31 Mai 1765 - Lettre de Marie Questel (veuve Salles) à son fils Charles

   

Résumé :
31 mai 1765. Lettre de Marie Questel (du Morne des Cadets) à son fils Charles à Marseille.

Noms propres :
Bernard – Grimaux - « Cadet » surnom de Charles second fils de Mme Questel la veuve Salles - « Bichonne» il s’agit peut être d’Elisabeth Salles, 5ème des 9 enfants de Mme Questel ?


(La Martinique)                   Au Morne des Cadets le 31 mai 1765

Mon cher fils,

Je souhaite que la présente vous trouve en bonne santé. Je profite avec plaisir de la première occasion qui se présente pour vous donner de mes nouvelles ainsi que de tous vos frères et sœurs et pour vous dire combien votre départ nous a été sensible et combien encore il nous coûte pour supporter votre absence.

N’ayant point de consolation pour nous, j’aime espérer que nous aurons le plaisir de nous voir encore une fois, enfin mon fils vous préférez votre fortune à celui d’être avec une famille qui vous aime tendrement. Cela me paraît assez juste, nous ne sommes pas fait pour être toujours ensemble puisque telle a été votre sort mon cher enfant, pour sortir d’entre mes bras il m’en coûte plus que vous parce que votre amitié ne peut point se mesurer avec la mienne, vous le savez et vous connaissez ma faiblesse.

Je tâche de faire la dessus tous les efforts qui conviennent. J’aime en pareille occasion en ne suivant que la voix de la raison. Souvenez vous toujours mon cher cadet d’une mère qui vous aime toujours et de qui l’absence ne diminuera rien de son amitié pour vous. Je ne me flatte pas d’être payée du même retour, car à présent même que je vous écris ma lettre vous m’avez déjà oubliée pour ne penser qu’à l’objet qui vous a éloigné de moi. En cas que cela arrive vous savez déjà ce que je vous souhaite, je n’ai rien à répéter la dessus mais je vous dis encore consultez vous vous-même, et faites des réflexions bien sérieuses. Consultez pour elles le secours du Ciel. Vous savez que c’est la voie la plus sûre pour ne point se tromper.

S’il vous reste un peu d’amitié pour moi donnez m’en des marques en me donnant souvent de vos nouvelles et dans tous les bâtiments qui viendront ici ayez soin de me dire exactement tout ce qui concerne mon pauvre Jean-Baptiste. Je n’oublie point comme vous savez votre cher oncle.

Enfin marquez moi tout, je vous ai dit que j’aimais le détail, ainsi n’épargnez point vos peines, quoique je m’adresse à un homme amoureux qui ne trouvera pas assez de temps pour voir sa chère maîtresse.

Mais quand on aime une mère on trouve toujours le temps de la satisfaire. Je vous recommande toujours avec forces de tâcher de vous attirer l’amitié de votre oncle et de ne jamais vous écarter de ce que vous lui devez. C’est mon frère et je l’aime en conséquence. Je regarde ses égards si vous étiez capable de lui en faire comme à moi.

Je ne vous dis rien de l’habitation, je sais que votre frère vous en instruit. Il me reste à présent de vous dire mille bonnes choses de la part de Manette et Bichonne. Elles pleurent tous les jours d’être priver de leur frère cadet et je suis bien aise de vous dire que je n’aurai jamais cru Bichonne aussi attachée à vous comme elle l’est par les marques qu’elle m’a données et donne encore. Si elle avait la facilité d’écrire comme les autres, je vous assure que quoique l’occasion soit présente elle vous aurait écrit mais ce sera pour une autre occasion.

Vous m’obligerez aussitôt ma lettre reçue, d’aller voir votre oncle, et de lui dire mille bonnes choses de ma part. Vous lui donnerez deux bibiches de ma part et qu’il ne soit point fâché de ce que je ne lui écrit point. J’ai ignoré le départ du bâtiment, en conséquence je n’ai point le temps de lui écrire.

Dites lui aussi que la personne qui lui a donné des graines de jardin pour moi, le trompe, qu’il n’y en a qu’en très petit nombre, qu’il observe aussi de ne point m’envoyer que de la qualité ci dite, chicorées frisées, nouveaux poireaux, persil, carottes, rave et plus de (raive?) que d’autre.

Mille amitiés de la part de vos frères. Madame Bernard qui est ici depuis quelques jours à peine me charge de vous faire mille amitiés de sa part ainsi que la belle Manon sa filleule.

Adieu mon cher Cadet, portez vous bien. Ménagez votre santé surtout. Point de mauvaises affaires avec personne car vous me verriez mourir. Marquez moi où vous êtes et dans quelle maison vous logez et comment vous êtes avec la chère Zabeth et madame Grimaux. Faites leur agréer mes compliments et ceux de la famille.

Adieu encore cette foi mon cher Cadet, croyez moi toujours votre Bonne Maman quoique vous m’ayez abandonné.

Veuve Salles
(Marie Questel)

Hilaire qui vient d’entrer dans ma chambre au moment que j’allais fermer ma lettre me prie de vous dire qu’il vous aime toujours et de vous souvenir quelque y en soit de lui et de moi, qu’il oublie de vous dire d’embrasser mon pauvre Baptiste et qu’il se dépêche vite d’apprendre afin qu’il vienne prendre votre place.


Adresse :
A Monsieur
Monsieur Chaulier pour
Remettre S.L.P. à Monsieur
Ch. Salles négt
A Marseille