde barrière, sa femme entourée de trois jeunes enfants nous apprenent qu'ils sont sur (illisible) après la 1ère station Domancy-Passy ; c'est égal, la promenade au fond de la vallée a eu bien ses charmes par l'air vif qui nous fouettait le visage, par les nuages si jolis au coucher du soleil et par le Mont Blanc apparaissant tout rosé au milieu des nuages, il est idéal. Sœur Jules et Claire portent Jules alternativement au retour. Cet après-midi, pour la 1ère fois, les enfants ont fusionné avec les enfants de l'employé du chemin de fer et y ont passé l'après-midi : Sœur Jules causait avec la mère et les enfants s'amusaient.

Mercredi 23 Août 1916    Le Fayet

           Que la tranquillité dans un joli site est agréable, surtout quand on en jouit d'une jolie terrasse, assis dans un confortable fautauil et avec un livre intéressant en main, c'est ce que je fais depuis deux mois avec la vie de Louis Veuillot. Ce matin il faisait froid, 9 degrés. Se mettre la tête à l'ombre, les pieds au soleil et lire a été une délicieuse matinée, tout en admirant nos montagnes superbes, les unes veloutées par les bois qui les couvrent, les autres nues et arides. J'ai fait sortir M. Th. et Madeleine, au pavillon, nous formions partie carrée. Après dîner, grands déguisements, la Sœur, les costumes, tous les 6 et les voilà partis pour la ferme, Minette faisant la vieille, impayable, coubée et tremblante sur sa canne avec mon costume du Mt Dore et le bonnet de nuit de la sœur. Le soir Claire va au Fayet avec ses enfants ; Eugène vient avec nous sur la route de Chamonix ; nous y revoyons deux gamins des sauts de mouton, ils vont en chercher deux autres et recommencent leurs bonds et leurs sauts agiles. Germaine et ma cuisinière Jeanne profitent d'une gâterie de Claire, elles passent l'après-midi au glacier des Bossons dont elles reviennent enchantées.

Jeudi 24 Août 1916    Le Fayet

           Moins froid et le temps se couvre, il pleut légèrement plus tard. Quelle orgie de lecture, Veuillot a beau jeu ! Après dîner, pendant ma longue correspondance, le soleil parait, le ciel est radieux. Promenade à Passy, le Mont Blanc tout rose, c'est splendide. Claire a été au Fayet avec Ginette et Loulou. Le matin sœur Jules avait emmené les enfants dans la prairie au dessus de la villa. Le départ est fixé au mardi 29.

Vendredi 25 Août 1916    Le Fayet

           Lecture délicieuse de Veuillot sur la terrasse, les pieds au soleil, on y est admirablement. Après dîner chaleur très forte, c'est étonnant ; je ne quitte pas la terrasse ; le boston puis le puzzle m'y rivent, les autres vont au Fayet, moi je reste ; soirée sur la terrasse puis musique.

Samedi 26 Août 1916    Le Fayet

           Orage. Il pleut le matin, aussi la chaleur est tombée. Mme Payot état arrivée, nous allons vister son étage, le second, puis le rez-de-chaussée puis celui de la ferme. Promenade par la montée raide du chemin de fer du Mt Blanc, passons les 3 torrents grossis, avec peine. Sœur Jules envoie des pierres dans l'eau pour franchir le passage. Après le chemin horizontal, prenons celui en face, de l'autre côté de la route de St Gervais et, par un autre chemin horizontal, aboutissons au hameau des Plagnes. Arrêt à l'église.

Dimanche 27 Août 1916    Le Fayet - Sallanches - Cluses - Bonneville - Petit Bornand - Entremont - Grand Bornand -
                                            St Jean de Sixt - La Clusaz - La Giettaz - Flumet - Megève - St Gervais - Le Fayet
     [carte]

           A 8 h 10 départ en auto pour l'église de St Gervais. Temps splendide. Correspondance et puzzle toute la matinée sur le terrasse. Dîner rapide, l'auto est là qui nous attend, il faut expédier Jean et Jules dans le bois pour leur cacher notre départ. Le facteur arrive, une lettre de Noélie nous apprend que Gabrielle a eu un gros garçon vendredi 25 à 6 h., tout est très bien. Impossible de lui envoyer notre dépêche, tout est fermé. Impossible aussi de partir avant mardi.
           Partons bien contents pour notre promenade, elle est délicieuse. Suivons l'Arve, Sallanches, Cluses, Bonneville puis au Petit Bornand dans une vallée resserrée et boisée, puis Entremont, le Grand Bornand, St Jean de Sixt qui nous plairait davantage pour séjourner, c'est plus découvert, enfin La Clusaz et par des lacets au col des Aravis, 1500 m d'altitude. Nous mettons pied à terre, Minette pour courir avec Eugène dans les immenses prairies qui montent vers des flaques de neige, ils vont loin. Nous goûtons, nous admirons le Mt Blanc qu'un nuage dévoile en partie. Après ¾ d'heure d'arrêt, reprenons notre course idéale, descente vertigineuse sur La Giettaz, 1100 m, passons deux tunnels ; par une vallée très resserrée aboutissons à Flumet ; avant les Praz, le Mt Blanc sans un nuage s'offre à nous, c'est splendide. A Megève et surtout avant St Gervais, vue splendide sur la chaîne toute blanche.
A St Gervais, arrêt à la place, beaucoup d'animation. Aux Plagnes, laissons Sœur Jules à l'église et prenons Jean et Jules. Une heure de puzzle sur la terrasse. Journée idéale.

Lundi 28 Août 1916    Le Fayet

           Ciel tout gris, il pleut par moments, il est en deuil de notre départ. Sans le désir immense de revoir Gaby, son 8ème et nos petits enfants, nous serions restés indéfiniment ; malles le matin et au commencement de l'après-midi. Nous allons nous peser, Mintte a gagné 2 kilos, Claire et Ginette 1 Kg ½. Ma pauvre cuisinière Jeanne en a perdu. Visite d'adieux à Mme Payot, elle accompagne sa mère Thérèse qui vient pour l'inventaire. Sauf moi, tout le monde est retourné à l'église des Plagnes. Remerciements des enfants sur leur séjour à l'Echo du Berchat. C'est gentil.

Mardi 29 Août 1916    Le Fayet - Lyon

           Après le bouclage des malles, avons le temps de prendre l'air sur notre terrasse de 10h à 11 h. Assis sur nos trois bons fauteuils nous considérons nos belles montagnes, les Aravis si élevés, si dénudés, l'aiguille de Waren, cette plaine, le bas des montagnes couvertes de prairies et de sapins. Déjeûner à la vapeur, chargement de nos 18 colis puis l'auto nous emporte. En gare, retard énorme, on n'est jamais pressé au Fayet. Dans nos deux compartiments communiquants, nous sommes seuls chez nous ; admirons la chaîne du Mt Blanc, splendide à Sallanches, de toute beauté. Puis on l'aperçoit dans le lointain preque jusqu'à Annemasse. Là changement de train jusqu'à Bellegarde, très bien. Quelle complication énorme, retard considérable. Rencontrons Mme de Pelissat revenant de Chamonix. Cette douane est assomante surtout quand on a 18 colis comme nous. Attente de 3 heures, chaleur intolérable, ils attendent sur une terrasse , les wagons étant mortellement chauds. Dîner en wagon, avec les sandwich excellents de Sœur Jules et des paniers que Sœur Jules partage avec un art savant. Arrivée à Lyon à 9 h ; au Terminus, ayant mal compris une carte, on nous a retenu d'innombrables chambres. Sœur Jules douche les enfants ; Madeleine glisse dans sa cuvette, le plongeon inonde sa chemise, sa seule et unique. Chaleur, on étouffe. Tous au 4ème.

Mercredi 30 Août 1916    Lyon - Marseille

           Claire et ses enfants sont rapidement habillés. Sœur Jules et Marie s'étant dématinées, reviennent de Fourvière avant 7 h. Au restaurant on s'installe pour déjeûner ; je cours après Benjamin qui s'occupe des bagages à installer dans nos deux compartiments réservés. Le ciel couvert nous permet de faire ce trajet de 3 h jusqu'à Montélimar sans accablement. Adèle est en gare, elle est pâle et très amaigrie. Visite à Mlle de Boissieu, puis déjeûner en famille seuls dans la petite salle à manger. Quelques instants dan le jardin de l'hôtel de la Poste. A 3 h en gare. Laisssons Claire avec Adèle jusqu'à demain. Train bondé ; divisés en trois bandes ; nous pouvons nous réunir pour le goûter où nous voyons Eleonore et ses enfants. Marie étant arrivée à 3 h et s'étant occupé des bagages, nous pensons être rendus en auto en une ½ heure. Or notre nouveau petit chauffeur ne nous trouve qu'½ heure après l'arrivée du train. A peine étions nous sortis de la gare que nous écrasons une femme. Des cris, nous sommes cernés, naturellement nous suivons la pauvre malheureuse qu'on emporte à l'hôpital militaire de la rue Honnorat. Elle est étendue sur un brancard, très contusionnée ; s'il n'y a rien d'interne, elle sera sauvée. C'est une fille de 28 ans ; son beau-frère, sa sœur, sa petite nièce sont là ; on l'emporte dans une voiture d'ambulance à la Conception. Pendant ce temps, l'auto était partie avec les enfants et les domestiques. Allons en voiture à la permanence avec le sergentde ville, puis chez Léon d'Astros lui recommander notre blessée. Enfin dîner à l'hôtel de Russie à 10 h. Trouvons enfin notre auto devant la maison et partons sans encombre cette fois. Gaby très bien, le petit Xavier est un joli brun.         

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