Charles Salles (1740-1812) et la traite négrière   print

    Charles Salles et la traite négrière

L’objectif du site, lorsque nous l’avons ouvert en 2006, était de mettre à disposition des descendants de Xavier Fine (1876-1962) et Gabrielle Salles (1882-1983) les archives familiales dont Jacques Fine (1913-1997) avait été le dépositaire. Il s’agissait de classer, numériser et présenter les nombreux documents en notre possession. La Correspondance avec la Martinique ne laissait aucun doute sur le fait que les Salles de la Martinique avaient des plantations et faisaient travailler des esclaves. Mais les archives familiales ne permettaient pas de savoir si Charles et Louis Salles, négociants et armateurs à Marseille, participaient à la traite négrière.

Vente de 121 esclaves à la Martinique en 1802
En 2015, afin d’en savoir davantage sur l’endettement des colons de la Martinique et l’exemption de saisie immobilière (cf. les notes de l’affaire Blondel), des recherche sur Internet ont abouti sur le site ANOM (Archives Nationales d’Outre-Mer) et sur les dossiers suivants :
- Discours prononcé par M. Salles, commissaire du commerce, à la réunion des négociants et capitaines de Saint-Pierre au sujet de l'admission des navires étrangers dans les ports de la Martinique (8 mai 1776).
Avec annotations marginales de MM. d'Argout et Tascher.
- Copie d'un acte de vente de 121 esclaves consenti par les pères François Augustin Trepsac et François Gérard, supérieur et syndic des Dominicains, en faveur de James Eyma et Joseph François Denis Pécoul, habitants de la Basse-Pointe, pour la somme de 184 796 livres, à charge par les acquéreurs d'acquitter celle de 159 084 livres due par les vendeurs à MM. Charles et Louis Salles, négociants de Marseille (6 septembre 1802)
Pièces annexes.
Copie de la lettre du père Trepsac à tous les religieux dominicains par laquelle il leur annonce la vente susdite et du consentement donné à cette vente par les pères. Copie de la requête adressée par le père Trepsac au gouverneur Keppel pour demander l'autorisation de vendre les nègres énoncés à l'acte ci-dessus et de l'avis favorable donné par Keppel.

Révolte victorieuse d’esclaves sur le navire Comte d’Estaing, affrété par Charles Salles en 1772
Le 10 mai 2016, date de commémoration de la traite des esclaves et de son abolition en Métropole, Sébastien Berthaut-Clarac, membre du GRAN (Groupe de Recherche en Archéologie Navale) nous apporte les informations suivantes :
« Nos recherches nous ont conduits à nous intéresser à l’histoire du Comte d’Estaing, navire affrété par Charles Salles. Lors de son deuxième voyage en 1772, ce navire subit une révolte victorieuse qui conduit à l’abandon du navire aux esclaves. Charles Salles réclame alors aux assurances le remboursement des marchandises du navire y compris les esclaves. Les assureurs refusent considérant que les hommes ne sont pas des marchandises. Le procès est inévitable. Balthazard Marie Emerigon avocat spécialisé dans les assurances livre alors (nous sommes en 1773) une violente plaidoirie contre Charles Salles et de manière plus large contre la traite et l’esclavage. Pour la petite histoire, ils sont pourtant membres tous les deux de la même loge maçonnique et ont de fortes attaches à la Martinique. Les assureurs seront déboutés deux fois.
Cette affaire est évoquée dans l’ouvrage de Balthazard-Marie Emerigon, Traité des assurances et des contrats à la grosse aventure, Marseille, Mossy, 1783, ouvrage cité par Gilbert Buti (Aix-Marseille Université – MMSH – TELEMME -Aix-en-Provence) dans l’article suivant : Commerce honteux pour négociants vertueux à Marseille au XVIIIe siècle ? in « Villes portuaires du commerce triangulaire à l'abolition de l'esclavage », Dir. Eric Saunier, Ed. Les routes du philanthrope, Le Havre, 2008, pp. 199-219. »

Cet article de Gilbert Buti est vraiment intéressant. Nous pouvions penser que la ville de Marseille était davantage tournée vers le négoce avec l’Orient et ne participait pas au commerce triangulaire. Cet article nous montre qu’il n’en est rien.
En consultant Emerigon sur Internet, on découvre que  notre cousin Louis-Gilbert Rey (petit-fils d’Alfred Fine et Clotilde Ferrari qui nous a fait redécouvrir Castel-Bonnette) a soutenu une thèse de droit en 1954 sur la vie et l’œuvre de Balthazar-Marie Emerigon.

Autres données

Un ouvrage de référence sur le sujet est le Répertoire des expéditions négrières françaises au XVIIIe siècle, de Jean Mettas, édité par Serge Daget, appelé dans la suite « le Mettas ».
C’est dans le « Mettas » que notre correspondant a trouvé l’information suivante :

« Les frères Salles ont armé en propre (sans intermédiaire) un négrier "le Tapageur" de 140 à 150 tonneaux, capitaine Morvan. Parti le 9 août 1786, il apporte entre 109 ou 120 esclaves au Cap (actuelle Haïti) le 26 mars 1787 et est de retour à Marseille le 5 août 1787. »

Les "Feuilles maritimes de Nantes", désormais accessibles en ligne, listent les navires en armement, au départ ou à l’arrivée, pour les ports suivants : Nantes, Lorient, Le Havre, La Rochelle, Bordeaux, Marseille. Pour chaque navire, le tonnage, le nom du Capitaine, celui de l’armateur, la destination, le cas échéant, la date de départ ou d’arrivée, sont mentionnés.
A la lecture de ces feuilles, notre correspondant constate :
« Pour les seules années 1785, 1786 et 1787, huit navires armés par les frères Salles ont fait escale à Nantes : L'Olympe (armé avec d'autres), L'Emilie-Angélique, Le Tapageur, La Thétis, La Lise, Le Martiniquais, L'Hélène, Le Marius.
Cette activité est très importante et oblige à considérer les frères Salles comme les principaux armateurs de la place.
Bien entendu, bien que tous à destination de la Martinique rien n'indique que ces navires (en dehors du Tapageur) étaient négriers. »

Il sera sans doute aisé de vérifier si ces bateaux transportaient ou non des esclaves.
Toujours est-il que parmi les huit noms, on trouve L’Émilie-Angélique, La Lise et Le Marius, il s’agit des prénoms des trois enfants de Charles. En effet, Manette est baptisée sous le nom de Marie Angélique Émilie.

Charles Salles aurait-il acheté d’autres bateaux que le Charles-Louis ?
Notre correspondant apporte rapidement un élément de réponse.
En poursuivant sa lecture, il a trouvé au moins 19 navires armés entre 1782 et 1790, dont 15 armés sous la seule raison Charles et Louis Salles :
L’Américaine (armé avec d’autres), L’Amitié, L’Orphée (armé avec d’autres), La Créole (armé avec d’autres), Le Lynx, Le Sapajou, L’Iphigénie, Le Tapageur, La Clarice, L’Olympe (armé avec d’autres), L’Émilie-Angélique, La Thétis, La Lise, Le Martiniquais, L’Hélène, Le Marius, Le Charles-Louis, La Marie-Angélique, Le Saint Huberti.
Ils sont pratiquement tous à destination de la Martinique et viennent de Marseille. Les rotations des bateaux sont nombreuses et ils en sont, pour certains, les seuls armateurs. Il est bien probable que tous ces bateaux leur appartiennent. Nous avons un tableau du Charl-Louis, du Sapajou, de L’Orphée et d'un quatrième vaisseau dont le nom est inconnu.

Notre correspondant a depuis découvert aux archives départementales des Bouches du Rhône un fond très intéressant et peu connu. Il s'agit des déclarations d'achat des navires suite à une ordonnance royale de 1716. Un bateau pouvait appartenir à plusieurs personnes ou sociétés. L’ensemble était divisé en 24 parts appelées « quirats ».
Les deux premiers bateaux ont été achetés les 4 et 5 mars 1772, Le Comte d’Estaing et La Masianne. Pour chacun d’eux, 12 quirats pour Charles Salles, 6 quirats pour Dame Antoyer veuve Moreau, sa belle-mère et 6 quirats pour Dame Moreau veuve Madey, sa belle-sœur.
En 1773, La Thésée, 12 quirats pour les Sieurs Salles et frères de la Martinique, 6 pour Dame Moreau veuve Madey et 6 pour Charles Salles.
En 1776, L’Orphée, 12 quirats pour Charles et Louis Salles, 6 pour Dame Antoyer veuve Moreau, 6 pour Dame Moreau veuve Madey.
Charles et Louis Salles achètent ensuite en totalité ou en partie, en famille ou avec d’autres négociants, des bateaux qu’ils rebaptisent : Le Diligent et Le Sapajou en 1781, Le Tapageur en 1782, La Lise en 1786, Le Martiniquain et Le Marius en 1787, Le Charl-Louis et La Marie-Angélique en 1788.

Le Charl-Louis a tout d’abord été acheté le 4 décembre 1786 avec l’objectif de l’expédier aux Indes orientales. (Cf. le document d’achat et d'affrètement). Mais ce projet échoue et il est revendu le 4 janvier 1787 pour être racheté le 24 novembre 1788, 12 quirats pour Charles et Louis, 12 pour Jean-Baptiste Salles.

Sur le site du Groupe de Recherche en Archéologie Navale en Martinique (GRAN), on trouve le paragraphe suivant sur la traite négrière.
« C'est dans le cadre de l'économie coloniale de plantation que la traite négrière est devenue un aspect fondamental de l'activité commerciale entre 1650 et 1830  Mais les voyages de traite ne représentent pas la majorité des liaisons commerciales. Il faut savoir que les profits de la vente d'esclaves sont tels que, dans un monde où la monnaie métallique reste rare, pour le payement de la cargaison d'esclaves d'un voyage triangulaire plusieurs voyages dits "en droiture" sont nécessaires afin d'exporter la contre- valeur de ce chargement en denrées coloniales.
Ainsi le commerce du sucre et son annexe obligée, la traite des Noirs, est-il le moteur d'une activité commerciale intense entre l'Europe et les Îles de l'Amérique. »

Les recherches sur l’implication de Charles et Louis Salles dans la traite négrière ne font que commencer. D’autres documents suivront.