22 Mai 1839 - Lettre d'Anaïs Bousquet à Constance Salles 

Résumé :
Lyon le 22 mai 1839. Lettre d'Anaïs Bousquet à Constance.
Son beau-père Achille Bousquet vient de mourir il y a 3 jours d'une attaque d'apoplexie.
Mon mari Achille junior est à Paris bien entouré. Constance doit apprendre cette nouvelle à sa belle-mère avec beaucoup de ménagement.


Mercredi 22 mai 1839

C’est à vous que je m’adresse ma chère Constance, pour vos prier d’apprendre avec toutes les précautions que vous inspire votre tendresse pour ma belle-mère, l’horrible malheur qui vient de l’atteindre encore. Son mari a succombé dimanche soir à 8h et demi à une attaque d’apoplexie prise la veille à 9h du matin, pendant qu’il lisait son journal. Hier encore en écrivant à ma pauvre belle-mère, je ne pouvais douter que nous fussions menacés d’un grand malheur. Car je savais déjà que mon beau-père avait été administré dès le samedi soir, mais comme en même temps ma tante m’écrivait qu’on lui faisait beaucoup de remèdes, et qu’il avait 3 médecins et recevait les meilleurs soins, je comptais encore, sur la force de son tempérament. L’atteinte a été mortelle dès d’abord, car à la première saignée faite aussitôt par un médecin qui logeait en face, il l’a déclaré à mon pauvre Achille.

Pensez un peu, ma chère amie, à ce bon Achille, à sa position, à son chagrin, à son éloignement de nous tous. Il ne m’a point écrit, c’est ma tante qui le remplace, mais elle m’assure qu’il se porte aussi bien que possible, et que le chagrin seul le retient. Son ami Voron s’est montré pour lui, comme le frère le plus parfait, le plus tendre, le plus dévoué. J’y comptais, connaissant son excellent cœur. Je remercie Dieu, qu’il ait tenu à amener Achille avec lui à Paris, car pour un fils tendre et dévoué comme Achille, c’est une grande douceur dans les souvenirs que de pouvoir se dire qu’on a bien soigné son père et reçu son dernier soupir.

Ma tante me répète que mon beau-père a reçu les sacrements en parfait chrétien. Il a été couvert de sinapisme, de sangsues derrière les oreilles (...illisible), 3 vésicatoires aux cuisses, mais l’épanchement au cerveau n’a pu être détourné. Il n’a pas souffert.

On croit seulement que les remèdes l’ont fait vivre quelques heures de plus le dimanche. Son attaque s’est manifestée en laissant échapper son journal qu’il lisait. Heureusement que son fils était près de lui et comme il vit son père faire de vains efforts pour ramasser la feuille avec un bras qui ne bougeait pas, il comprit de suite la position et le fit coucher.

J’ai encore plusieurs lettres à écrire, voir la bonne-maman. Il faut que je vous quitte brusquement, chère cousine. Je suis bien affligée de la mort de mon pauvre beau-père, car je l’aimais beaucoup. Il était pour moi et mes enfants, d’un dévouement sans bornes. Puis il est si triste de perdre de bons parents et notre famille se rétrécit tellement, hélas! dans les membres les plus essentiels ! La pauvre bonne-maman est encore dans une complète ignorance, il faudra bien des ménagements pour elle vu son grand âge. Mon pauvre Achille me fait une profonde pitié et je me tiens à quatre pour ne pas aller le rejoindre. Je lui ai écris hier que j’étais prête à partir s’il le désirait. Je sais qu’il a d’excellents amis qui se sont montrés parfaits tous.

Adieu chère Constance, je vous charge d’une rude tâche. Ma pauvre belle-mère si sensible, si éprouvée déjà, sera bien fortement ébranlée. Je regrette de ne point l’entourer en ce moment solennel. La vue de ses petits enfants lui aurait offert quelque douceur. Assurez la, je vous prie, de tout mon attachement. Je lui écrirai demain.

Mes respects et mes amitiés à tous ceux qui vous entourent. Valentine fait la même demande. Adieu, je vous assure de mon affection et vous prie, chère Constance, d’y compter à toujours.


Adresse :
Mademoiselle Constance Salles
Rue du Baignoir 35
Marseille

Cachets de la poste :
LYON 22 MAI 1839 et MARSEILLE 23 MAI 1839