Résumé : Au Morne des Cadets le 17 mars 1772 Je réponds mon cher fils à deux de vos lettres que j’ai reçues successivement par votre premier. Vous me faites part des inquiétudes où vous étiez sur le sort du Compte Destin. Vos vœux pour Compte, des malheureux qui y étaient embarqué, ont été heureusement exaucés. J’ai appris depuis quelques jours son arrivée chez vous. Recevez en mon fils mon sincère compliment. La santé de Bichonne se rétablit de jour en jour et si une grossesse fatale ne dérange pas les normes et l’exactitude de son régime je crois qu’elle n’aura pas besoin d’aller en France pour y chercher l’embonpoint. J’en suis d’autant plus aise que son éloignement eût été bien coûteux et pour elle et pour moi, et pour son mari qui continue (de) mériter toujours auprès d’elle le titre d’amant pour ses soins et ses complaisances. Votre bonne Manette est avec son cher mari dans son petit ménage. L’un et l’autre me donnent toute la satisfaction possible. Mr. Juiny fait depuis quelques temps avec succès le commerce de St Eustache et paraît avoir abandonné celui de France. Ce dernier est bien ingrat aujourd’hui et demande de grands capitaux quand il faut tout faire par soi-même. J’ai fait voir à Manette l’article de votre lettre qui la concerne, elle voit aussi avec plaisir que l’absence n’a pas tout à fait détruit dans votre cœur les sentiments de tendresse que vous avez eu pour elle. Elle me charge de vous dire qu’elle vous aime toujours tendrement. Je ne sais si elle vous écrit par cette occasion elle me dit bien qu’elle tâchera de le faire si le temps le lui permettait car l’occasion part demain. C’est pourquoi je n’écris qu’à vous par cette occasion ne pouvant pas faire autrement pour cette fois. Je vous ai déjà marqué depuis longtemps la grossesse de la femme de Baptiste. Elle avance à grands frais et à en juger les choses que par les apparences, je dirais presque, d’une manière précoce, mais à Dieu me plaise que…madame Giraud était une gardienne trop vigilante mais aussi Baptiste est un Sinus xx B (?). Enfin le temps nous apprendra toute chose. Je suis dans l’enthousiasme des attentions de Baptiste pour sa belle-mère, il est inconcevable combien ce jeune homme a changé à son avantage par son affabilité et sa douceur. Vive le mariage mon cher fils ! Vive les femmes bien nées pour rendre les hommes ce qu’ils doivent être et leurs apprendre les devoirs de la société. Hilaire avec sa femme est toujours mon bâton de vieillesse toujours occupé avec zèle des soins de l’habitation. Je ne me suis jamais aperçue qu’il fût attaqué de la cruelle maladie que vous lui imputez, je veux dire de la jalousie. Je puis vous assurer que ceux qui vous ont dit cela nous importent, il a mérité la meilleure de toutes femmes et je puis vous assurer que je n’ai qu’à me louer d’elle par ses attentions et ses égards. Je l’aime autant que si elle était sortie de moi-même car ces mérites elle le mérite. Je vous ai bien instruit mon fils de toute chose et je crois avoir satisfait à toutes les questions que vous me faites sur le compte de la famille. Enfin mon cher Cadet la paix et la concorde règnent ici parmi mes enfants et je suis au comble de mes vœux mais quand je me retourne du côté de chez vous, quelle amertume pour moi de voir que vous êtes toujours plein d’inimitié pour la femme de votre bon frère. Quoi mon fils vous me dites que vous ne lui pardonnerez jamais ? Ah Ciel ! Est-il possible qu’un homme qui fait profession de chrétien puisse parler de la sorte ? Et avec de pareils sentiments vous voulez que le Seigneur vous pardonne vos fautes et bénisse votre travail ? Non ! Non, mon fils détrompez vous ce n’est pas certainement l’esprit de l’évangile ni que Jésus-Christ nous a tracé lui-même sur la terre. Fasse le Ciel qu’à l’arrivée de cette lettre je puisse apprendre votre réconciliation avec votre belle sœur ! Ce sera pour moi une nouvelle qui me rendra la vie. |
J’apprends encore avec douleur que Mr Louison s’en mêle aussi et refuse à sa sœur le premier devoir de la civilité due à une femme. Voyez ici qu’en parlant des choses de cette nature si je suis bien flattée ! Sans compter mon fils que votre frère souffre ici tout ce qu’on peut souffrir : il était décidé il y a quelques jours à partir, tant tous ces procédés l’affligent et le tourmentent. Il a fallu que j’aie employé toute ma tendresse pour le distraire d’un projet pareil, mais mon fils si cela ne prend pas une autre tournure, il compte se retirer afin de faire cesser un scandale pareil à celui de voir une désunion. Comme cela dans une famille au nom de Dieu mon fils, et de la bonne amitié que vous portez à votre frère que tout cela finisse par une réconciliation de bon cœur. Par ce moyen vous mettrez le calme dans mon cœur et le bonheur de la vie de votre frère et sa femme. Il me parait en vérité bien raisonnable qu’il y soit aussi sensible. Comme il est qui a bien examiné la chose rare dans son principe n’est rien du tout. Quoi ? Pour des propos de servante venir à des extrémités aussi déplacées que celles où vous en êtes venu : de refuser de voir la femme de votre frère chez vous, de lui refuser d’entrer dans votre maison et plus d’une fois ! Je veux mon fils, qu’elle ait eu des torts vis à vis de vous, mais c’est une femme et la femme de votre frère, vous auriez dû, ce me semble, en faveur de votre frère faire autrement. Vous vous seriez épargné bien des angoisses. Ainsi mon fils ne me parlez plus de votre belle sœur à moins que ce soit pour m’apprendre que vous soyez réconcilié avec elle. C’est ce que j’apprendrai avec joie. Je vous avais demandé ci-devant votre procuration pour la division de nos biens. J’ai étais surprise de ne pas la recevoir dans ce dernier navire. J’avais chargé votre frère de vous faire part de mon désir mais il me paraît que vous ne l’avez point entendu. Il m’a promis de vous parler plus clair, ainsi je vous réitère que je veux abandonner le Morne des Cadets. Je vais mettre un (juntexual ?) s’il est possible entre la vie et la mort pour penser sérieusement dans le sein d’une vie douce et tranquille au grand ouvrage de mon salut. J’aurais bien désiré que vous eussiez adhérer à la proposition que votre frère vous a fait d’acquérir le Morne du Cadet entre Hilaire, vous et lui. Je mourrais, je crois, de douleur si je voyais ce bien passer en des mains étrangères. Mais vous savez mieux que moi mon fils ce qui convient à vos intérêts. Je n’ai conséquemment rien à vous dire sur cet article, mais envoyez toujours votre procuration par (la) première occasion. Je vais en attendant travailler à mon (…) Je n’ai plus rien à vous dire présentement, que je suis toujours avec la même amitié, que vous m’avez toujours connue pour vous. Soyez assuré que ni l’éloignement ni l’absence n’ont rien diminué de l’amitié que j’ai toujours eu pour vous. Je suis présentement ce que j’étais lorsque le moment fatal nous a séparés et je puis vous dire dans ce moment-ci avec vérité qu’il n’y a que deux choses qui me fasse de la peine, c’est d’être privée de vous voir et celui de voir votre désunion avec votre belle soeur et soyez assuré que je vous parle avec sincérité. Je vous pris d’assurer mon petit frère cadet de la continuation de mon amitié et de lui dire que j’ai été fort surprise de n’avoir point reçu aucune de ses lettres par les derniers bâtiments et qu’en qualité de cadet il devait me prévenir dans le renouvellement donné. Je n’ai pas fait comme lui car je n’ai rien eu de plus pressé que de lui faire part de vœux que je fais tous les jours au Ciel pour sa Confirmation et son bonheur. Mais c’est un ingrat…qu’il ne m’aime pas autant que moi je l’aime ! Embrassez le bien tendrement de ma part. Adieu mon cher enfant, souvenez vous de moi quelquefois et surtout de tout ce que je vous dis ici et soyez persuadé que je vous en serez bon gré. Adieu bon enfant je suis toujours votre bonne mère. Veuve Salles Bien des amitiés à votre chère épouse. Je n’ai pas le temps de lui écrire par cette occasion. Acquittez-moi je vous prie auprès de Dame de mon sincère attachement. Embrassez bien tendrement ma petite Manette et parlez lui de sa vieille Grande de la Martinique. Tous vos frères et sœurs vous présentent leurs servilités. |