8 Octobre 1800 - Lettre de Charles Salles à sa fille Manette

  

Résumé :
écrite à Hambourg par Charles Salles à sa fille Manette, femme et cousine de Benjamin, habitant Marseille.
Benjamin vient d'arriver à Hambourg. Charles désireux d'aller aux Antilles régler ses affaires, bloque Benjamin à Hambourg jusqu'au printemps 1801 pour y diriger sa maison de commerce en attendant que Louis, frère de Charles, ne vienne de Philadelphie pour assurer la relève.
Charles tient à écarter les prétendants qui rodent autour de la fiancée de son fils Marius et de sa fortune, fille de Jean-Baptiste, Aglaé. Lise ?

Noms propres :
Mme Roux – Figuere – Mr Veyier


                                            Hambourg le 8 Octobre 1800

Je t’ai fait part, ma douce amie, de l’arrivée auprès de moi de ton mari au moment qu’elle avait lieu. Je viens le confirmer, la satisfaction que j’ai éprouvé de le voir et de l’embrasser.

Et t’annonce aujourd’hui que, m’étant déterminé à retourner dans notre pays avec ton frère, je dispose et fais usage de l’amitié que ton mari a pour moi, pour le charger, jusqu’à l’arrivée de ton oncle Louis de Philadelphie, de l’administration générale de toutes mes affaires dans cette ville où je l’ai prié de faire sa résidence jusqu’au printemps prochain, époque de l’arrivée de ton oncle Louis.

Je suis désespéré de t’en priver jusqu’alors mais s’il n’eut pu me rendre ce service il m’était impossible de mettre à exécution la résolution que j’ai prise, évènement qui eut pu faire manquer absolument l’établissement de ton frère dont Benjamin t’a fait part.

Tu connais les motifs de ce voyage pénible pour ton papa. Ils sont trop puissants pour que tu n’approuves pas sa détermination, elle est fondée en partie sur l’assurance où je suis que ma présence contribuera beaucoup à l’accomplissement de notre projet et des dernières volontés de ton oncle Jean-Baptiste qui n’a rien négligé jusqu’au dernier moment pour faire connaître à sa fille tout le désir qu’il avait de son union avec mon fils.

Elle lui a promis, mais sa fortune attirant l’attention générale de la colonie, il est important que ma présence éloigne tous les prétendants et que je mette fin à un projet formé depuis de longues années et qui faisait l’objet des plus ardents désirs de ton oncle.

L’importance de cet établissement pour ton frère et par suite pour la famille, et pour ton mari en particulier, le désir sincère que montre toute notre famille du pays de voir cette union, tout se poursuit et concourt à m’engager à faire ce voyage et le sacrifice de mon bien être pour assurer celui de mes enfants, heureux si mes peines et mes sollicitudes sont couronnées du succès que l’union promet et si, en finissant ma carrière, j’ai la satisfaction de vous voir tous heureux et de mériter vos regrets et vos larmes.

Je pars donc ma bien grande amie sous peu de jours et tu connais assez les sentiments d’amour que j’ai pour tous mes enfants pour imaginer combien j’ai le cœur déchiré de douleur de l’éloignement où je vais me trouver de chacun d’eux. Il n’est que l’espoir de vous voir tous dans très peu de temps qui à peine adoucit la situation douloureuse que j’éprouve de notre séparation.

En attendant ma chère et bonne fille j’espère que tu ne négligeras rien pour me donner toute la satisfaction que j’exige de toi et que tu me donneras le plus fréquemment que tu le pourras de tes nouvelles, de celles de tes enfants et de tout ce qui peut intéresser le cœur et l’âme de ton bon papa.

Envoie ta lettre à Benjamin, il sera exact à me les faire passer. N’oublie pas que ce sera le seul moyen de calmer mes inquiétudes sur ton sort et celui des tiens. N’oublie pas que ce sera celui de me donner des preuves des degrés d’attachement que tu me portes et de me consoler enfin de la privation de ceux qui sont les objets les plus chers à mon cœur et de m’étourdir sur l’immensité des mers qui nous séparent.

Adieu ma fille chérie. Embrasse bien tes chers enfants pour moi. Je désire qu’ils aient pour toi la même tendresse que j’ai pour leur mère. Si le Ciel dispose de moi ma fille, n’oublie jamais la mémoire de ton bon papa à qui tu es si sûre. Ton frère se porte bien, il l’écrit lui-même. Adieu ma fille je ne puis plus continuer mon cœur est dans un mal air que les larmes seules peuvent dégager. Adieu, je t’embrasse un millier de fois et suis pour la vie ton bon papa.

Dis rien de ces choses pour moi. À Mme Roux et à Figuère fais leur part du projet d’établissement de Marius en les priant d’être discrets et de n’en rien dire parce que sous tous les rapports il ne faut pas en convenir et croire dire le contraire.

Je te recommande Victorine, fais la venir souvent chez toi ; l’attachement que ton oncle portait à ces deux enfants doit m’engager à ne rien négliger pour concourir à leur bonheur. D’ailleurs ce pauvre Baptiste me l’a si fortement et si particulièrement recommandée que je le dois à sa mémoire de le remplacer dans tout ce qui pourra dépendre de moi.

Adieu ma chère fille adorée, fais moi le plaisir ma bonne amie de rendre à notre ami Veyier la lettre de change incluse et de lui dire mille bonnes choses pour moi.


Adresse :
Mad. Salles
Rue du Baignoir N°24
A Marseille
Tampon : HAMBURG