Résumé :
31 mai 1765. Lettre de Pierre Arnaud Salles à son frère Charles qui a quitté La Martinique pour Marseille le 18 mai 1765. Allusion aux fiançailles de Charles et de Mlle Moreau (Emilie). Il embrasse Jean-Baptiste (son plus jeune frère, le 6ème /9) qui donc se trouve en France.
Mr Charles Salles Saint-Pierre 31 mai 1765
Négociant à Marseille
Mon cher frère
Je vous écris 13 jours après votre départ. Vous serez sans doute arrivé à la réception de ma lettre. Fasse le ciel que vous soyez en parfaite santé, peu fatigué de votre navigation et point mangé par les puces et les punaises dont, m’a t’on dit, l’engeance maudite semble s’être fixée sur votre bâtiment pour faire payer aux passagers le plaisir délicieux de voir la France et de fuir un pays qui n’est plus fait que pour les malheureux.
Tout le monde ici se porte bien, ma chère mère et Manette parlent de vous écrire. Si le bâtiment part demain comme on l’assure, je doute que vous receviez d’autres lettres que la mienne, tout le reste s’en tient à des compliments et à beaucoup de vœux pour votre santé et votre bonheur. Monsieur l’abbé vous présente son humble devoir.
Nous avons essuyé des malheurs depuis votre départ. Le même jour a vu mourir nos deux infirmes le Fleur et Ginga. Le premier a généreusement montré l’exemple, l’autre l’a suivi quelques heures après. On prétend que le triste spectacle de la mort de celui-là a précipité plus vite celui-ci dans le tombeau. Ce n’est pas tout, la dernière génisse achetée de Mr Lemire ayant mis bas, n’a pu rendre sa portière ? ce qui lui a occasionné un renversement de matrice qui suivant les apparences lui donnera la mort. Nous avons retrouvé notre ami Lafeuillade. Il a demandé à être vendu, on a appointé sa requête et dans le moment que je vous parle il est à l’encan.
Je vous ai parlé de tous ces petits détails parce que je sais qu’en votre place, ils me feraient plaisir. Ma chère mère ne pense plus à l’acquisition du bien de Mademoiselle Aubé, elle a raison. Pourquoi tant de terres pour le triste manioc. Nous avons été renvoyés à la semaine prochaine pour le remboursement de deux mille livres, mais je crois qu’il sera plus aisé de donner de la terre que de l’argent ; en tout cas il faudra bien s’accrocher à tout. Il ne s’est point encore présenté d’acquéreurs pour votre cheval. Les gendarmes rétablis me font espérer que je le vendrai dans peu avec avantage. Toutes vos possessions se portent bien Crispin et Royal l’un et l’autre saluent leur cher maître.
J’ai pris les mille écus de Mr Discord des mains de ma chère mère. Dieu veuille me favoriser dans mes entreprises, et que cet argent mis dans le commerce me produise quelque bénéfice.
J’ai reçu 600 £ argent des îles du frère Bernard Giraud, payable en France par une lettre de change de 400 £ tirée sur vous, endossée sur le père Questel. Je ne vous mettrai pas dans le cas de faire des avances pour moi parce que vous recevrez en deniers la valeur de deux mille livres sur la barque la Victoire, Capitaine Rigordy.
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Que cette lettre vous serve, je vous prie, d’avis pour les assurances. Si toutefois vous les croyez nécessaires par le retardement du bâtiment ou par les mauvais bruits répandus sur son compte, si des circonstances qu’on ne saurait prévoir vous empêchaient de vous charger de ma commission, remettez le tout entre les mains de Mr Chaulier qui aura la bonté de vous remettre le montant de ma lettre de change. Rigordy partira pour le plus tard du 20 au 23 Juin.
Je viens de répondre à la lettre que Mr Dumas vous avait écrite. Je lui donne ordre de me faire remise de tout ce qu’il peut avoir en mains à nous. Point de nouvelles de Bordeaux, et le jambon vaut 35 sous. Point de nouvelles non plus de Mr Pillart. Je compte lui écrire par le premier paquebot. Je n’oublierai point aussi Mr Bouge pour le mandat de 908£ 14 s que nous avons sur lui.
J’ai été tourmenté assez vivement par le Sieur Gabiolle pour le solde de 1199£ 18 que nous lui devions ; enfin je l’ai payé. J’ai aussi payé à Mr Anglade 396£ pour compte de la société parce qu’il m’a fait sentir en avoir besoin. Il reste à présent à satisfaire Mr Chaulier par un envoi de 1617£ 15 en y comprenant les 9 mois de loyer de maison et la petite solde de 37£ 15s de notre premier envoi de laquelle somme par nos accords la Société reste débitrice de 1037£ 15 .
Voyons à présent si tout objet payé, si je dois à la société ou si la Société me doit :
Caisse d’Oct ……3029 .18
Avoir …………………1483 . 5
Il reste dû…………1376. 13
Moyennant quoi tout est en règle, vous observez que je n’ai point débité la Société de 170£ que vous avez donné à Mr Anglade en partant. Pour le mandat de Bourbeau j’ai passé à votre crédit la moitié de la somme dont je vous tiendrai compte de façon que cet objet soit anéanti pour la Société.
J’ai payé pour votre compte 225£ fois Michel.
Je suis persuadé qu’à présent vous avez fait plus d’un doigt de cour à Melle Moreau. Marquez nous bien vite où vous en êtes avec elle. Présentez lui mes très humbles devoirs en attendant que l’alliance me permette de lui dire quelque chose de plus tendre et de plus familier. Adieu mon cher frère, aimez moi toujours, écrivez nous souvent et croyez avec la plus vive amitié
Salles med
Mes respects à mon oncle et aux dames américaines.
Mes respects à Mademoiselle Giraud ; dites lui que je l’aime toujours, et qu’elle se rappelle un peu de moi. J’embrasse Jean-Baptiste.
Adressse :
A Monsieur
Monsieur J. Bte Chaulier
Negt Pour remettre S L P à
Monsieur Charles Salles
Marseille
Au dos de la lettre :
De la Martinique au 31 Mai 1765
Lettre de Mr Pierre-Arnaud Salles
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