4 Mars 1803 - Lettre de Charles Salles à ses fille Manette et Lise

Résumé :
Lettre de Paris, de Charles à ses filles Manette et Lise à Marseille.
Il relève de maladie et se trouve encore bien faible.
Achille lui écrit qu'il va aller rechercher Lise son épouse en séjour auprès de Manette pour tenter de lui remonter le moral, sans grand succès semble-t-il (Manette a perdu 2 de ses enfants de 8 et 6 ans, il reste Constance 3 ans).
Il a reçu une lettre de Marius du 15 octobre qui s'apprête à rentrer en Europe avant la fin avril.
Ravi des lettres de Lise et de son mari donnant de bonnes nouvelles de leur fils Achille2.


Mesdames Salles et Bousquet                  Paris le 4 mars 1803

A Marseille

Je ramasse, mes chers enfants, le peu de forces que j’ai acquis pour me lever, pour vous donner moi-même de mes nouvelles et vous rassurer sur ma situation. Ma maladie n’a jamais été absolument dangereuse mais m’a été extrêmement souffrante, fatigante et pénible pour moi et surtout désespérante par sa longueur dans les circonstances où je me trouve.

Je suis beaucoup mieux aujourd’hui quoique très faible encore et sans absolument aucun appétit mais j’espère qu’un peu d’exercice, de promenade et surtout la belle saison sous laquelle nous marchons à grands pas pourront concourir à ma prompte convalescence et à mon parfait rétablissement. J’en ai bien besoin car depuis longtemps ma pauvre santé est bien en mauvais état.

J’ai reçu la lettre que ma petite Lise m’a écrite le 20 du mois en cours. Je vous remercie toutes deux des marques d’intérêt et d’attachement que vous me témoignez. J’y suis d’autant plus sensible connaissant votre sentiment pour moi que je suis bien assuré de leur sincérité.

Soyez bien persuadés, mes chers enfants, que les miens pour vous ne sont ni moins vifs ni moins vrais. Achille, dont j’ai reçu une lettre ces jours derniers me marque qu’il se dispose d’aller reprendre sa Lise, dont je vois avec peine, le peu de succès du voyage auprès de sa sœur. Je suis désolé que les circonstances s’opposent au désir que j’aurai d’aller la remplacer et tacher de calmer la douleur que ma pauvre Manette éprouve encore. Je l’invite cependant à ne rien impliquer pour oublier ses malheurs. Ces sortes d’évènements arrivent dans toutes les familles et les chefs doivent être trop raisonnables pour ne pas chercher les moyens de soulagement que leur offre la religion, les autres enfants et leurs familles.

D’ailleurs tous les chagrins sensibles ne peuvent rien changer et souvent, au contraire, devenir très pénibles à ceux qui s’y livrent avec trop de violence. Je t’engage ma chère Manette, à ne pas me donner le chagrin de te savoir malade et à écouter ta raison : la religion et la voie de ta famille pour oublier tes malheurs et calmer ta douleur.

Pour y parvenir il faut te distraire beaucoup et soigner toutes les idées chagrinantes qui peuvent te venir, comme de mauvaises pensées que tu dois écarter. Je t’invite, ma chère Manette et te prie d’embrasser tendrement pour moi ta chère petite Constance. J’espère beaucoup d’avoir le plaisir de vous embrasser tous dans le courant de cet été, si je n’éprouve pas dans mon projet de nouvelles contrariétés.

J’ai reçu des nouvelles de Marius du 15 octobre. Il jouissait à cette époque d’une bonne santé. Il se disposait, me dit-il, à faire un retour en Europe avec sa femme comme il me l’avait promis, à la fin d’avril prochain ; j’espère qu’il tiendra parole car je serais bien mortifié qu’il fasse un autre hivernage dans les colonies.

Ma tête commence à m’assurer qu’il est temps de quitter la plume, je ne le puis cependant sans remercier ma petite Lise de sa petite lettre qui m’a fait un plaisir extrême, ainsi que celle de son mari qui me donne l’assurance que son petit Achille 2 se porte à merveille et qu’il attend avec bien de l’empressement sa petite bonne maman. Vous faites tous, mes chers enfants, dans ma maladie, les objets de toutes mes pensées et de ma consolation. J’ose me flatter que vous en êtes bien persuadés.

Pour ma première lettre il me semble que je ne vais pas si mal. J’espère que mon tonus me permettra d’en faire deux bientôt dans la suite. En attendant embrassez le cher Benjamin du milieu de mon cœur. Dites lui combien je suis sensible à l’intérêt qu’il prend à ma situation. Je lui en ferai mes remerciements en répondant surtout à sa 2ème lettre que je viens de recevoir.

Agréez, mes chers enfants, avec les vœux que je fais pour votre bonne santé, l’assurance très sincère du tendre attachement de votre vieux bon-papa.

Ch. Salles