30 Octobre 1773 - Lettre de Marie Questel à son fils Charles

Résumé :
Lettre de Marie Questel à son fils Charles. Elle remercie son fils de la lettre que lui a apportée Le Capitaine Gueint qui a dîné un soir avec elle, mais ne reste à St Pierre que 8 jours avant de repartir pour St Domingue.
Elle remercie son fils de bien s'occuper du cher Babonneaux; elle s'étonne que la santé de Mme Babonneaux se soit améliorée et espère que l'air de Lyon lui sera bénéfique; Mme Babonneaux mère est très inquiète de l'état de santé de sa petite fille, ne pas en parler à Babonneaux.
Elle est très sensible au soin qu'il prend de sa sœur Bichonne.
Merci pour 2 caisses de fruits à l'eau de vie et 3 pots de grillottes. Nous entrevoyons un bon voyage pour ce pauvre Jung (mari de Manette) qui puisse dédommager Charles de celui de la Marianne.
Elle est ravie d'apprendre que le voyage de Louison à Bordeaux lui a fait beaucoup de bien; merci de vous en occuper.


Lettre de Marie Questel à son fils, sans doute Charles, bien que la lettre finisse par la mention d’une « petite lettre » pour « son petit cadet ».

De St Pierre de la Martinique le 30 octobre 1773

J’ai bien reçu mon cher fils la lettre que vous m’avez fait l’amitié de m’écrire par notre cher Capitaine Guient que je n’ai pas eu le plaisir de posséder longtemps car il n’est resté ici que huit jours et pendant ce peu de temps a été fort afféré et par conséquent m’a privé du plaisir de m’entretenir de vous et de toute ma famille. Tout ce que j’ai pu obtenir de lui pendant son peu jours a été de venir souper avec moi la veille de son départ. Je l’ai vu partir ce cher ami commun avec bien de la peine. Fasse le Ciel qu’il sentit mieux à St Domingue qu’il n’aurait fait ici car les affaires y sont harassantes ! Voilà le sort du commerce mon fils. Il faut espérer que vous rencontrerez mieux une autre fois.

Je suis des plus sensibles mon fils, aux marques d’amitiés et de politesse que vous avez donné à notre cher Babonneaux. Vous avez secondé mon intention à pareille occasion vous savez, et vous avez été témoin vous-même de toutes les bontés de la mère pour moi et pour tous vous autres, aussi mon fils soyez reconnaissant en toute occasion qu’il aurait besoin de vous, et vous m’obligerez toujours bien sensiblement.

Vous me dites que la santé de madame Babonneaux a repris à la mère. Cela m’a bien étonné mon fils vu l’état funeste où elle était lors de son départ mais qu’elle continue d’avoir toujours une toux qui la fatigue soir et matin et que vous craignez qu’elle n’ait la poitrine affectée. On a regardé cette maladie dans le pays, déjà bien caractérisée, mais on espère que l’air de Lyon pourra lui être favorable. Pour moi je n’augure rien de bon car cette prétendue graisse dont on dit qu’elle l’a acquise de sa mère, ne serait elle pas une plutôt une bouffisure (?) qu’une graisse naturelle ? Je crains plutôt l’un que l’autre. Fasse le Ciel que la pauvre femme puisse rencontrer dans l’air de la ville de Lyon le rétablissement de sa santé.

Elle le mérite en vérité par son bon caractère et sa grande douceur. Il est bien triste qu’à son âge et par un accident, elle périsse d’une telle maladie et qu’elle laisse par surcroît de peine, des enfants confus.

Pendant cette maladie nous avons la pauvre madame Babonneaux mère ici qui meurt de chagrin. Elle a la petite fille (Lenoir) attaquée d’une maladie, dont je ne me rappelle plus du nom dans le moment, où on craint beaucoup pour ses jours. Elle en envoie le (tableau) à son oncle pour la faire consulter par les médecins de chez vous avec prière de n’en rien dire à son fils. Au cas où Babonneaux n’était point à Lyon, je vous prie d’être discret sur cette affaire car ce serait augmenter ses peines, ne doutant point de celles qu’il a sur le compte de la chère maman.

Vous avez raison de me dire que Bichonne ne me laisse rien à désirer pour ce qui me regarde. Non, mon fils. Vous avez raison toutes les lettres que j’ai reçu d’elle font mention de toutes les bontés que vous avez pour elle ainsi que de toutes vos dames. Elle me fait part d’avance des peines qu’elle aura quand il faudra se séparer de vous et de toute votre maison.

Quant à moi mon fils je n’ai jamais été inquiète sur votre compte je vous ai toujours connu bon fils et bon frère pour n’avoir jamais douté de toutes les bontés que vous avez pour votre sœur, vous m’en donnez tous les jours des preuves sensibles ainsi que celles de votre attachement.

 

J’espère que Bichonne se rendra digne de tant de bontés par une reconnaissance éternelle elle ne me laisse rien à définir sur tous les biens me dit-elle qu’elle reçoit chez vous, elle en est comblée.

Quant aux affaires de nos pauvres religieux nous ne pouvons rien encore. Les derniers bâtiments rapportent que (pèrot) devait partir dans peu, les autres nous disent qu’ils ne viennent plus, de sorte que nous sommes toujours dans de grandes alarmes et nous sommes actuellement comme quand nous étions menacés des anglais. Vous vous souviendrez peut être encore de ces malheureux temps ? He bien c’est tout de même ! Dès que l’on voit paraître un bâtiment à la pointe, un peu gros, tout le monde est dans la consternation et dans les pleurs, tant on redoute cette compagnie.

Pour moi mon fils s’ils arrivent je pars, malgré que notre cher Guient, dans qui je compte faire le voyage me manquait, je prends parti dans celui de notre cher (Guient ?), ainsi je pars. J’aurai assurément autant de confiance dans l’un que dans l’autre.

Je n’ai pas voulu faire part de toutes les bonnes volontés que vous avez pour notre vénérable curé parce qu’on évite de lui parler de tous ces malheurs-là tant il est affecté de peines pour tout ce changement. Je lui ai assuré de votre respect et il m’a chargé de vous remercier de votre souvenir en vous faisant mille compliments.

Je vous suis sensiblement obligée des deux caisses de fruits à l’eau de vie et des trois pots de griottes que vous avez eu la bonté de m’envoyer. Ils se sont trouvés tous très bons.

Il semble que les affaires depuis deux jours veulent changer de mal en bien. Si cela continue nous entrevoyons un bon voyage pour notre pauvre Jung et j’ose même l’espérer Dieu veuille que je ne sois point trompée dans mon espérance et que le voyage puisse vous dédommager de celui de la Marianne. Je le désire en vérité de toute mon âme. Nous l’espérons dans la fin de cette année ou dans les premiers jours de la prochaine, et nous le verrons avec bien du plaisir. Le pauvre Mr Guient les a quitté comme vous me le dites (….) de toutes les embrassades que vous (…) vos chers enfants ainsi que de vos dames à qui je fais un million de remerciements de leurs bons souvenirs, et vous prie en particulier d’en témoigner toute ma reconnaissance à la chère veuve, en lui donnant de bonnes amitiés deux bonnes embrassades et bien fort de ma part.

Vous me faites un plaisir que je ne puis vous exprimer en me disant que le voyage que Louison a fait à Bordeaux l’a changé de tout au tout, soit du coté de la politesse soit de celui d’être plus social, et que vous êtes très content de lui.

Vous vous imaginez bien mon fils quelle doit être ma satisfaction à pareil langage je n’ai jamais désespéré qu’il ne fut dans un âge plus avancé ce qu’il est aujourd’hui. S’il a manqué quelquefois, cela a été faute d’éducation, mais jamais par tempérament. Je lui ai toujours connu un cœur excellent et de bons sentiments. Avec cela on doit tout espérer d’un enfant.

Je lui écris par cette occasion et lui fait part de toute les bonnes choses que vous me dites de lui et lui recommande avec force de se rendre digne de toutes vos bontés, et de n’avoir d’autre volonté que la vôtre en tout point, et que son bonheur est entre vos mains. J’espère mon fils qu’il nous donnera toute la satisfaction que nous avons droit d’attendre de lui.

Adieu mon cher et bon enfant. Aimez-moi autant que je vous aime et croyez moi toujours votre bonne mère :

                                                             Veuve Salles

 Je compte écrire à mon frère par cette occasion mais le bâtiment part plus tôt que je ne croyais. Excusez moi je vous prie auprès de lui. J’aurai ce plaisir dans quelques jours par le capitaine Pastourel. Embrassez pour moi mes chères petites filles

Vous trouverez ici une petite lettre pour mon petit Cadet que je vous prie de faire tenir. Adieu mon bon fils.