12 Février 1832 - Lettre Julie Rolland à sa tante Meisssonier

Résumé :
12 Février 1832. De Marseille lettre de Julie Rolland à sa tante Meissonier (née Samatan) habitant Avignon.
A propos du mariage de Constance Salles et de Jacques Albert Fine. Description des cadeaux.


Ma chère tante,

Je crains de vous avoir fait soupirer bien longtemps les détails que vous désirez avoir sur le mariage de Constance mais aujourd'hui aucun obstacle ne m'empêchera de vous dédommager du retard qu'a éprouvé ma lettre. Si j'ai le regret, ma bonne tante, de remplacer maman qui se serait sans doute mieux acquitté de cette fonction, j'en suis amplement dédommagée par le plaisir que j'aurais de parler quelques instants avec vous et, si je forme un souhait, c'est celui de voir ces occasions se renouveler plus souvent.

La famille de Mr Fine est très nombreuse. On y compte d'abord d'un premier mariage avec la sœur ainée de Mme Fine, une demoiselle de 40 ans appelée vulgairement Melle Eulalie, très sèche, possédant toute la fortune de sa mère, chérissant tendrement son frère auquel il parait que la fortune reviendra. Monsieur Albert qui dans ce moment nous met tous en mouvement, n'est que le fils de la seconde femme, Mme Langier étant une sœur de Mme Fine, elle a trois fils dont la plus jeune a 26 ans et deux filles d'un âge déjà assez avancé, Mr Rolland est un frère à Mme Fine, sa fille déjà mariée est Mme Michel, elle a deux petits enfants.

Mme Mattand, nièce à Mme Fine par une de ses sœurs morte depuis très longtemps, a trois petits garçons. Toutes ces personnes possèdent une très grande fortune, encore ne les ai-je pas toutes nommées.

La chaine des cousins et cousines est si longue que vous l'embrouilleriez.

Je n'ai pas besoin de dire que la joie est universelle et portée à son comble, toutes les dames l'ont fait … par les brillants cadeaux dont on a accablé Constance.
En voici l'énumération : Mme Rolland a donné un pot à l'eau et une cuvette en vermeil de toute beauté pour orner la commode, un joli commencement, d'un côté il y a une belle écuelle avec une assiette dessous en vermeil donnée par Mme Langier et de l'autre une tasse avec sa soucoupe en vermeil venant de Mme Michel. Mme Colona a donné un bougeoir et l'éteignoir en vermeil, Mme Renussy un gobelet et une soucoupe en vermeil, Mme Estrangin une veilleuse en porcelaine dorée avec deux flacons également en porcelaine, Mme Alexis un tête-à-tête, autrement dit un petit cabaret(1) en porcelaine travaillée.

Dans notre famille elle a reçu de mon oncle Hypolite une très jolie robe, de Mme Samatan une descente de lit d'un nouveau genre, c'est une peau de tigre superbe qui doit être d'un grand prix, mais ce genre est si nouveau que tout le monde a été surpris, les uns d'admiration et d'autres de consternation.
Mme Chauvet a envoyé une petite table pour l'ouvrage, du meilleur goût et d'un genre tout-à-fait nouveau.

Quant à nous qui n'avons pu atteindre à la hauteur de toutes ces belles choses, nous sommes contentées de broder à Constance des écrans(2) sur velours cerise qui sera avec le blanc la couleur de son meuble. Cette broderie n'a que le mérite de la nouveauté, c'est partie écaille blanche et partie canetille(3) mais l'avons fait venir de Lyon qui les trouve très riches.

Mme Canaple dont vous devez déjà avoir appris la renonciation, a donné un nécessaire en or. Tous les cadeaux n'ont été que le prélude de ce que je vais vous raconter.

Après beaucoup d'attente est arrivée huit jours avant le mariage la corbeille tant désirée, la boite elle-même est quelque chose de très beau, elle contenait deux écrins, l'un renferme un peigne en diamant de toute beauté, un collier, les boucles d'oreille, trois bagues et un solitaire entouré de perles fines pour mettre sur le front ; dans le second écrin, on trouve un peigne en or, une chaîne aussi grosse que le petit doigt, des bracelets, une montre, un crochet, une épingle pour mettre devant sur les pèlerines, des pendants d'oreilles, une boucle de ceinture.

Si je dis que le tout est magnifique, ce n'est pas assez dire. Le reste de la corbeille contenait trois robes, une en velours noir, une en moire hortensia et une en chailli blanc broché ; deux cachemirs des Indes de toute grandeur, l'un blanc et l'autre rouge, une toile en blonde(4) noir et l'autre en blonde blanc, un bayader (?) en blonde blanc et deux rangs de blonde d'un pans de haut pour garnir la robe en chailli.

Les autres choses étaient suivant l'usage des bas de soie à jour, des gants, des heures (?), un brin d'oranger, et une bourse de 1200fr.

J'ai oublié que Constance avait reçu de sa mère une bague avec cinq diamants superbes ; de la sœur Mme Salles un bayader(?) en blonde noir et de mes cousines Chauvet, des écrans(3) et un rouleau de serviette d'un joli goût.

Si vous n'êtes pas fatiguée de me lire, ma chère tante, je ne le serai pas non plus de vous raconter. Tout comme vous avez vu jusqu'à présent, c'est assez la grandeur et l'opulence. Constance semble ne devoir respirer que le bonheur, au moins est-il certain que son mari et sa belle-mère ne travailleront qu'à le lui procurer. Vous seriez singulièrement touchée, ma tante, si vous voyiez combien tous ces gens sont bons et affables. Tous les soirs ma tante a une petite soirée ; le dimanche elle est ordinairement de 40 personnes et la noce, selon les probabilités sera de 70, aussi a-t-on été obligé de louer une grande salle pour ce jour-là.

La fête sera un peu troublée par la douleur qu'a eu hier Mme Puget de perdre hier un enfant de 14 mois, et étant elle-même au lit, car elle attend une fausse couche. Ce contre-temps joint (… papier déchiré) de ne pas vous voir, ma chère tante, sera une diminution (… papier déchiré) et de plaisir. Vous pouvez supporter à présent par l'état des (… papier déchiré) que je vous ai dépeint, ce que sera cette fête, et combien maman qui aime tant le soin de son … aura besoin de prendre sur elle pour avoir l'air de partager la joie commune. Elle est moins triste depuis quelques temps, les nouvelles que nous recevons fréquemment d'Anaïs sont bien consolantes parce qu'il parait qu'elle est bien heureuse.

Pour moi, ma chère tante, tout en partageant la douleur de maman, je me ressens un peu de ma jeunesse car je m'amuse pas mal à l'occasion de ce mariage. Nous craignons que la pluie qui est bien établie, ne vienne nous contrarier ces jours-ci, ce qui serait fort désagréable.

C'est mercredi que le mariage aura lieu.

J'espère ma chère tante avoir satisfait tous vos désirs par mes détails (même un peu minutieux), mais vous m'excuserez, l'envie que j'avais de voir ma tante aussi bien que nous au courant de tout ce qui se passe dans la famille. Vous excuserez aussi j'espère, le gribouillage dont mon mauvais papier est la cause.

Je vous prie de me rappeler au souvenir de mon oncle et de croire, ma bonne tante, à la sincère affection de votre soumise nièce

Le 12 février 1832                                       Julie Rolland

Melle Eulalie a donné un sucrier en vermeil magnifique.


(1)Cabaret : ensemble formé par : cafetière – théière – sucrier – crèmier (laitière basse) – laitière (haute) et les tasses à thé, à café, à moka ainsi que les génieux (tasse à café au lait).   Site    Photo

(2) Ecran : sorte de petit paravent. Par exemple écran de cheminée. Meuble constitué d'un plan vertical, servant à protéger de la chaleur du feu ; généralement posé au sol, il peut être à panneau fixe ou mobile et de hauteur réglable.   Site    Photo

(3) Canetille : fil creux d'or ou d'argent tortillé en spirale, utilisé en broderie. Site

(4) La Blonde est une dentelle à fond clair. Le réseau est travaillé dans un fil de soie (blonde) très fin. Pour les motifs, on utilise un fil de soie plus épais et moins tordu qui contraste avec la finesse du réseau et donne un aspect très brillant à la dentelle. Site


Adresse :
A Madame
Madame Meissonier née Samatan
A Avignon