Résumé :
De Paris, lettre de Charles à sa fille Manette à Marseille.
Il a rencontré la veuve de Marius qui va se remarier.
Elle a eu de Marius un beau garçon.
Il a été très bien reçu par Mme Blondel.
Lise a 2 enfants : 1 fille de 5 ans, 1 garçon de 10 mois.
Il est reçu vénérable de la Loge écossaise.
Il ne sera pas à Marseille avant le 1er octobre.

Paris le 22 mai 1807

J’ai reçu avec d’autant plus de plaisir, ma bonne amie, la lettre que tu m’as fait l’amitié de m’écrire le 14 courant, que connaissant toute ta paresse à prendre la plume je ne devais pas m’attendre, je te dois donc de plus grands remerciements et je me hâte de les faire agréer et de t’assurer de ma reconnaissance pour les vœux que tu formes pour ma santé. Elle est toujours assez belle jusqu’à ce moment.

Je te renvoie à la lettre que j’adresse aujourd’hui à Benjamin pour connaître les détails de mon entrevue avec Madame Marius qui partit avant hier avec son fils pour aller s’engager dans de nouveaux liens à Nozieux⁽¹⁾. Je désire qu’elle soit aussi tendrement aimée et aussi heureuse qu’elle l’a été avec ton malheureux frère. Son fils est un fort beau garçon et un charmant enfant auquel je dois éviter de m’attacher pour éviter le chagrin d’en être éloigné pour toujours selon les apparences.

Ma lettre à Benjamin t’aura aussi fait connaître la réception que m’a faite Madame Blondel. Au reste, tous ceux qui l’approchent m’ont assuré qu’elle se conduisait à merveille, qu’elle était fort régulière, pieuse et charitable. Elle m’a paru que son mari était rempli d’égards pour elle et qu’ils vivaient à merveille et dans la plus tendre cordialité. Dieu veuille que cela continue c’est le vœu bien sincère que je fais pour le bonheur de l’un et de l’autre. Lise a deux enfants dont une fille de 5 ans qui est remplie d’esprit et d’une très jolie figure ; l’autre est un petit garçon de 10 mois qu’elle nourrit. Elle paraît leur être tendrement attachée. Blondel gâte sa fille qui est charmante il est vrai, par ses espiègleries aimables.

J’apprends avec plaisir que notre petite Constance n’est pas moins aimable, qu’elle se porte bien et qu’elle parle souvent de son grand Papa. Je la remercie bien de son bon souvenir et l’embrasse aussi tendrement que je l’aime. Elle sait bien la petite coquine que c’est du milieu de mon cœur. J’embrasse de même notre garçon. En m’annonçant que Constance a perdu une dent qui lui a été enlevée par le fameux dentiste Mlle Sophie, tu aurais bien dû me marquer s’il en eut poussé quelques unes à Charles-Louis.

J’approuve le désir que montre le garçon d’être toujours dehors, c’est une preuve qu’il ressemblera à son grand papa et qu’aimant l’exercice, il jouira comme lui d’une bonne santé. Puissent mes vœux être exaucés, ma chère Manette, tu n’auras rien à souhaiter à cet égard. Dis à Sophie qui comprend seule son baragouin de lui rappeler quelque fois la mémoire de son grand papa. Je l’invite à lui faire deux bonnes caresses pour son compte.

J’ai appris avec peine la mort de cette pauvre Sylvie accoutumée à vivre depuis 16 ans avec ses petits animaux. Je m’étais fortement attaché et je t’assure que je les regrette l’une et l’autre bien sincèrement. J’espère que, conformément à mes désirs, Sophie aura réuni cette pauvre Sylvie dans la même tombe que ma Bébé, il me serait désagréable d’apprendre qu’elle n’eut pas suivi mes intentions à cet égard.

J’ai répondu hier à la lettre qui m’annonce ma confirmation au Venerablat de la Loge Ecossaise. Je la supplie de me dispenser de cette charge à raison de mon asthme qui devient journellement plus pénible pour moi. J’espère qu’ayant égard à ma déclamation, ils m’aimeront assez pour faire une nouvelle élection. Je l’apprendrais avec plaisir, d’autant que je ne serai peut être pas de retour à Marseille avant le 1er Septembre.

Mon respect à ma chère tante, dis lui qu’il est impossible de chercher le capital de 3432 livres sur la Provence si elle n’envoie pas le contrat ou les titres qui en faisaient connaître la date du placement et les noms de ceux qui l’ont faits sans cela il n’est pas possible de trouver ce qu’elle désire. Si elle peut m’envoyer quelques unes de ces pièces je ne négligerai rien pour découvrir ce que tout cela est devenu. En attendant, embrasse la bien sincèrement pour son jeune … Bien des choses à Figuière, à la nourrice et à ta folle. Dis à cette dernière que je fais des vœux pour ne pas la voir en passant lors de mon retour aux … grillées de Saint Lazare. J’en serais fâché car c’est réellement une bonne fille.

Donne-moi quelques fois de tes nouvelles, ma chère Manette, compte que Dieu ne peut m’être plus agréable que de savoir par toi-même que tu te portes bien ainsi que tes chers enfants. Je vous embrasse tous les trois avec la plus tendre amitié. Bien des choses à Sophie à qui je recommande la sagesse, ma maison et ma campagne.

Sir Charles

Adresse :
Madame Manette Salles
Marseille