Séjour à Saint Beatenberg et voyage en Suisse par Léonie Fine - Août-Septembre 1902    
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Séjour à Saint Beatenberg et voyage en Suisse tous les 7,
du 03 août 1902 au 04 septembre 1902

Léonie (49 ans), Benjamin (54 ans) et leurs enfants : Gabrielle (20 ans), Louise (18 ans), Claire (17 ans), Adèle (15 ans), Béatrix (13 ans) - Pauline (femme de chambre)

 

 

Dimanche 03 Août 1902

Départ de La Viste tous les 7 avec Pauline, notre femme de chambre, le soir à 10h. En gare, Odon de Samatan et Charles d'Azambuja viennent nous dire adieu. Nous partons à 11h 28, non sans difficulté : deux messieurs nous cèdent leurs places pour nous permettre d'être tous ensemble.

Lundi 04 Août 1902 (Arrivée à Berne)

Sauf Adèle et Benjamin qui ont peu dormi, nuit relativement bonne. Mr Guillaume, beau-frère des Raudel, occupe le compartiment qui communique avec le notre. Déjeuner à Lyon à 7h. Nous n'avons chaud de là à Genève qu'à l'arrêt du train dans les gares. A Bellegarde, achetons des paniers pour déjeuner en wagon avant d'arriver à Genève. Là, douane suisse très facile et départ pour Berne vers midi ½. Le temps est frais, la route délicieuse en s'élevant au dessus du lac de Genève. Après Lausanne c'est toujours plus beau, riant du côté de Romont. Passons à Fribourg. Arrivons à Berne à 4h 40. Hôtel Suisse à côté de la gare, petit mais très propre, on y mange bien. En tramway à la fosse aux ours, après le pont de la Nydeck. Retour en tram par la grande artère de Berne ; voyons la Tour de l'Horloge, les diverses fontaines. En tramway toujours électrique pour Wabern, apercevons le beau pont de Kirchenfeld. Trajet agréable. De là funiculaire électrique pour Gurten, nous y sommes à 7h

pour jouir du coucher du soleil sur les alpes bernoises. Quelle vue de ce plateau élevé ! La Blümlisalp, la Jungfrau et toute la chaîne ! c'est superbe ! du côté du Jura, tout est dans la brume, le lac de Neufchâtel et le reste. Ne dînons pas au Kurhaus mais redescendons à 8h par le funiculaire, charmés de cette excursion ; il fait très frais ; une fête de nuit se donne dans un hôtel, le parc est illuminé par des lanternes vénitiennes. A 9h à l'hôtel Suisse, bon dîner, mais nous tombons de sommeil; Comme il fait frais !

Mardi 05 Août 1902      (Berne / Thonne / Spiez / Beatenberg)

Lever à 7h ; déjeuner et départ à 8h 13 par le chemin de fer. Il pleut légèrement ; trajet agréable à Thonne en ½ h par le direct. Jolie ville, attendons le bateau qui dessert les diverses stations du lac. Trajet d'une heure, c'est enchanteur ! Châteaux et villas à Thonne, à Spiez, etc. C'est vert, c'est frais. Les montagnes dans les nuages ; quelques gouttes de pluie fine, puis soleil. A Beatenberg, chemin de fer funiculaire en ¼ d'heure pour St Beatenberg ; vue plongeante sur le lac. En arrivant, montons dans deux voitures et droit au Chalet de la Poste, délicieux, coquet, où nous serons certainement bien. Au rez-de-chaussée, salon, deux petites chambres, une pour Benjamin, l'autre pour moi, sur le devant avec balcon. Derrière les nôtres, la chambre de Pauline. Au 1er sur le devant, une chambre avec balcon pour nos trois aînées ; derrière, deux petites chambres pour Adèle et Béatrix. Vérandas de tous côtés, nous serons fameusement bien ! Nous prenons nos repas à l'hôtel de la Poste dont nous dépendons, il est à deux pas. St Beatenberg est à 1150 m. L'après-midi, après avoir arrangé nos affaires, nous faisons une petite promenade qui nous permet de mieux admirer le site qui nous entoure : bois de sapins et prairies.

Mercredi 06 Août 1902     (Beatenberg)

Cette nuit, à 1h, réveil : un bruit sourd et régulier se fait entendre. J'appelle Benjamin qui lui aussi est réveillé. C'est la soupape des lieux du 2d qui fonctionne sans discontinuer. Une enfant aura oublié hier de fermer le robinet d'eau. Benjamin s'habille, monte au 2d, les grandes sont réveillées, Adèle l'est également par ce bruit infernal. Benjamin va fermer le robinet coupable. C'est Béatrix qui est la cause de l'insomnie générale, ceci sera une leçon pour tous. Chacun se rendort d'un sommeil réparateur jusqu'à 7h, où on se lève pour la messe de 8h. L'heure nous convient très fort : la chapelle est toute petite, l'abbé tout jeune, en longue redingote et chapeau de paille lorsqu'il n'est pas en habits sacerdotaux. 1er déjeuner excellent à l'hôtel à 8h ½. Partons à 9h pour la promenade à l'exception de Gaby qui préfère goûter les charmes de la véranda. Notre promenade est charmante, sous-bois la plupart du temps avec vue superbe. De retour à 11h. On s'installe pour lire sous les vérandas, les balcons étant ensoleillés le matin. Après le 2ème déjeuner, on lit, on écrit jusqu'à 4h. C'est le moment de l'achat du goûter et du départ pour la promenade du soir. Nous allons jusqu'à l'hôtel Beatus pour aller, par un sentier horizontal à l'ouest, à Waldbrand, il fait très chaud. N'entrons sous-bois qu'à la fin du trajet. Le kiosque qui termine la promenade s'appelle Hokwacht. Le point de vue y est ravissant. On surplombe le lac dont on voit les rives riantes jusqu'à Thonne. Le Niesen est en face. Retour en quelques minutes. Nous sommes enchantés de tout : promenade, vue, habitation.

Jeudi 07 Août 1902      (Beatenberg)

Messe de 8h dans notre modeste petite chapelle. Il faisait très chaud en nous levant, le temps se couvre après déjeuner, aussi décidons-nous, avec Benjamin, Adèle et Béatrix, d'aller nous promener. Les petites prennent les devants, escaladant une prairie très raides et disparaissent, nous les appelons en vain. Comme il tombe une ondée, nous rentrons. Benjamin retourne se promener quand la pluie cesse et revient avec Adèle et Béatrix qu'il rencontre par hasard pour le 2ème déjeuner. Adèle et Béatrix prétendent n'avoir pas compris que nous allions nous promener avec elles, aussi impossible de les gronder. A 2h ½, vu le temps assez couvert, départ tous ensemble, sauf Béatrix, lasse de sa longue course du matin. Nous allons au Kanzeli. Le commencement de notre course est à pic, puis très intéressante ; sous la forêt nous montons plus haut que les rochers jusqu'au point appelé Kanzeli où se trouvent deux bancs. La vue y est incomparable. Continuons un autre sentier suspendu sous les rochers et redescendons au bord des précipices jusqu'au rocher isolé dont la forme imite une tour, c'est Birrenfluh, avec des échelles superposées pour atteindre le sommet. C'est si dangereux que Benjamin défend d'y monter. Descente délicieuse. Nous avons marché 4h, c'est moins fatigant qu'à Champéry. A dîner, rires fous provoqués par la narration de l'après-midi au chalet. Après dîner récitons tous ensemble le chapelet sous le sycomore. Eclairs très beaux quand nous allons nous coucher.

Vendredi 08 Août 1902      (Beatenberg)

Après déjeuner, partons, Benjamin et moi, pour la promenade ; suivons la route jusqu'à l'hôtel Alpensee. Laissons ensuite la route d'Interlaken et suivons l'ancienne jusqu'à une descente ; un monsieur, peignant en camaïeu le Jungfrau, nous apprend que c'est l'ancienne route d'Interlaken ; revenons sur nos pas et, comme le ciel est gris, nous nous engageons dans un chemin montueux au milieu des prairies, qui mène à l'hôtel Amisbühl. Vue plongeante sur Interlaken en face de la vallée de Lauterbrunnen. On construit l'hôtel. Reprenons le chemin des voitures, puis un sentier sous-bois. Sommes obligés de repasser devant l'hôtel Alpensee et la route. A un moment Benjamin me fait prendre un long chemin pour atteindre la forêt et la parallèle promenade. Nous rentrons après 3h de marche. Après dîner, orage : éclairs, tonnerres, grêle, brouillard, épais nuage et la splendide Jungfrau toujours belle et étincelante de blancheur sous les rayons du soleil. A peine un orage est-il fini qu'un autre recommence, ils tournent autour de nous. Vers les 5h, le tonnerre se fait entendre avec un tel éclat que je cours dans la chambre de Benjamin croyant la fenêtre ouverte, elle était fermée. Un instant après, les enfants nous appellent au 2d, un chalet est incendié par la foudre, la fumée est intense. Nous y allons un peu après avec Benjamin. Il est tout près de chez nous, sur la route, tous les meubles sont sur la route, les magasins de dentelle de Saint Gall sont vides, le chalet est tout neuf, les rideaux sont encore aux fenêtres mais le pointu de la toiture est tout noirci et, par le toit éventré, l'eau des pompes coule en cascades. La mère sanglote, prise d'un tremblement nerveux, sa fille est dans ses bras. A peine de retour, j'y retourne avec mes filles. La fumée qui nous asphyxiait tantôt s'est dissipée, le feu est éteint. On rentre dans une remise les lits, les commodes, etc. Pauvres gens. La pluie est fine, le temps très humide. Les enfants ont une telle frayeur qu'elles ferment au 2d les deux portes vitrées et laissent ouvertes les trois portes de leurs chambres.

Samedi 09 Août 1902      (Beatenberg)

Nous allons voir les pauvres gens du chalet incendié hier par la foudre ; ils étaient assurés pour l'immeuble ; ils rentrent chez eux ; on y rapporte tout le mobilier. Vu l'état des chemins, décidons d'aller tous ensemble au funiculaire. La route est assez sèche. Nous lisons, en nous y rendant, la lettre de Corinne et une d'Isabelle. Après le 2 ème déjeuner, je vais lire sous le gros sycomore, sur cette terrasse surplombant le lac dont la vue est incomparable. Benjamin part seul pour la promenade à 2 heures. Nous restons pour écrire. Petit sermon à Adèle et à Béatrix qui, j'espère, en feront leur profit. A 5h partons toutes pour faire un tour. Rencontrons Benjamin revenant de sa promenade. Allons tous ensemble prendre la parallèle promenade par le chemin d'hier. Le soir, à table, rires fous causés par le toast d'un anglais au sujet du couronnement du roi Edouard VII. Anglais et anglaises se lèvent à deux grandes tables et boivent à la santé du roi.

Dimanche 10 Août 1902    (Beatenberg)   

Il fait froid depuis hier. Ce matin 11 d° mais beau temps. A 10h messe. Il y a tant de monde que la moitié des nôtres sont debout. L'abbé, très timide, il ne prêche pas. Lecture jusqu'à midi et ½ sur la terrasse avec Benjamin Il fait beau temps mais frais. Promenade de 3 à 5h ½ encore à Waldbrand, aboutissons à Hachtaadt comme l'autre jour: point de vue ravissant. Arrêt forcé au retour à un chalet, Benjamin pour boire, moi pour … Aussi arrivons-nous à la chapelle juste au moment de la bénédiction, elle est comble. Après cherchons en vain l'habitation du curé. Dîner gai, nous avons une frayeur que l'anglais recommence son speech !!!

Lundi 11 Août 1902      (Beatenberg)

9 degrés seulement. Temps très couvert, pluie fine, nous gelons ! Matinée dans le chalet, on lit, on écrit et on gèle ; de temps à autre, on bat la semelle deux à deux, alors notre frêle chalet craque, on dirait qu'il va s'écrouler. Je reçois le petit paquet des tabliers de La Viste avec un maigre chat tenu par une main en guise du petit Alfred que j'attendais. Après déjeuner parlons de l'itinéraire que nous comptons à la fin de notre séjour. Comme le temps se relève, nous décidons de faire un tour en suivant le chemin du côté de l'hôtel Alpensee. A peine l'avions-nous dépassé que la pluie reprend. Nous rebroussons chemin, mais la grêle, puis une pluie diluvienne nous oblige à changer de vêtements, car nous sommes trempés. Il fait de plus en plus froid, 8 degrés. Le reste de l'après-midi se passe tranquillement, on écrit. Chose extraordinaire, je reprends l'aiguille abandonnée depuis une dizaine de jours et je fais la 1ère fleur du meuble de la chambre de Clotilde. Nous avons les pieds à la glace. Le Nain jaune nous récrée dans la soirée. Nuit froide. Malgré mon édredon et 2 couvertures de laine, le froid aux pieds me réveille.

Mardi 12 Août 1902     (Beatenberg)

5 degrés. Les montagnes qui nous avoisinent couvertes de neige, du plus joli effet avec le soleil à demi voilé qui leur donne un reflet éblouissant, tandis que le bas de la montagne est sombre et noir. En allant à l'église, cette vue m'enchante ! Il y a deux messes aujourd'hui. Au retour décidons d'aller nous promener ce matin, le temps n'étant pas sûr. Tous ensemble à l'hôtel Amisbuhl, retour par Parallelvagg, ce qui nous permet de traverser le torrent au fond la vallée sur un pont et de revenir par Parallellpromenade. Rentrons enchantés de notre course de 8 heures. Lettre de Clotilde, Madeleine et Gabrielle Coirard. Après déjeuner, allons, avec Benjamin, demander des renseignements sur nos courses dans la montagne. Depuis hier, les poêles sont allumés à l'hôtel, nous avons fait allumer ce matin celui du chalet. Pluie toute l'après-midi et froid, toujours 5, nous nous chauffons volontiers avec ce vilain temps. Nous n'avons pas pu offrir à Claire la moindre petite fleur pour sa fête.

Mercredi 13 Août 1902     (Beatenberg)

Enfin soleil, la Jungfrau resplendissante se dessinant sur un ciel bleu ! 7 degrés ! Benjamin paye sa 1ère note, on est très coulants pour les déjeuners froids, nous allions partir pour la montagne, Mr Brünner nous en détourne, il craint les chemins trop mouillés. Alors nous changeons de but et allons à la grotte de St Béat. Descente vertigineuse en ¾ d'heure, glissante, boueuse, mais délicieuse comme vue splendide sur le lac de Thonne. Là nous nous apercevons qu'ignorant la distance de la gare de Beatenbucht, il vaut mieux abandonner la visite peu intéressante à la grotte et gagner la gare. Route de voiture délicieuse aux bords d'un lac, tantôt en tunnel, tantôt en forêt, tantôt à pic, nous allons au pas de course ; manquons le départ de 11h 07, en aurons un autre à midi 04. En funiculaire, avec une dame que son mari porte au bras, réminiscence de Nina. Au pas de course à l'hôtel. Il y a du nouveau, nous ne sommes plus seuls à notre table, elle est remplie de convives, ce sont des français catholiques ! Tant pis ! Nous préférions notre solitude. Correspondance. A 3 h ¾ , avec Benjamin, un tour sur la route pour nous réchauffer ; revenons une demi-heure après, au pas de course, il pleut. Les glaciers si brillants tantôt, ont disparu, brouillard. Il se dissipe ; coucher de soleil, chacun va en jouir dans le jardin. On reprend à espérer le beau temps. Le soir on joue au 21. Loulou préfère lire dans son lit, alors Adèle, pour lui tenir compagnie, va lire dans celui de Claire. Lisons les journaux, la résistance en Bretagne.

Jeudi 14 Août 1902      (Beatenberg)

Benjamin demande au curé, après la messe, s'il faut jeûner ? Oui, mais pas d'abstinence… Nous partons tous à 9h ½ pour aller explorer le bois au dessus de l'Alpenrose, nous voudrions revenir par Irrenfluh ! pas de sentier marqué sur la carte, nous nous lançons dans les bois à l'aveuglette ! Bientôt nous comprenons l'explication de cette carte muette. Après avoir passé dans les bois de sapins les plus moussus, nous franchissons des prairies qui sont de vrais marécages, nous sommes ce matin de la race des amphibies. Après avoir pataugé pendant une heure, abandonnons ce bois à l'aspect enchanteur et revenons en flânant, faisant divers achats. La grande affaire de l'après-midi est la confession. L'abbé confessera de 3 à 5h. Benjamin et mes filles vont à l'église dès 2h ½ . Ils passent les premiers. On vient m'avertir que c'est dans la sacristie toute fermée qu'on se confesse , il faut se mettre à genoux, à gauche en entrant, on referme la porte et on n'y voit goutte. J'attends de 3 à 4h. Beaucoup de monde. Ces entrées et ces sorties de la sacristie sont assez curieuses. Petite promenade, le temps menaçant nous arrête sur le chemin de Vorsas. Photographies prises plusieurs fois. Retour sans pluie. Des dames font des guirlandes pour orner la chapelle.

Vendredi 15 Août 1902      (Beatenberg)

A 8h, 1ère messe de dévotion. La communion est générale. A 10h, 2ème messe de cérémonie. Jolis chants par un chœur de dames. L'allocution avant la messe est faite en français, notre jeune abbé cherche ses mots mais il recommande si chaleureusement de prier la Ste vierge pour l'église de France, tant persécutée en ce moment, qu'il gagne toutes nos sympathies. Il demande aussi de l'amour pour la Vierge Marie si méconnue en pays protestant. Nous recevons une carte postale de M. L. Decormis, Germaine est envoyée à la rue Thomas. Très tranquille journée dans notre délicieux chalet à lire et à écrire. A 4h, allons au joli café Rutli pour prendre des glaces, il n'y en a pas. Alors allons à celui qui est le rendez-vous des gourmands. Nos pensionnaires sont très friandes de glaces. Bien qu'il ne fasse pas chaud, il n'y en plus que deux ; nous mangeons des gâteaux. Benjamin va boire une chope ailleurs, puis à la chapelle pour le salut. Beaucoup de monde. Rentrons pour lire. Pendant le dîner, on sort en foule pour admirer la Jungfrau, le Monch et l'Eiger sans un nuage, éclairés par les derniers rayons de soleil ; c'est si beau que nous allons après dîner sur le balcon du 2d admirer ce spectacle magnifique, y restons longtemps. Loulou et Adèle se couchent et jasent. Les autres jouent au nain jaune.

Samedi 16 Août 1902    [Carte]    (Beatenberg)

Ouf ! Quelle journée ! 8 heures de marche ! Nous devions aujourd'hui descendre à pied à Interlaken et y passer la journée ; or, en nous levant, nous voyons le ciel si bleu, la Jungfrau si belle, pas un nuage, que nous trouvons, avec Benjamin, qu'il serait plus à propos de monter que de descendre. Immédiatement nous appelons les enfants aux fenêtres pour savoir si chacune est disposée à faire la grande ascension. Chacune étant d'avis de la faire, on nous cherche un porteur pour les vivres et les manteaux qui furent inutiles, 15 degrés, et partons à 8h ¼. Nous allons escalader la Güggistrat, la montagne qui domine Saint Beatenberg. Les trois premières heures très dures. Arrivons au Niederhorn, 1965 m ; vue très belle sur le lac de Thonne, à pic sur la vallée de Justis, sans parler des Alpes ! Une heure après, au 2ème pic, le Burgfeldstand, 2067 m. Les précipices se multiplient sur la vallée de Justis ! Enfin, à 1h ¼, au 3ème sommet, le Gemmenalphorn, 2064 m. C'est de là qu'est la plus belle vue. En y arrivant, y trouvons trois ascensionnistes qui nous précédaient de peu : l'abbé, une jeune fille russe et un jeune docteur en médecine allemand. Le rêve d'Adèle qui voulait que l'abbé fût Jean Oberlé tombe, il est de Strasbourg, mais il habite Munich. La jeune fille cherche en vain des edelweiss, le docteur nous chante un air d'étudiant ! Nous prenons notre déjeuner à leurs côtés. La vue est superbe ; à côté de nous, le Rothorn de Brienz ; plus loin, le Pilate. Puis l'immense chaîne des Alpes bernoises resplendissante au soleil. Depuis le Titlis jusqu'aux Diablerets. La Jungfrau, la Blumlisalp splendides ! On ne voit plus le lac de Thonne ; rien du côté de Berne, il y a de la brume. Nous partons tous en même temps mais en sens inverse. Descente très raide jusqu'aux chalets où nous buvons de l'eau avec bonheur ! En deux petites heures à l'Amisbühl par des entiers agréables. Là, sur la terrasse du 1er , halte d'une heure pour nous reposer et nous réconforter. Prenons tous du chocolat cuit exquis. Encore une heure de marche pour regagner notre chalet où nous arrivons à 6h. Arrêt dans le village pour voir des jupons pour Gaby. A la boutique des fruits, rencontrons nos trois ascensionnistes, ce sont des fêtes réciproques ; la jeune russe nous dit qu'ils ont fait les trois ascensions, ils ont trouvé la descente du Niederhorn extrêmement raide ; ils venaient de prendre du café. Au chalet, grandes ablutions ! Le soir, à dîner, nouvelle fête, couvert allemand, joli et très amusant. L'écho très bien, beaucoup aussi de chants tyroliens. On se couche en rentrant. Chacun est satisfait de sa journée, mais mes cinq filles ont des coups de soleil !

Dimanche 17 Août 1902     (Beatenberg)

Pluie diluvienne ! Benjamin et moi allons à la messe de 8h. Il ne fait pas trop froid, mais le temps est si mauvais que l'abbé annonce qu'il n'y aura pas de salut cette après-midi. Nos filles vont à la messe de 10h. Correspondance et repas, c'est fort nécessaire! Quelle pluie et quel brouillard ! Comme les petites ont écrit à ces dames ce matin, elles sont d'une humeur massacrante au déjeuner ! Dans l'après-midi la pluie cesse, le temps est doux, 15 degrés, aussi chacun va faire un tour excepté Gaby et moi qui restons au chalet. Nous écrivons, nous lisons longtemps sur le balcon, qui en dira jamais les charmes incomparables ! La Jungfrau par moments se dévoile, les montagnes les plus rapprochées sont noires avec ce ciel gris et là, en premier plan, ces vertes prairies et ces sombres forêts de l'Alpen-Rose descendant jusqu'au lac sont ravissantes. Que les œuvres de Dieu sont belles !

Lundi 18 Août 1902      (Beatenberg)

Il y a eu deux messes, à 7h ½ et à 8h ; après déjeuner au salon, Gaby, Loulou et moi pour chercher dans les journaux les noms de la jeune fille russe et du docteur allemand. Enfin recevons la lettre d'Isa, nous commencions à nous fâcher de ce long silence. Matinée charmante dans notre délicieux chalet, sur les balcons et les terrasses. Temps splendide. Partons à 1h ½ pour Habkern, dans la vallée qui s'ouvre au pied de l'Amisbühl ; trouvons le sentier qui traverse la prairie derrière l'hôtel, nous contournons la montagne dans un sentier sous bois avec vue plongeante sur Interlaken, splendide sur la Jungfrau. Il est horizontal donc ne nous occasionne aucune fatigue, mais marécageux comme la montagne : nous pratiquons nous-mêmes notre sentier avec des planches formant bascule avec des pierres, puis nous nous apercevons que nous nous sommes trompés, il fallait prendre un sentier qui descendait dans la vallée. Peu importe nous avons fait une très jolie promenade de 3h. Sommes à l'Amisbühl pour le goûter. Monde fou, un des plaisirs de St Beatenberg sont les goûters. Nous prenons nos 7 tasses de chocolat cuit sur la terrasse de la cuisine, toutes les places étant prises. De 5 à 6h, retour au chalet. Gaby se commande des bottines. Temps merveilleux ! Quel beau pays ! Pendant le dîner on sort sur la terrasse pour admirer la Jungfrau toute rose ! Après dîner, concert donné par cinq italiens costumés sur la terrasse jusqu'à 9h ½ ; il y a du sérieux, du badin, beaucoup de chants nostalgiques. Tout cela, avec un clair de lune magnifique et en face des glaciers, a du cachet.

Mardi 19 Août 1902     (Beatenberg)

20 degrés en nous levant, 24 au milieu du jour. Vu la chaleur, restons au chalet qui est fort agréable. Recevons 7 lettres ce qui n'est pas moins agréable. Allons prendre des glaces, il en manque encore deux ! pas de chance ! Claire prend des photographies du chalet tandis que Benjamin et Béatrix vont sur la route de Merlingen. Lire le soir sur le balcon est délicieux ! Nain jaune monstre jusqu'à 10h ½ .

Mercredi 20 Août 1902     (Beatenberg)

Lever à 6h ½ parce qu'il est décidé que nous irons à Interlaken. Le thermomètre marque bien 17, le ciel a bien des nuages, mais aussi ce sera si agréable d'avoir moins chaud et un peu de temps couvert. Déjeuner à 7h ½ ; le temps se rembrunit, nous consultons ; rien d'engageant pour se mettre en route si nous avions la pluie. Renonçons à notre projet et allons à la messe de 8h. En sortant de la chapelle brouillard épais, on ne voit pas à deux pas devant soi. Le jeune abbé nous dit en riant : "Vous ne voulez pas monter au Nierderhorn ?". Lui et le vieil abbé partent pour le congrès marial de Fribourg, demain et après-demain. A peine dans le chalet, éclairs tonnerres, il nous faut abandonner nos balcons, le thermomètre baisse rapidement, vent impétueux, c'est l'ouragan ! Quel bonheur d'être restés ! Nous sommes si bien dans notre chalet que personne ne songe à s'en plaindre ! Les occupations se succèdent. L'après-midi le temps se relève, Benjamin part avec Béatrix et encore avec nous de 4h ½ à 6h pour la parrallele promenade. Adèle et Béatrix restent, Claire et Benjamin nous laissent grimper. Le soir, 12 degrés, le soleil luit.

Jeudi 21 Août 1902      (Beatenberg)

Temps très couvert. Quel contretemps ! Nous comptions aller à Interlaken ! Indécision jusqu'à 9h ½ où nous décidons de nous mettre en route. Ni pluie, ni soleil. En passant à l'Alpenrose, la jeune fille russe qui jouait au tennis accourt vers nous pour nous serrer la main. Elle est décidément bien gentille ! Descente en lacets par une route magnifique au milieu des prairies puis dans la forêt : c'est enchanteur. A 11h 35 arrivons à Interlaken que nous traversons en entier pour aller déjeuner au restaurant de l'hôtel Beau-Rivage, l'un bon, l'autre beau. Flânons tout le jour. Que de folies on ferait dans toutes ces boutiques. Prenons nos billets circulaires pour notre voyage. Goutons avec des glaces. En landau à 4h pour Beatenbucht, route fort agréable, en ¾ d'heure. Retour avec arrêt à l'église. Nous sommes enchantés de notre journée. Quel esclandre la soir ! Nous rentrions de dîner et nous installions, comme chaque soir, à la table de jeu. Loulou et Adèle venaient de moter dans leus chambres. Tout à coup la porte du salon s'ouvre, Adèle entre comme une furie, en criant au voleur ! Un homme là-haut avec Loulou ?? Nous nous précipitons dans l'escalier, Loulou est sur la terrasse, pleine de vie, l'homme avait disparu. Nous nous précipitons dehors, le cocher de l'hôtel nous dit en riant : "Mais c'est un cordonnier qui portait des chaussures !". Ce que c'est que la peur, le brave cordonnier avait frappé à la porte et, sur la réponse "Entrez", il avait franchi le seuil et, ne sachant pas un mot de français, avait tendu son paquet, que Loulou, dans son effarement, avait pris pour un revolver, alors Loulou lui attrapa le bras, poussa des cris féroces ; lui prit la poudre d'escampette ; c'est aux cris d'alarme jetés par les enfants que M. Brünner père et sa jeune fille accoururent. Décidément l'imagination est une mauvaise conseillère. Il faut que j'inculque à mes enfants plus de sang froid.

Vendredi 22 Août 1902    (Beatenberg)

Soleil resplendissant, les nuages s'élèvent, la bise ou vent du nord souffle pour la première fois depuis notre arrivée ; temps très vif malgré les 20° à midi. L'intrépide Benjamin va se promener le matin tandis que toutes nous préférons le repos. A 4h ½ nous faisons violence à nos jambes et repartons à nouveau. Gaby nous guide ; nous voulons aller au Kanzeli en traversant toute la forêt, partons par le même chemin que celui suivi pour notre grande ascension ; atteignons un sentier très large qui par une pente douce nous élève peu à peu jusqu'aux hauteurs des rochers ! La forêt est splendide ! La vue est magnifique. Arrivons au Kanzeli après avoir pris plusieurs photographies. Nous voulons revenir par Poirrenfluh, mais Béatrix, perdant une de ses semelles, il nous faut prendre le chemin le plus court. Gaby ingénieusement perce sa semelle avec son épingle à chapeau, y fait passer une ficelle qui permet à cette enfant d'arriver sans encombre. A dîner, admirons la Jungfrau toute rose. C'est admirable ! puis couvert le reste du dîner. Adèle et Loulou ne montent plus se coucher comme l'autre soir. Elles sont trop effrayées.

Samedi 23 Août 1902      [Carte]   (Beatenberg)

Le nouvel abbé me salue en arrivant à la chapelle où nous nous rencontrons sur le seuil. Après déjeuner, Mademoiselle me demande de vouloir bien travailler au tapis de la chapelle de St Beatenberg, elle m'en donne un morceau. On tire l'aiguille jusqu'à trois heures puis départ à pied jusqu'à Merlingen ; on s'y rend en deux heures par un très joli chemin en sous-bois passant trois fois sur ou sous le funiculaire. Goûter dans une prairie entourée de bois de tous côtés. De Merlingen au funiculaire, un quart d'heure bien ensoleillé sur la route. Rafraichissements en attendant le départ. Trajet avec un monsieur très expansif et une jeune fille, français l'un et l'autre. Le petit Jacques attend son papa à l'arrivée. Sur la route, rencontre de nos dames attendant le curé de Saint-Thomas d'Aquin qui a été à la grotte de Saint Béat. Il arrive pendant le souper. Dans la soirée, nous faisions le boston, Benjamin, Gabrielle, Claire et moi, les trois autres arrangeaient soi-disant des fleurs ou se couchaient. Tout un coup, la porte s'ouvre. Adèle et Béatrix entrent en chemise de nuit, leur châle arrangé en turban, leurs cheveux épars ; au même moment, on frappe à la porte. Adèle se sauve dans ma chambre. Béatrix s'aplatit derrière Benjamin. C'est le postier portant le courrier. Rires fous ! il a dû les voir descendant l'escalier.

Dimanche 24 Août 1902     (Beatenberg)

Nos cinq filles vont à la messe de 8h, Benjamin et moi à celle de 10h, monde fou. Allocution de 20 mn par le nouveau prêtre plein de zèle. Il fait très chaud, 18°. Journée fort tranquille dans notre petit chalet, allons à 5h au salut puis une petite promenade sur la route ! Admirons tout, lac, montagnes et forêts ; Benjamin et moi la poursuivons plus longtemps.

Lundi 25 Août 1902    (Beatenberg)

Promenade ce matin parce que le temps est couvert. Aussi rendons-nous la tapisserie à Mme et Mlle ; elles m'étendent leur tapis sur la terrasse. Le curé de Saint-Thomas d'Aquin part pour Interlaken. Nous allons au dessus Hochrwast, c'est un chemin dans les prairies, les enfants cueillent des fleurs pour la fête de Loulou ; à un moment nous faisons volte face, entourant cette chère Loulou et en plein champ nous lui offrons nos vœux. Atteignons la forêt de sapins. Retour très agréable, immense prairie entourée de sapins. Quelle solitude. Retour rapide par l'hôtel Schonegg. Après-midi, brouillard épais et pluie, nous faisons les malles. Pauline nous demande de partir pour Marseille. Je vais le dire après dîner à Mr et Mlle Prost. Le curé de Saint-Thomas d'Aquin s'appelle Cabanoux.

Mardi 26 Août 1902    [Carte]    (Beatenberg / Interlaken / Lauterbrunnen / Mürren ?)

Adieux à Mr et Mlle Prost. Partons à 9h avec le brouillard ; en arrivant près du lac, plus de brouillard ; nous laissons Pauline à Beatenbucht pour filer du côté de Thonne et nous prenons le bateau pour Interlaken. Charmant trajet, maigre déjeuner au terminus, il ne faut plus y retourner. Départ de cette même gare pour Lauterbrunnen à midi 44, il faut seulement changer de train à la gare de l'est. Trajet enchanteur ; la Schynige Platte à pic dans les nues. La Jungfrau dans les nuages. A Lauterbrunnen prenons le funiculaire. Il est effrayant en droite ligne puis changeons à 1400 m d'altitude pour prendre un train électrique. Allons à l'Hôtel de la Jungfrau de modeste apparence. On nous loge dans la dépendance. Le brouillard devient très épais ; entretemps admirons des glaciers superbes. Le brouillard nous fait redescendre d'une promenade. Voyons les terrasses des différents hôtels puis à la poste : lettre de la Viste. A la jolie petite église catholique, chapelet et table d'hôtes ; à 7h très bon dîner, il fait froid.

Mercredi 27 Août 1902    [Carte]     (Mürren ? / Wengen / Eigergletscher / Petite Scheidegg / Interlaken)

Nous nous levons en plein brouillard. Ce n'est pas drôle. Partons à 8h, on n'y voit rien. Descente vertigineuse, le brouillard se déchire légèrement, la vallée est très claire. Descendons de l'autre côté de la vallée, c'est ravissant. Wengen dans un joli site ; puis les grands pâturages, arrivons à Wengernalp, entrevoyons les pics entre deux nuages, à la petite Scheidegg, à 11h. Déjeunons bien. Puis petit chemin de fer de la Jungfrau, la deuxième station qui est la dernière pour le moment n'est curieuse que par son arrêt dans un tunnel éclairé, c'est celle du Rothestock à 2521 m d'altitude, les enfants escaladent une paroi à pic, comme il n'y a pas de vue, c'est inutile. Redescendons par le même train à la station d 'Eigergletscher, 2330, visite de la grotte de glace qui enthousiasme les enfants, promenade sur le glacier puis à pied en ¾ d'heure à la station de la petite Scheidegg. En attendant 3h ½, l'heure du départ, allons dans les boutiques. Admirons les sommets quand ils se découvrent, entendons les avalanches, nous n'en avons plus vu comme celle de ce matin. Descente très rapide sur Grindelwald, l'Eiger nous effraie par les proportions de sa base ; les sommets de Wetterhorn nous apparaissant, Grindelwald bien situé dans ce cirque grandiose. Nous avons été séparés pour la descente, là nous nous remettons ensemble. Descente rapide jusqu'à la jonction avec la ligne de Lauterbrunnen. A Interlaken, à l'hôtel du Lac, modeste. Benjamin va à la poste avec Adèle après dîner. Gaby, Claire et moi restons un moment sur la terrasse. Loulou et Béatrix se couchent. Notre hôtel touche l'embarcadère, le cavalier luttant de vitesse avec le train.

Jeudi 28 Août 1902    (Interlaken / Giessbach / Brienz / Meiringen / Rosenlauï / Meiringen)

Temps splendide, départ à 8h pour le Giessbach, monde fou sur le bateau. Voilà le temps qu'il nous aurait fallu hier et avant-hier. Au Giessbach, à 9h Benjamin et les enfants montent en courant aux chutes pendant que je me promène sur la terrasse et dans le parc. Tout se fait en ¼ d'heure, repartons à 9h ¾ à Brienz, toujours énormément de monde, il faut courir au train pour Meiringen ; comme il y a l'écriteau "Lucerne", je crois que ce n'est pas le nôtre, fausse manœuvre, nous sommes déçus. En 20 mn à Meiringen, hôtel du Sauvage, très bien, au quatrième, voyons des glaciers de notre fenêtre. Déjeuner très bon, c'est un bel hôtel. Départ à 1h ½ pour Rosenlauï, à pied au funiculaire, ¼ d'heure, 10mn en funiculaire, très curieux, 0.63 de rampe dans le haut ; passons sur le Rieschenbach ; très curieux ; montons à pied ½ heure, vue plongeante sur la magnifique chute. Rejoignons les trois chevaux. Loulou, Claire et moi commençons à monter ; ne nous comprenons guère avec nos guides, je demande mon ombrelle. Il me fait signe de prendre garde à mon cheval, l'ouvrir en arrière, mon cheval bondir et être à terre lui et moi fut tout un. Il fut bien peureux mais bien pacifique car il ne fit pas un mouvement pour se relever autrement il me piétinait ; on me tira de ce mauvais pas, je n'avais pas une égratignure et nous reprîmes notre course ; quel tableau, le Wetterhorn, le Wellhorn, derrière le Rosenhorn et le glacier de Rosenhorn forment un tout saisissant. Arrêt aux bains de Rosenhorn puis tous à pied avec un enthousiasme toujours croissant au milieu de ces sapins qui forment un cadre superbe aux glaciers. Reprenons le funiculaire, le ciel devient noir, nous nous dépêchons, le vent, la poussière, la pluie commencent, nous courrons et rentrons juste à temps. Le Bon Dieu nous a protégés deux fois aujourd'hui ; nous avons mis 1h 20 pour monter avec les chevaux et 1h ½ pour descendre ; que c'était beau !

Vendredi 29 août 1902     [Carte]    (Meiringen / Brunnig / Giswil / Alpnach / Lucerne)

Nous étions très bien à l'Hôtel du Sauvage, quelques achats ; puis faux départ, nous montons dans le train d'Interlaken, il faut en descendre et recommencer le siège du deuxième train. La maman des cinq petites filles et du petit garçon est partie avec sa nichée. Route du Brunig, très intéressante, magnifique Kurhaus au col, chalet à louer, le canton étant protestant, cela ne peut nous convenir. Descente délicieuse jusqu'au Kiergen, quel joli pays ! En descendant à Giswil, il est moins joli. Le lac de Sarnen dans un moins joli site. A Alpnach Stadt à midi. Déjeunons maigrement en gras sur le pont ; joli côté verdoyant à Hergiswil et Saint-Nicolas. A Lucerne à midi ½. Lettre mais impossible de faire retirer notre malle à l'hôtel, il faut partir en costumes chauds. Visite à Saint-Léger, laide à l'intérieur. En voiture aux Trois Tilleuls, très jolie vue sur les montagnes et sur Lucerne. Au lion de Lucerne, toujours beau et triste. Goûter agréable chez un confiseur, puis en tramway à Kriens, puis en funiculaire au Saunenberg. Il aurait fallu s'arrêter à l'hôtel, la vue est plus étendue mais moins intéressante que des Trois Tilleuls. Flânons au retour. Dîner à une petite table, pas la table d'hôtes, très bon ; refaisons les malles et coucher. Quels beaux hôtels, beaux magasins et corbeilles de fleurs uniques en leur genre ! Lucerne est une ville moderne. Le coucher de soleil a été magnifique illuminant les montagnes et se reflétant dans le lac.

Samedi 30 août 1902    [Carte]    (Lucerne / Fluelen / Goeschenen / Schwyz / Arth / Sattel / Biberbrucke)

Départ à 8h. Lucerne nous plaît beaucoup, c'est la ville moderne avec ses hôtels splendides, ses beaux magasins, quelques vestiges de la vieille ville : les remparts, les tours crénelées, les ponts couverts. Traversée magnifique. Lucerne s'étale au fond du lac, les stations qui l'avoisinent très ombragées ainsi qu'Hertenstein, Weggis, Vitznau ; ce lac bizarrement découpé enchante les enfants. Le lac d'Uri naturellement davantage. Les glaciers dans le fond, l'énorme Uri-Rotstock à Fluelen, charmant déjeuner sur la terrasse de l'hôtel de la Croix Blanche et Poste, il est très gai. Tout le monde est enchanté. A midi ½, départ pour Goeschenen, énormément de monde à la station. Avons la chance d'être ensemble, seulement une dame anglaise s'est installée entre nous sur ses valises, nous courrons d'une portière à l'autre pour voir les travaux féériques du Saint-Gothard, ce qui amuse un monsieur allemand qui est avec nous. Cette vallée sert d'écrin à ces travaux du chemin de fer qui sont son joyau. A Goeschenen, peu d'attente, moins de monde au retour. Admirons en partant le splendide glacier de Dammafirn ! La route au bord du lac a trop de tunnels, il faut la faire ou en voiture par l'axe l'Axenstrasse ou en bateau, jamais en chemin de fer. Le matin, sur le bateau, un jeune homme, monté à Creile, en signe d'adieux aux siens, leur fait le chant tyrolien pendant longtemps. Près de Schwyz, joli paysage avec les Mythen, à Arth Goldau, éblouis. La ligne monte alors et devient jolie vers Sattel, mais c'est pauvre. Puis pays affreux à Bibenbrucke. Les changements de trains sont ennuyeux à cause de nos bagages. A Biberbrucke, un pensionnat pèlerin chante à tue tête. Arrivons à 5h ½ à l'hôtel du Paon, le meilleur. Achats. Je reprise ma robe déchirée à mon arrivée. Les pères ne confessent pas à cette heure-là. Il faut attendre demain. A une petite table à part, pas la table d'hôtes. Cuisine soignée, achats et coucher à 9h. Le ciel est noir.

Dimanche 31 août 1902    (Biberbrucke / Zurich)

Quelle n'est pas ma stupéfaction en ouvrant ma porte le matin de trouver Xavier devant moi, voilà pourquoi, hier soir à 9h ½, la femme de chambre est venue demander si nous étions dans nos chambres. Il a fait hier 180 kms à bicyclette pour nous rejoindre. Il va faire un tour en Suisse. Confessions dans une chapelle à gauche, remplie de confessionnaux ; on confesse dans toutes les langues. Après avoir satisfait toutes nos dévotions, nous nous retrouvons à déjeuner à l'hôtel du Paon, tout à fait hôtel de famille. Tous à la grand messe à 9h ½, il faut porter des pliants de l'hôtel car il n'y a pas de chaise. Très belle musique. Je vais voir ensuite, au numéro 19, le P. Nicolas pour les renseignements sur les collèges des bénédictines. A 11h ½, dîner puis départ, il fait chaud ; descente sur Wadenswill, jolie vue sur le lac. Le pays bien plat. A Zurich à 2h, hôtel Saint-Gothard près de la gare. Visite du musée national, quelques chambres intéressantes datant du moyen-âge. Glaces horribles. En tramway au chemin de fer de l'Uetli. On monte pendant ½ h les flancs d'une colline ; là, jolie vue sur Zurich, les montagnes dans le brouillard. Redescendons tout de suite et promenade sur les quais. Habitations très belles, architecture très curieuse et fort jolie ; les unes en briques, les autres en pierres avec des tourelles, des pignons. Jardins sur les quais, suivons le lac. A la poste, fermée, impossible d'avoir nos lettres ; à l'hôtel, petit souper, c'est bon. Dans la soirée, calculs de Xavier qui viendra avec nous à Schaffhouse. Calculs de notre côté pour revenir par Lucerne. Sera-ce par Aaran, sera-ce par Lucerne, Dieu seul le sait.

Lundi 1er Septembre 1902     (Zurich / Neuhausen / Chute du Rhin / Berne)

Nous nous levons vers 7h. J'entends pianoter Adèle dans l'immense chambre qu'elle occupe avec Claire et Béatrix. Départ à 8h ½ pour Schaffhousen avec Xavier qui est décidément des nôtres. Pays plat … Arrivée à Neuhausen, station de la chute à 9h ½. D'abord voyons la chute du train puis allons à pied jusqu'à un sentier qui nous mène au pont que traverse aussi le chemin de fer ; de là au château de Laufendant. La position permet de voir la chute, d'abord d'un balcon qui la domine puis d'une tourelle aux verres de couleur, enfin d'une galerie en bois où la chute semble vous tomber dessus ; c'est effrayant de voir cette masse d'eau soulevée et retomber en bouillonnant, c'est sinistrement beau ! De la galerie en fer, c'est encore aussi effrayant, puis, ce qui est plein d'émotions, c'est de passer le Rhin sous la chute ; nos rameurs sont fort adroits, nous abordons au grand rocher, les enfants n'en reviennent pas que Clotilde ait eu le courage de faire une traversée folle comme celle-là. La deuxième partie est moins émotionnante. Remontons en longeant le Rhin ; beau coup d'œil de l'allée des marronniers. Enfin, il nous a fallu nos deux heures pour tout voir et tout admirer ; chacun est enchanté en reprenant le train vers 11h ½. Trajet en 1h ½. Déjeuner au buffet puis départ à 2h ¼ ; Xavier, qui devait partir le premier pour Goeschenen, manque son train, vient nous revoir en wagon. Son train, qui va partir, arrive à la même heure que le premier. De Goeschenen, il ira en bicyclette à Andermatt et descendra demain la Furka. Quant à nous, bien que la route soit boisée et verte, légèrement accidentée, avons assez de nos 4h ¼ de chemin de fer en arrivant à Berne. Descendons à l'hôtel Suisse, comble, on nous case.

Mardi 2 septembre 1902     (Berne / Lausanne / Vallorbe / Ballaigues)

En nous levant, nous allons tout en déjeunant au Schoenzli promenade avec terrasse. Nous nous y rendons par le pont en treillis qui passe sous le chemin de fer. De là, la vue est très belle mais la brume qui nous laisse distinguer tous les sommets des Alpes bernoises nous en voile les splendeurs. Revenons par le magnifique pont de Kornhaus. Attendons devant la tour de l'horloge les coups de 9h pour la voir fonctionner. De là à la terrasse de la cathédrale d'où nous admirons le pont du Kirchenfeld ; la brume ayant augmenté voile les Alpes bernoises. Passons devant le palais fédéral. Toutes les rues sont encombrées par le marché, et les cuisinières et leurs paniers. A l'hôtel Suisse, bon petit hôtel, très convenable, déjeunons à 10h pour partir à 11h. Très chaud en chemin de fer jusqu'à 2h ½ où nous arrivons à Lausanne. Là, changement de trains, prenons nos billets pour Vallorbe. La route monte, c'est celle de Paris par Pontarlier ; à Vallorbe qui est tête de ligne, le train va à … . Trouvons difficilement deux voitures et en ¾ heure à Ballaigues, c'est le rêve de Benjamin qui se réalise ainsi qu'une déception. Site médiocre dans le Jura. … et chambres très agréables à l'hôtel de l'Aubépine. Promenade qui nous défrise. Puis dîner très bon, concert tout le temps, c'est très agréable. Ceux de l'hôtel Voyageur et hôteliers nous plaisent. La petite chapelle à côté de l'hôtel très pauvre. Il y a messe le dimanche et le jeudi. Vue très étendue de nos chambres à balcons au 3ème.

Mercredi 3 septembre 1902    (Ballaigues / Vallorbe / Lausanne / Ouchy / Genève)

Lever tardif ; grande toilette, déjeuner à 9h moins ¼ , puis visite aux chalets pour voir s'ils nous conviendraient. Le premier est assez grand pour nous recevoir avec les Alfred ; nous demandons au monsieur de l'hôtel le prix de location : 400 francs le mois, 15 août – 15 septembre, pension à l'hôtel 5 francs avec réduction si nous arrivons seize. Puis promenade au bois de Ban au milieu des sapins. C'est si aimable ici qu'on a envie d'y venir. A 10h ½ , départ dans un break, en ½ heure à Vallorbe ; le train y fait une manœuvre éternelle, l'employé se fâche quand on veut y monter. De 11h ½ à une heure, trajet charmant, beaucoup d'air. Avons trouvé l'air de Ballaignes comme celui de Saint-Cergues, très vif et sec. Vue claire sur les Alpes. Dînons à Lausanne sur la terrasse de l'hôtel Terminus. C'est long, ce qui nous convient. Descendons par le funiculaire à Ouchy. Bateau à 3h ¼ , traversée de 3 heures. Le Mont-Blanc resplendissant. Dîner à 7h, salle à manger sans air, mauvais dîner. Les chambres nous déplaisent, il faut réclamer un changement de draps. Voilà un hôtel qui ne nous reverra plus ! Quelle différence avec celui de l'Aubépine à Ballaignes. Après dîner, les uns sortent les autres se couchent.

Jeudi 4 septembre 1902    (Genève / Lyon / Marseille / La Viste)

Après le déjeuner, courses et achats à Genève, c'est très amusant pendant 2h de courir, de flâner, de regarder, de s'exclamer ! Comme un essaim d'abeilles, nous volons de magasins en magasins comme elles volent de fleurs en fleurs, butinant de ci de là. Réunion à l'hôtel et montée en gare. Il fait chaud. Là, nous ouvrons deux ou trois colis. Déjeunons au buffet de la gare, garçon charmant ; à peine dans le train, à 11h10, Léon d'Astros se trouve là, revenant de Bayreuth, il est enthousiasmé ! Nous faisons route ensemble jusqu'à Lyon, c'est-à-dire, jusqu'à 3h1/2, lui nous chantant Parsival, il est passionné de Wagner. A Lyon, nous nous séparons et allons à la place Bellecour prendre des glaces. Pendant ce temps arrivent les Coirard : Paul, Isabelle, Louis et Lalotte qu'on nous confie jusqu'à Marseille. Balivernes en tramway et en gare. Là, compartiment réservé où nous menons les enfants ; Benjamin et moi dans celui à côté. Allons dîner au restaurant à 7h ce qui amuse beaucoup Lalotte. Il fait de l'air, c'est agréable. On dort un peu. Seulement Lalotte rend tout son dîner. Arrivée très exactement à 10h20. Berthe et Madeleine sont en gare pour recevoir Lalotte. Quant à nous, après une perte de temps d'une ½ heure, nous ne retirons qu'un colis sur nos onze, les autres nous seront envoyés par la compagnie le plus tôt possible. A la campagne à minuit, tout le monde veille malgré nos recommandations. Charles est sur la route avec une lanterne vénitienne, Alfred, Clotilde, Isa, Madeleine sont là, tous plus affectueux les uns que les autres.

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