Du 1er septembre au 10 octobre 1915 - Voyage en Suisse, Jersey, Paris, Montélimar  
par Léonie Fine

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Carte complète du voyage - Carte du voyage en Suisse  - Les moyens de transport - L'année 1915 en France

     

1915 - Carnet n°18 rédigé par Léonie Fine (agée de 62 ans) relatant un voyage effectué
en Suisse, à Jersey, à Paris, à Montluçon et à Montélimar
par Léonie et Benjamin (Claire les rejoint à Montluçon).



De g. à d. Adèle, Claire,
Béatrix et Louise

Ce voyage permet à Léonie et Benjamin de revoir Edouard Fine, frère de Léonie, qui est religieux à Zizers en Suisse et quatre de leur cinq filles :

- Louise (née en 1884), auxiliatrice à Jersey,
- Béatrix (1889-1942), oblate du Sacré Cœur à Montluçon,
- Adèle (née en 1887), à Montélimar,
- Claire (née en 1885) qui les rejoint à Montluçon.

Cf. Généalogie Salles

Photo
1er rang : Edouard, Léonie
2nd rang : Benjamin, Clotilde


Mercredi 1er Septembre 1915     Marseille / Lyon en train

         Quelle déception ! En gare nous trouvons Claire qui devait venir avec nous, son petit Eugène a eu une fièvre de cheval hier soir, elle ne part pas. Coralie, apprenant cette nouvelle par Rose, vient nous embrasser dans notre compartiment, puis c'est Mlle Lancin qui arrive, portant à Claire un volumineux courrier de Jules, Coralie s'en charge et le lui portera cet après-midi .
         Partis à midi 50, nous arrivons à Lyon à 7 h ½. Trajet avec deux messieurs. Benjamin, très préoccupé au sujet de nos billets circulaires, recouvre son calme après avoir parlé au chef de train. Temps délicieux, de l'air. Magnifique chambre d'angle au Terminus ; dînons au buffet, coucher de bonne heure. Je regrette bien ma Clairette.          

Jeudi 2 Septembre 1915     Lyon / Bellegarde (sur Valserine)      

          Laissons à regret notre belle chambre verte, Benjamin n'y a pas plié l'œil. Départ à 7 h 15 après mille formalités. Point de soleil. Douane assez longue, mais bienveillante. A Bellegarde arrivons avec une heure de retard. Marthe Thiollière est là qui nous attend, elle déjeûne avec nous. Passons à la douane suisse , puis d'après le conseil de Marthe, pas à l'hôtel Thuring et Balance, il est allemand, mais à l'hôtel de l'Ecu. Chambre idéale, n°25, au second sur la place du Rhône, avec grand balcon, vue sur le lac ; cabinet de toilette avec baignoire et w.c., ravissant pour nous, c'est bien commode. Marthe vient nous chercher, quelques achats ; en tram à Vandœuvre, puis en 40 mn à pied à son habitation ; c'est bien laid et très isolé ; j'y aurais le noir si j'étais Marthe. Point d'Eugène ; Marthe nous confie ses projets pour lui cet hiver, elle en est toute heureuse. Quelques gouttes de pluie en allant. Marthe nous raccompagne jusqu'à la fin du petit chemin, je mourrais de peur si j'étais Marthe. Sa villa est sur un plateau élevé avec vue sur le Jura, le Salève, les Voirons et le sommet du Mont Blanc.

Vendredi 3 Septembre 1915     Bellegarde / Berne / Lucerne

Il faut dire adieu à notre jolie chambre, je la regretterai. A l'église Notre Dame près de la gare , c'est très édifiant, S.C. exposé et beaucoupde communions pour le 1er vendredi du mois. Excellent petit déjeûner à notre hôtel avec beurre et miel. Puis achat d'un Baedeker et à l'hôtel de la Poste envoyons dépêches et lettres. En gare à 10 h pour Lucerne. Trajet très intéressant, le plus beau panorama est après Lausanne ; quand on domine le lac c'est féérique et cependant le Mont Blanc était dans les nuages. Nous étions au wagon restaurant à Fribourg et sur le magnifique viaduc de Granfrey, la Sarine apparait encaissée dans le fond. La ligne ferrée est très gracieuse de Fribourg à Lucerne, le terrain très accidenté, les prairies semblent veloutées sur les mamelons encadrés de sapins.
Arrivons à Berne à 1 h ½ ; changement de train pour Lucerne ; nous y arrivons à 4 h ¾. A l'hôtel du Cygne et du Righi ; changeons trois fois de chambre pour avoir celle occupée avec mes filles. Allons flâner en ville, achat de jarretelles, à trois églises, trois insuccés ; à l'une il y avait un office ; à celle des jésuites, la grille était fermée ; à St Léger, il y avait concert. Très bien dans notre chambre.

Samedi 4 Septembre 1915     Lucerne / Zurich       [Carte]

          Excellente nuit dans notre si jolie chambre, nous en savourons les délices parce qu'il pleut. Il faut renoncer à notre excursion au Burgenstock ; nous passons notre matinée à arranger nos affaires. Le petit déjeûner du matin avec beurre et miel pris en chambre parait meilleur encore ; prière du matin tardive à St Léger qu'on nettoie de fond en comble, une échelle montant jusqu'à la voûte. Tour du cimetière parce qu'il est sous les arcades.
Au Panorama réellement intéressant à voir, une dame se colle à nous, aussi bonne que simple, elle ne savait rien de rien devant ce Panorama remarquable représentant l'entrée de l'armée de Bourbaki en Suisse ; au Val Travers, le général suisse Herzog le reçoit, tout est sous la neige ; c'est si bien peint qu'on ne fait aucune différence dans un convoi de chemin de fer entre le 1er wagon qui est vrai et les autres qui sont peints. C'est à voir. De là au Lion de Lucerne nous paraissant plus beau et plus triste que jamais. Au Museum, pas le temps de le visiter. Rentrer à l'hôtel, décider de partir, descendre déjeûner, ne font qu'un. On ne peut plus nous servir, adieu le train de 1 h 20. Nous allons à la poste, pas de dépêche ; renonçons au départ de 2 h 14. Prendrons le train de 4 h 9. Lecture et écriture dans notre véranda couverte en contemplant le lac tout gris. Pourvu que nous n'ayons pas quelque défaite, tout parait sombre aujourd'hui.
          Très joli trajet d'une heure en chemin de fer de Lucerne à Zurich ; on longe le lac de Zug, puis celui de Zurich. La pluie est toujours très forte ; montons en voiture ; expliquons au cocher de nous mener d'abord à l'église N.D. puis à l'hôtel Suisse ; il commence par l'hôtel, il nous parait si modeste que nous restons en voiture, faisant expliquer par le garçon de l'hôtel à notre cocher ne parlant qu'allemand, de nous mener à l'église N.D. Est-elle perchée cette grande église ; le prêtre, de la sacristie, nous mène devant le tableau des messes dans l'église ; il nous indique l'hôtel Royal Habis près de la gare ; il a bonne apparence, mis notre chambre est petite et au 3ème. Puis, dans ces hôtels suisses, il n'y a qu'un seul gros repas ; or, à Lucerne, le léger repas est à midi et, à Zurich, le soir, aussi ai-je mangé légèrement tout le jour.

Dimanche 5 Septembre 1915     Zurich

          Temps très couvert, il pleut légèrement ; excellent petit déjeûner, vite à pied à l'église catholique N.D. fameusement perchée ; on s'y rend de tous côtés ; le carillon est fort joli ; l'église, très belle, est remplie : les femmes d'un côté, les hommes de l'autre. Grand'messe à 9 h, chants admirables, surtout le sanctus ; sermon en allemand très long, l'auditoire bien attentif. Les chants sont si bien exécutés avec les voix de soprano, de basse, etc., qu'on regette la fin. A pied à l'hôtel ; faisons notre itinéraire ; pluie en sortant, alors allons au Musée National Suisse ; il ferme à midi ; comme il est derrière la gare, venons sur la place de celle-ci et montons en auto, nous ne nous mouillerons pas et verrons vite beaucoup de choses, décidés à partir après dîner s'il pleut. En auto voyons tout, parcs, monuments, lac, églises, écoles, notre chauffeur est gentil. Rentrons à 1 h ; pendant le déjeûner le temps se relève, nous restons.
         Visite du Musée National Suisse tout récent, imitant les constructions du Moyen-Age ; curieux comme collections et chambres anciennes ; les armures très belles.
         En tramway à la promenade du parc Zurichhorn, ravissant, au bord du lac, points de vue délicieux. En tramway, encore plus loin, descendons de notre remorque et, voulant nous promener, refusons de monter dans la motrice qui nous aurait emmené plus loin, mais nous ne pouvions deviner que la remorque restait en plan et que la motrice seule partait. A pied au sommet d'un chemin, bancs, c'est joli ; le chemin à travers des prairies, très agréable ; suivons des promeneurs et arrivons ainsi à une nouvelle ligne de tramway. Rentrons par la rue de la gare. Le temps est beau mais l'air est vif.      

Lundi 6 Septembre 1915     Zurich / Landquart / Zizers / Coire (Chur)     [Carte]

          Départ de Zurich à 9 heures pour Landquart ; par erreur nous nous installons en 1ères, il faut traverser tout le train pour nous mettre en secondes. Sommes avec 3 messieurs dont un gendarme charmant. Longeons le lac de Zurich dans toute sa longueur, fort joli, celui de Walenstadt, ravissant avec ses hautes montagnes. Plus nous avançons, plus les montagnes s'élèvent, c'est la Suisse dans toute sa splendeur, vertes prairies, sapins, neige sur les sommets, cascades. A Sargans nous touchons le duché de Liechtenstein. A Landquart, nous nous arrêtons pour voir l'hôtel : la chambre très jolie, le salon très délicat, on le démeuble pour le donner aux officiers, l'hôtel est occupé par eux.
          Promenade très jolie dans des chemins malheureusement boueux. Devant nous la gorge resserrée menant à Davos. A dîner, c'est tellement peu de chose qu'il faut commander un ordinaire ou du moins un extra, fort ordinaire. Ici nous serions bien logés mais nous mourrions de faim. Des officiers rient avec la servante de table.
          En cinq minutes le train nous transporte à Zizers. Village horrible, maison des pères là devant nous, nous y arrivons tout droit. Edouard arrive tout heureux, il est très bien ; leur installation parfaite, la bibliothèque seule leur manque beaucoup. Voyons le R.P. Ledochowski, tout jeune, très simple. C'est sa grand mère maternelle qui avait fait construire la maison des frères de St Jean de Dieu. Edouard nous accompagne en gare, tous les enfants nous tendent la main, il faut la leur serrer, c'est un gracieux bonjour de leur part.
          Décidément c'est à Coire que nous irons. Descendons à l'hôtel Steinbok, en face de la gare ; chambre au 3ème, idéale, une vue de montagnes de deux côtés. C'est ravissant. A travers la vieille ville à la cathédrale Ste Luce dont la vieille et grande nef est oblique, c'est curieux. Redescente par d'autres rues anciennes. La position de Coire est ravissante, mais quel froid on doit y avoir. Famille française très tapageuse à table.

Mardi 7 Septembre 1915     Coire / Zizers / Arosa / Coire     [Carte]

          Par train de 9 h chez Edouard, arrivons par la petite gare, le jardin des frères de St Jean de Dieu. Visite de 2 h pendant lesquelles les causeries, les lectures des lettres, nous occupent. Edouard nous accompagne à la gare, toujours bon, il faut serrer les mains à tous le enfants qui la tendent. Le temps est merveilleux, le ciel tout bleu sans un nuage. Allons à Coire déjeûner à l'hôtel Steinbok, rentrons avec le général, nos soldats de planton portent les armes. Notre hôtel et celui de Landquart sont devenus casernes.
          En sortant de table, montons dans le petit train d'Arosa. Trajet délicieux, le chemin de fer est électrique. Du côté droit, dans le coin, en allant en avant, place de choix. Vue plongeante sur le Plessur encaissé au fond de la vallée ; en face la montagne est boisée, quelques chalets, un village, des sommets couverts de neige. Cette belle vallée de Schanfigg est traversée par un pont avec une belle arche. Nous nous élevons, voici les sommets couverts de neige que nous apercevions du fond de la vallée, nous les touchons. Ah ! voici des hôtels, c'est Arosa ! Un lac devant la gare, des hôtels tout le tour. Il faut marcher à droite en sortant de la gare, la route mène au village et aux multiples hôtels ou villas qui s'élèvent de tous côtés. Ayant besoin de repos, arrêt dans une véranda "restauration", bière et café nous sont servis, j'y écris ; nous y commandons une voiture par téléphone. Envoyons des dépêches à nos filles Gaby et Claire. Voici la voiture, c'est un cheval de paysan attelé à un milord. Il fait froid ; à 1800 m d'altitude, rien d'étonnant. Les hôtels se multiplient. Second et grand cirque de montagnes ; air vif sans vent ; la neige fond sur les toits, nous pourrions en prendre dans les prairies, mais elle n'est bien tenace que sur les hautes montagnes envionnantes. Notre jeune cocher nous fait descendre par des chemins à pic, au bord du plus petit lac. Remontons autour du grand ; des enfants an barque rament à tour de bras. Les villégiateurs, pour la plupart tête nue, messieurs, dames et enfants. Faisons un 2ème fois le tour du grand lac à pied pour nous réchauffer. Puis, calefeutrés dans notre compartiment et seuls, jouissons pleinement des beautés de la route. A une petite station où il y avait un chargement de caisses à mettre en wagon, tous les ouvriers du train descendent et vont aider l'employé du chemin de fer. Rentrons enchantés de notre après-midi.          

Mercredi 8 Septembre 1915     Coire / Zizers / Landquart / Ragaz / Bains de Pfaeffers / Ragaz / Coire     [Carte]

          Je me dématine pourpour aller à la messe à la cathédrale ; il fait froid et faut-il monter pour l'atteindre ! Beaucoup de messes. des soldats dans la ville et l'hôtel, il en arrive, il en part. A Zizers à 9 h. Saluons le substitut du P. , assistant italien qui m'apprend le départ du P. Lucas pour Laval. Le frère postier étant infirmier, je lui recommande Edouard. "Et vous obéit-il ?" lui dis-je — " Oh, ça j'ai les moyens !" me répondit-il, en riant. Edouard nous apprend qu'il y a un assistant de plus pour les Etats-Unis. Il n'y a en ce moment que trois substituts, la correspondance étant moins active. A Landquart, correspondance en attendant le train de Ragaz. On y est bien vite. Déjeûner à midi et ½ à l'hôtel de la Tamina, très bien comme nourriture, comme personnel et comme société. En voiture aux bains et aux gorges de Pfaeffers, la gorge se reserre pendant 4 ou 5 h, rappelant en petit celle du désert à la Grande Chartreuse. Aux bains qu'on traverse, succède l'entrée de la gorge, tandis que la Tamina aux eaux glacées roule des eaux avec fracas. Une source d'eau chaude immédiatement canalisée donne à une salle voûtée, une grotte plutôt, une chaleur de 27 degrés ; on y étouffe littéralement. Retour en voiture. Cette installation de Pfaeffers est tellement triste et modeste que toute la société prend les eaux à Ragatz, dans les divers établissements créés pour les baigneurs.
Tandis que Benjamin se fait raser, je croise devant l'immense hôtel Ragaz, puis au funiculaire pour l'hôtel Warstentein ; de la véranda, vue sur la vallée ; le vent du nord y souffle avec force, il fait froid. Redescendons et droit au Kursaal ; très jolis jardins, il est à côté du grand hôtel Quellenhof, le mieux situé, soit pour la beauté des jardins, soit pour son exposition au midi. A pied à la gare. Rentrons à 7 h. A table moins de monde, les servantes charmantes, le maître d'hôtel attentionné.      

Jeudi 9 Septembre 1915     Coire / Zizers / Coire / Saint Moritz / Coire     [Carte]

          Quelle complication ! Pour voir Edouard suffisamment avant notre départ pour St Moritz, je commence par me réveiller à 4 h afin de me lever à 6 h. Déjeûner devancé à 7 h ½, partons par le train de 7 h 50 pour Landquart afin d'y chercher une voiture nous menant à Zizers ; pas de voiture ; alors ¾ d'heure de promenade sur la route. A 8 h 58 en gare : j'ai l'aberration  de croire un employé ne sachant que parler allemand et nous laissons partir le train de 8 h 58 sur la grande ligne sous notre nez ; il nous faut attendre celui de 9 h 22 sur la petite ligne, ce qui ne nous donne plus aucune avance. Chez Edouard, la dépêche de Gaby nous disant qu'Edmond est en permission, que tout est calme en Tunisie et qu'on y est bien, nous contente pleinement. Quittons Edouard à 10 h ½, en voiture 2 chevaux, pour Landquart afin d'avoir un train nous amenant directement à Coire et avoir plus de temps pour dîner.
          Départ pour St Moritz à midi ¼. Trajet avec des personnes fort obligeantes, surtout la propriétaire du Palace Hôtel à la Maloja. Trajet splendide rappelant celui du St Gothard par ses ponts hardis, ses tunnels, ses courbes, ses rampes et ses tunnels hélicoïdaux. La nature y a accumulé toutes ses richesses, cours d'eau, torrents, cascades, forêts, rochers, grandes montagnes, neige, glaciers, tout s'y succède, créant partout des merveilles, des contrastes, le tout s'harmonisant pour éblouir le voyageur saisi de toutes ces merveilles. En arrivant, la Bernina est étincelante par ses glaciers éclairés par le soleil couchant. Nous n'avons qu'une heure à St Moritz avant le départ à 4 h ½. Un employé de la gare a failli me prendre au collet parce que je traversais la voie. Montons à l'hôtel La Margna, le plus rapproché de la gare, pour y prendre une consommation. Retour féérique avec le soleil couchant sur les sommets. La meilleure place est celle allant en avant, à droite. Cet angle est parfait ; l'autrre côté, au début jusqu'à Solis. A l'hôtel Steinbock, tous charmants.
          Il y a dans la Suisse un mouvement de troupes extraordinaire, les frontières sont gardées, les hôtels sont devenus des casernes, disent les hôteliers ; le fait est que l'état-major loge à l'hôtel Steinbock dont il occupe une partie, deux sentinelles sont en faction devant la porte de l'hôtel nuit et jour.

Vendredi 10 Septembre 1915     Coire / Zizers / Churwalden / Coire     [Carte]

          Tranquillement chez Edouard, bon jusqu'à la moëlle des os. Il veut nous faire visiter le rez-de-chaussée semblable aux autre étages, toutes les portes sont fermées. Nous parlons beaucoup de Xavier, de missions ; il croit, comme nous, que l'Italie alimente l'Allemagne, depuis qu'à Zurich nous avons constaté le mouvement qui y règne. L'après-midi en voiture à Churwalden, très jolie situation à 1200 m d'altitude au milieu de prairies et de sapins. La toute pour y aller fort belle, monte étrangement ; froid intense, le vent du nord étant très fort. Nous prenons du chocolat bien chaud pour nous réchauffer, à l'hôtel de la Poste, tous les jolis hôtels sont fermés. Redescendons en une heure ; notre équipage est burlesque : une grosse jument, une vieille voiture découverte à 4 places, Benjamin et moi avec manteaux, couvertures, plus le tablier de la voiture. Un brave bonhomme de cocher assis sur le devant, met le sabot à la descente et nous mène rapidement jusqu'à la cathédrale où nous prenons les heures des messes. Un peu de loisir dans notre chambre. Dans le pays on coupe pommes et poires à morceaux, on les enfile et on les fait sécher aux fenêtres. Partout pendent des chapelets de fruits.

Samedi 11 Septembre 1915     Coire

          Ciel tout bleu, pas un nuage en nous levant, mais froid ; malgré ce, tout le monde déjeûne dehors, au soleil sur la terrasse, nous sommes seuls dedans. Restons en chambre puis un tour dans la ville ; achats, promenade jusqu'au belvédère, au tournant de la route dominant la cathédrale ; il fait un vent froid, la brume envahit toute la vallée, plus de soleil. Après dîner chez Edouard, passons avec lui toute l'après-midi, il me porte la photo de leur petite chapelle ; lisons les lettres de nos filles. Les enfants du village selon leur coutume, se précipitent sur nous pour nous serrer la main. A leurs fenêtres pendent ces longs chapelets de fruits qu'on fait sécher ; on les cueille aussi, secouant les poiriers et les pommiers qui en sont chargés. C'est la Pratigan. Adieux à notre cher Edouard. De retour à l'hôtel faisons nos malles. Les voyageurs sont partis sauf un ou deux.

Dimanche 12 Septembre 1915     Coire / Linthal     [Carte]

          Temps splendide, la plus belle journée avec celle d'Arosa. Allons à la grand'messe à 9 h, à la cathédrale ; c'est une véritable ascencion. Beaucoup de piété, la grand'messe se chante à l'autel principal, celui qui est si haut. Revenons par le chemin de l'école. Tout le monde étant parti, il n'y a, dans la salle à manger, que la famille d'un officier.
Départ à 1 h ½ pour Linthal. Après avoir longé le joli lac de Walenstadt, changeons de train à Weesen ; la vallée de la Leith est très industrielle, beaucoup d'usines ; sites charmants, le Tœdi au fond fermant la vallée ; à l'hôtel Ber, loin de la gare ; propre, une toute petite chambre. A la poste attendons l'arrivée de la poste ; assis sur un banc, nous faisons peur à des petits enfants s'amusant près de nous. Voici la voiture à 5 h ½, c'est un landau, il y a 4 voyageurs. Retenons nos 2 places pour demain. A l'hôtel, un bon café au lait me réchauffe. Nous sommes seuls. Benjamin regrette notre bon hôtel Steinbock.

Lundi 13 Septembre 1915     Linthal / Urnerboden / col de Klausen / Urigen / Altdorf / Brunnen     [Carte]

          Benjamin dort mal dans cette chambre minuscule où nous mourrons de froid, aussi nous convrons-nous comme des Esquimaux. A l'heure indiquée, 9 h ¼, nous sommes devant l'hôtel des Postes ; la voiture y est déjà ; sommes-nous heureux, pas d'autres voyageurs que nous deux assis au fond de notre landau avec le postier et le postillon sur le siège ; ils sont bavards, ils ont causé tout le temps. La journée est splendide ! Nous nous élevons en lacets au dessus de la vallée de Linthal. C'est gracieux, vert, riant, et au fond de la vallée, la fermant au sud, l'énorme Tœdi, 3623 m, avec sa croupe toute blanche. Après deux heures de trajet, le tableau change en même temps que la direction ; quittant l'admirable vallée de Linthal, la route s'engage dans une immense et longue prairie marécageuse bordée au nord par une chaîne de rochers dénudés et déchiquetés, au sud, au second plan, les Clarides superbes avec leur manteau d'hermine, c'est ce qu'on appelle l'Urner Boden. Là est la limite des cantons de Glaris et d'Uri. Arrêt au relais d'Urnerboden pour déjeûner, une sauce était bien réussie ! Après déjeûner commencent de grands lacets à l'ouest de la vallée dévastée avec une vue plongeante sur cette vallée dévastée et les Clarides superbes.
Atteignons enfin vers 3 h le col de Klausen, 1852 m d'altitude. Le tableau est toujours sévère jusqu'à l'hôtel Klausenpass-hœhe. Pied à terre, c'est un belvédère sur la chaîne des montagnes superbes et blanches, commencée par les Clarides et finie par l'Uri-Rotstock. La descente, surtout en s'asseyant à rebours, est ravissante parce qu'on a le décor des montagnes neigeuses comme fond dde tableau, tandis que les pâturages les plus verts, les mamelons boisés, se succèdent. Depuis le déjeûner avons avec nous en voiture une jeune fille servante d'hôtel rentrant dans sa famille à Altdorf. A une des dernières étapes pour la poste, à Urigen, goûtons sous la véranda avec du chocolat cuit. Je trouve que la descente sur Altdorf ne le cède en rien à la montée sur Linthal. Fraiche verdure et montagnes énormes et toutes blanches. Un monsieur, marchand de fer, vient ocuper notre 4ème place. Il sait assez bien le français mais le parle avec force grimaces ; quel type ! A Altdorf, laissons le Mr et la jeune fille. Pendant la route, elle avait débité, avec le postillon tout jeune et le postier, maintes gaudrioles. Promenade avec Benjamin, le train a du retard.
          Arrivée à Brunnen à 8 h. Personne en gare. Deux petits garçons nous portent nos sacs. Rencontre du garçon de l'hôtel de l'Aigle d'Ur où nous allons. Il s'appelle aussi hôtel Adler en allemand.

Mardi 14 Septembre 1915     Brunnen / Treib / Gersau / Beckenried / Vitznau / Kehrsiten / Burgenstock     [Carte]

          Chambre délicieuse (n°22) à trois fenêtres, une donnant du côté du bras de Gersau, les deux autres sur le bras direction sud, d'Uri, c'est ravissant. Nous avons dormi comme des loirs. Cet hôtel de 2nd ordre est parfait, très convenable et bon ; le 1er déjeuner se prend sous une véranda ouverte abritée par une tente, séparée du lac par la route. Derrière l'hôtel est une toute petite église catholique . J'aurai pu y venir à la messe que j'ai entendu sonner. Devant l'hôtel, l'embarcadère. Nous décidons, avec Benjamin, de le prendre comme centre d'excursions.
           Le bateau part à 9 h, touchons d'abord à Treib où est ce vieux et beau chalet dont parle Baedeker. Puis à Gersau, à Beckenried, enfin dans l'autre bras de lac, à Vitznau, où nous restons jusqu'à 2 h ½. Plus de passagers, aussi peu de bateaux. Pauvre Suisse autrefois si animée, elle aussi paye son tribut à la guerre. Promenade au bord du lac côté ouest, arrivés à la pension Bellevue, attrayante par sa situation, sa véranda et ses jardins ; une allemande nous refuse catégoriquement à déjeûner ; elle va chercher une dame française, elle nous explique qu'une pension ne peut donner à déjeûner sous peine d'amende. Revenons à l'hôtel Rigibahn en face du débarcadère. Déjeûnons sous une véranda à demi-vitrée, tout-à-fait au bord du lac. Là, comme ce matin à déjeûner, nuée de petits oiseaux venant manger tout près de nous les mies de pain que nous leur donnons.
Quittons Vitznau à 2 h ½. Temps couvert mais beau ; traversée trop courte vu l'agrément. Descendons à Kechrsiten pour prendre le funiculaire de Burgenstock. On monte à pic sur le lac. Plus qu'un hôtel ouvert, le Grand Hôtel. Benjamin bougonne, le monde chic, épatant, ne lui va pas. Nous entendons des chants aux salons, Benjamin encore plus ennuyé. L'hôtel prépare sa fermeture, notre chambre déjà fermée ; immédiatement partons pour l'admirable promenade du Burgenstock, plateau à 875 m d'altitude et 450 m au dessus du lac.
          Suivons l'admirable chemin de Felsenweg, c'est une promenade charmante à 450 m au dessus du lac, s'élevant peu à peu par une pente douce avec des points de vue superbes sur le lac et les rives nord ouest du lac qu'on surplombe. Des bancs nous permettent de multiples arrêts. Plusieurs personnes le descendent. Arrivés vers la fin, rencontre des 2 Suisses attachés à l'ascenseur électrique. Ils reviennent avec nous ; l'ascenseur en montagne nous monte à 1132 m. De là à pied au sommet de la Hammetschwand, vue superbe sur le lac. Lucerne les environs au sud sur tous les sommets, les uns couverts de neiges éternelles, le plus rapproché et le plus blanc est le Titlis ; la vue des montagnes me fait encore plus d'effet que celle du lac. Trois petits sommets qu'on touche : le Rigi, le Pilate et le StanserHorn. C'est splendide. Redescendons vite en ascenseur à cause de nos braves gens. Haltes multiples, Lucerne est tout éclairé.


Lucerne la nuit, vu du Burgenstock

Arrivons à l'hôtel à 7 h ¼, ravis de notre promenade ! Quelle comédie, nous sommes seuls dans l'hôtel, les derniers voyageurs sont partis ce soir. Seuls à dîner ! Seuls dans l'hôtel !

Mercredi 15 Septembre 1915     Burgenstock / Alpnach / Brunig / Meiringen / Brienz / Interlaken     [Carte]

          Déception ! A 6 h ½, en ouvrant nos persiennes, un grand rideau gris nous voile toutes les beautés d'hier, il pleut. Faisons bon cœur contre mauvaise fortune; d'ailleurs, pendant notre toilette, l'horizon s'ouvre devant nous et, quand nous quittons notre fastueux hôtel après le petit déjeûner, le temps est clair, le ciel de déchire, c'est le beau temps. Quittons à regret nos hauteurs par le funiculaire, le bateau nous emportant à Alpnach arrive de Lucerne ; le temps est doux, nous pouvons nous installer sur la pont. Passons, le pont ouvert pour notre bateau ; ce bras du lac est joli entièrement fermé à l'œil ; le Pilate s'élève à droite, la riante vallée de l'Aa s'ouvre à gauche. A Alpnach, la gare touche le train, la route monte, cotoie des lacs, celui de Sannen, puis celui de Lungen, jolie situation. Enfin, montant toujours jusqu'à 1000 m, atteignons le Brunig. Arrêt d'une ½ heure pour laisser dîner les voyageurs ; avec Benjamin, préférons faire un tour et manger sans nous presser à Meiringen. La descente est vertigineuse.
          Voici Meiringen et le Grand Hôtel du Sauvage sur lequel nous établissons nos projets d'un doux revoir(1) et formons ceux d'un bon dîner, gras pour Benjamin, maigre pour moi, ce sont les 4 temps. D'un pas leste et décidé nous nous y dirigeons, ouvrons la porte, c'est bien lui. Une dame se précipite :"Pardon, Messieurs, l'hôtel est fermé, il n'a pas ouvert cette année". Quelle complication ! Vu l'heure avancée, allons au plus près, à l'hôtel de la Poste, modeste ; nous attendons notre repas jusqu'à 2 h. Benjamin est furieux. Nous dévorons, sauf la table, tout a disparu. Très bons ces petits poissons à la meunière. A 2 h ¾ nous sommes en gare pour notre train. Pas de chance, il est supprimé ; il nous faut attendre le suivant dans une heure ; Benjamin s'installe sur un banc de la gare et lit son correspondant ; pour ma part, j'écris journal et cartes. Voici le train. En peu de tempsà Brienz ; le jeune ménage, notre voisin dans le train, fait rire l'employé de chemin de fer. Cette vallée est remplie de cascades, de hauts sommets.
          De Brienz à Interlaken, le lac avec tous ces bois aux teintes d'automne, ravissant. La cascade du Giessbach imposante. A notre arrivée, mystification : notre hôtel du Belvédère fermé depuis hier. Allons au Splendide qui ne le vaut pas comme situation. A la poste, lettre de Gaby et carte d'Edouard. La Jungfrau, bien belle à notre arrivée, se voile peu à peu.
(1) Cf. le récit "Séjour à Saint Beatenberg et voyage en Suisse - Août-Septembre 1902"

Jeudi 16 Septembre 1915    Interlaken / Beatenberg / Interlaken     [Carte]

          Quelques achats de toilette avant le départ du bateau à 11 h. Nous allons à St Beatenberg. L'embarcadère est à côté de la gare centrale, celle de Thonne. La traversée est fraiche, le funiculaire nous transporte en 10 mn. Commandons une voiture par le téléphone. Attente éternelle. Notre hôtel de la Poste a fermé samedi. Le propriétaire de 1902 est mort, son fils lui a succédé : "les années précédentes, on avait eu jusqu'à 2500 voyageurs, 5 ou 600 cette année". A l'hôtel Splendide, simple et bon, ouvert toute l'année, après l'hôtel Regina où était notre jeune Russe(1). Déjeûner sur un balcon, à l'ombre d'une tente, en face de la Jungfrau dans toute sa splendeur. Nous avons plutôt trop chaud à cause du soleil couchant. Assis sur un banc, à l'ombre des tilleuls, en face de notre montagne immaculée, restons en contemplation. Benjamin y lit bien un peu son correspondant.
          A 9 h, prenons la route de l'Amisbuhl, nous nous égarons et montons à pic une prairie, Benjamin très allègrement, moi soufflant comme un bœuf. Enfin voici le bon chemin ; en 10 mn arrivons sur la terrasse merveilleuse en face de toute la chaîne de la Jungfrau, éclatante de blancheur. Nous y goûtons en souvenir du fameux goûter fait en 1902 avec nos cinq filles en redescendant des trois sommets du Güggisgrat et de nos 8 heures de marche(1). Benjamin est tout heureux de ces souvenirs et de revoir cette villégiature où nous nous étions tant plu. Redescendons d'unpas alerte jusqu'à l'hôtel Splendid où notre voiture vient nous reprendre pour nous mener au funiculaire. Longue attente du bateau ; le croisement du tramway Interlaken-Thonne et vice-versa a lieu à ce moment-là. Pendant la traversée la lune apparait, elle éclaire la Jungfrau, aussi en rentrant nous installons-nous sur notre balcon pour la mieux contempler. Le monsieur horrible, à la perruque noire, aux favoris blancs et noirs, toujoursà table devant moi. C'est une caricature. Enfant vêtu d'un caleçon de bain prenant un bain de soleil dans les prairies au dessous de l'Amisbuhl.
(1) Cf. le récit "Séjour à Saint Beatenberg et voyage en Suisse - Août-Septembre 1902"

Vendredi 17 Septembre 1915     Interlaken / Thonne / Berne / Neuchâtel    [Carte]

          Promenade sentimentale après notre déjeûner en chambre, ce sont nos adieux à notrecher et délicieux Interlaken. Au Hocheweg on cueille les noix sur les vieux noyers de la promenade ; du haut de leurs longues échelles, les hommes battent les branches à tour de bras, les enfants ramassent les noix et en remplissent des corbeilles.
          Voici les hôtels les mieux situés, d'abord Victoria puis Jungfrau, tous deux très beaux, enfin Suisse, puis du Belvédère, notre hôtel de 1894. Il est le plus rapproché de la nouvelle église catholique, bien jolie, il y avait la messe à 8 h ; comme elle est poêtiquement située. Flânons, la Jungfrau splendide.
          A 10 h ½ en bateau, dînons à bord. Le lac bien joli et l'on y jouit d'une vue magnifique sur les Alpes bernoises, la Blumlisalp est de toute beauté ! Vers Thonne, rives enchanteresses, villas, châteaux, un est à vendre ! Trajet d'une heure de Thonne à Berne, au grand complet, avec une jeune personne impeccable comme toilette, elle lit un roman, sa chemisette en mousseline brodée laisse apercevoir une petite patte brodée passant sur l'épaule, la jupe tailleur est irréprochable, ses bottines vernies sont jaunes ; avant d'arriver elle ferme son livre, se mire, se poudre, remet sa voilette. Voilà un type, c'est la personne frivole.
          De Berne à Neuchâtel, c'est plat, plus de montagnes. A Neuchâtel, hôtel Terminus, à deux pas de la gare. Prenons sur la terrasse, du côté du lac, Benjamin, de la bière, moi, du café. Puis au centre de la ville prenons le tramway pour La Coudre, une jeune fillette fait ses devoirs sur ses genoux. Prenons le funiculaire de Chaumont ; très jolie ascension à 1178 m, un funiculaire montant les pentes du Jura au milieu des forêtes de sapins ; à une gare desservant les plus jolies habitations, un long pont suspendu pour les piétons mène ceux-ci à une tout belvédèrebqu'on s(ouvre soi-même en mettant une pièce de 0,20 c. dans un tronc ; un petit escalier en spirale vous conduit au sommet. La vue y est splendide. Le soleil couchant éclairait toutes les cîmes blanche des Alpes bernoises, je crois même avoir aperçu le Mont Blanc beaucoup plus au sud. Il y avait de la brume dans le bas, sinon ce doit être féérique. Descente et tous nos parcours avec des gens aimables et polis. De retour à l'hôtel nous apprenons par le concierge qu'il n'y a qu'un train pratique entre Berne et Paris passant par Vallorbe et étant à Neuchâtel le soir à 9 h 55. Qu'allons nous faire ? La nuit porte conseil. Musique sous nos fenêtres, applaudissements frénétiques. Ils sont chauds à Neuchâtel. Quelle chaleur comme atmosphère !

Samedi 18 Septembre 1915     Neuchâtel / Val-de-Travers / Verrières / Neuchâtel / Verrières / Pontarlier    [Carte]

          Commençons par une descente vertigineuse sur la belle église catholique gothique qui n'a que ledéfaut d'être en briques rouges. La ville étant sur un coteau, les escaliers y sont innombrables. On est heureux de voir un aussi beau monument en pays protestant. Jolie allée sablée autour de l'églse, puis un tout au jardin Desor, de là au jardin anglais au milieu de la ville ; laissons à gauche l'énorme université, le bel hôtel des Postes, enfin sur la place de l'Hôtel de ville tout fleuri, prenons notre tramway n°6 pour rentrer à l'hôtel et faire ensuite la plus belle partie de perruquier que Baedeker pût faire. Vantant le Val de Travers et devant le faire de nuit, nous prenons le train en plein soleil, 11 h.
          Le Val-de-Travers ne nous dit rien. L'hôtel Terminus aux Verrières qu'il vante est affreux. La course à pied que nous devions faire aux gorges de l'Arense ne nous tente en rien avec ce soleil de plomb et nous revenons par le 1er train. A 3 h ½ nous étions de retour. C'est aujourd'hui dans les forêts du Jura que les teintes d'automne sont les plus accentuées. Repos à l'hôtel. Nous ne bougerions pour un empire. Une excellente heure a été celle passée sur la terrasse de l'hôtel en prenant une consommation ; on peut y lire dans de bons fauteuils, ce qui a été très agréable. Les Alpes se voient, mais faiblement. Le soir, descendons sur les quais, remontons avec le train de la gare n°6. Ce soir à table, on a oublié la commande en maigre, nous avalons un potage qui était gras, puis attente d'une ½ heure pour le reste ; Benjamin s'impatiente.
          A 10 h en wagon. Nous sommes dans une voiture suisse, avec un vieux monsieur, grand-père d'une fillette d'un an avec sa nourrice, beau parleur avec sa fille, mère de la petite fille. Jusqu'aux Verrières, douane suisse, c'est très bein : on remonte dans les mêmes wagons. A Pontarlier, c'est une autre affaire ; pendant la longue attente et le passsage de la douane , on enlève les voitures suisses, tous les voyageurs qui s'y trouvaient se trouvent sans place jusqu'à Frasine. c'est un tollé général pendant ¼ d'heure. Nous avons bonne fortune d'être accueillis dans un compartiment français, donc plus de changement jusqu'à Paris.

Dimanche 19 Septembre 1915    Pontarlier / Paris

          Dans ce compartiment sont un Français et 3 Anglais. ; un vieux, un jeune, on y fume pipe et cigarette. Il fait frais, il faut se calefeutrer. A Paris à 8 h, 1 heure de retard. Déjeûnons au buffet ; avons nous eu bien raison ; puis passons la douane et en omnibus chez Corinne, il n'y a plus d'autos en gare. Vite toilette et à la messe de 11 h 05 à St François-Xavier. Amour de petit garçon aux boucles blondes avec une combinaison rouge serise. Qu'elle irait bien à Eugène ! Déjeûner avec la Mère Générale et l'assitante des religieuses de Nazareth. Conversation très intéressante, elle a vécu en Belgique avec les Prussiens et a traversé l"Allemagne jusqu'en Suisse pour s'occuper de ses maisons d'Orient. Après dîner Benjamin fait une longue sieste tandis que la correspondance prend tout mon temps. Sortie tardive, salut chez les Bénédictines de la rue Monsieur. Dîner à trois dans la petite salle à manger, c'est délicieux ; si Lilette était là nous ferions la partie carrée, mais elle est retenue à St Gervais-les-Bains.

Lundi 20 Septembre 1915     Paris    

          Courses toute la journée pour remplir les formalités concernant notre départ. Ce matin Corinne nous accompagne en auto. Ce soir nous allons seuls. Terminons par une visite à Sup. Gale des Auxiliatrices. Puis seule au Bon Marché pour acheter voilette et violettes. Faisons notre malle. Corinne vient assister à la garniture de mon chapeau. Prenons nos deux repas à la table commune. Préparons le départ.

Mardi 21 Septembre 1915     Paris / L'Aigle / St Malo

          Départ à 9 h pour St Malo. Déjeûner rapide à L'Aigle ; beau temps. Seuls de Paris à St Malo sans changer de train. Arrivée à 5 h. Ayant oublié mon Baedeker dans ma malle que nous laissons au dépôt, allons à pied à l'hôtel dont j'ai oublié le nom mais dont lje me souviens de l'emplacement. Entrons dans les remparts, le voilà : hôtel de France et de Chateaubriand. Oh ! Un soldat à la porte. Plus d'hôtel mais une ambulance. Où aller ? Sur la place deux hôtels qui ne me disent rien, des Voyageurs et de l'Univers. Je demande à trois dames réunies sur la place, un bon hôtel ayant de la vue. Elles m'indiquent la pension Bellevue. Nous voilà montant la ville, nous y voici. C'est laid, l'hôtesse très avenante nous introduit dans sa dernière chambre libre. Elle donne sur le mur des remparts, nous sommes encaissés. Il est tard, pour une nuit nous restons. La composition des voyageurs pas mal, mais à table linge atroce et douteux comme propreté. Très bon dîner. Benjamin bougonne parce qu'on ne le sert pas. Vie de famille. Après dîner correspondance au salon. L'électricité s'éteint. C'est une rumeur dans l'hôtel, pour nous pas de changement dans nos chambres où de simples bougies nous éclairent ; c'est mieux ainsi de rien voir.

Mercredi 22 Septembre 1915     St Malo / Jersey

          Quelle horreur dans notre chambre, heureusement que la nuit avait tout voilé. Nos toilettes n'ont pas du être touchées depuis dix ans, la poussière pullule partout, nos grands lits seuls propres et excellents. Nous y avons dormi 6 heures sans nous réveiller. Faisons dans la matinée certaines courses. Tandis que Benjamin se fait raser, je vais à la cathédrale, fort belle ; la dévotion du S.C. est établie dans toutes nos églises ; chez le consul anglais pour nos passeports. Promenade sur les remparts très intéressante ; la marée est basse, aussi peut-on aller à pied au Fort National, au Grand bey et au Petit Bey. Beaucoup de monde, il y a de l'animation. Voici l'hôtel Franklin hors la ville où il eût fallu aller, l'hôtel de France et Chateaubriand étant fermé. A midi, repas éternel, François est seul pour servir 25 à 30 convives. La grand-mère, fille et petite fille sont là. Vite dans notre chambre, nous mettre en hiver. Nous la quittons avec enthousiasme. Au bateau monde énorme, d'abord nos 30 collégiens ayant dîné à la pension Bellevue, les Oblats, complication de visa des billets.
          Enfin vous voici installés. Traversée admirable, partis à 4 h, arrivés à 6 h ½. Mlle Huet est là, le grand landau, mais la maison Huet est fermée. C'est Mme Peters, deux maisons plus loin, qui nous reçoit. Nous logeons au 2nd dans une petite chambre et un grand lit. Une dame fort gentille y est aussi.

Jeudi 23 Septembre 1915     Jersey

          A 9 h ½, partons pour les Auxiliatrices ; pendant la longue rue, rencontre de toutes les Auxiliatrices. Loulou, rouge, a eu des névralgies ; sa supérieure a été charmante, d'une bonté et d'une simplicité délicieuse ; restons avec Loulou jusqu'à midi. Nous recevons les demoiselles Huet avec les petits. Vite chez Loulou, voyons Maty, très sainte et dévouée. En sortant de chez les Auxiliatrices, allons à la recheche de la maison du consul de France. Entrons au Royal Hôtel. Puis à l'orphelinat du S.C., achats de manteaux. Là Benjamin s'aperçoit que son portefeuille a disparu. Alors des soupçons nous viennent sur le certain monsieur en gris qui vint nous renseigner sur le chemin à suivre pour aller chez le consul. Ses grand gestes nous reviennent à la mémoire, c'est lui le coupable. Ce soir Benjamin va chez le commissaire faire sa déposition avec le gendre de Mme Peters ; la jeune femme charmante.

Vendredi 24 Septembre 1915     Jersey

          Benjamin a bien dormi malgré le vol. Après notre déjeûner allons directement 47 rue Rouge Bouillon, repassons sur le lieu du vol ; c'est Mr Jouve lui-même qui nous ouvre, il partait pour le consulat ; il est le beau-frère de Mr. Juste Guigou, aussi la connaissance est vite faite, il est aussi aimable que possible ; allons avec lui en villa par un joli square, rencontrons le chef de la police ; Mr Jouve lui raconte notre mésaventure ; allons nous faire reprendre en photographie. Benjamin est tout remonté. Chez Loulou, lui racontons notre vol ; lecture de lettres. La pluie tombe si drue que Loulou fait téléphoner pour avoir une voiture. Maty rentre trempée. La gentille petite dame est en trio avec nous. Après dîner recevons nos 7 manteaux. La voiture vient nous reprendre ; chez Loulou voyons Maty, puis on vient me chercher pour voir un vieux père jésuite qui désire des nouvelles du P. général. Après cela c'est Mère St Bernardin, la supérieure, qui veut me voir. Loulou n'est pas bien, on se demade si elle n'a pas un rein flottant ; je suis bien ennuyée. Je ne vois plus Loulou.
En coupé aux bords de mer, sur la route de Montorgueil ; le ciel est ravissant, très clair, la mer avec ses mille rochers. C'est la marée haute. Arrêt à St Thomas.

Samedi 25 Septembre 1915     Jersey

          Allons chez Loulou de 9 h à 11 h afin de déjeûner à 11 h ¼ et partir pour Corbière à midi ½. Le temps est radieux. L'air est vif, aussi pas trop de chaleur au soleil. D'abord promenade tout en bas au milieu des rochers, dans chaque creux de l'eau, mais la mer est au loin. Sur le terrasse d'un café tout proche, installés les pieds au soleil, la tête à l'ombre, nous jouissons de ce coup d'œil magnifique. Au loin Guernesey, Sark. Je suis sur la crête d'un promontoir de promeneurs. La mer est aussi bleue que notre Méditerranée. Retour à 3 h, différentes commissions en ville, le photographe, la poste, etc. Je précède Benjamin chez Loulou où nous sommes de 5 à 7 h. Bonne causerie. Ce soir, pas notre petite dame chez Mme Peters.

Dimanche 26 Septembre 1915     Jersey

          Messe de 8 h à St Thomas, il y a beaucoup de communions, deux mères auxiliatrices s'occupent des congréganistes. Matinée chez Loulou où, avec Maty, puis la gentille mère supérieure St Bernardin, réglons toutes choses pour la santé de Loulou. Le temps se couvre, il pleut pendant notre déjeûner ; profitons d'une éclaircie à 3 h pour aller chez Mr et Mme Jouve ; ils nous reçoivent, nous font voir leur photo avec leurs 7 fils ; nous voyons leurs trois plus jeunes. Ils chassent merles et grives dans leur jardin. Au retour, pour ne pas revenir par le plus court chemin, nous nous perdons, faisons un grand tour circulaire du côté de la gare de Gose ; n'avons pas le temps de nous reposer chez nous, il faut repartir pour chez Loulou que nous voyons de 5 à 7. De là, à l'exercice de St Thomas jusqu'à 8 h où nous dînons sans notre petite dame.

Lundi 27 Septembre 1915     Jersey

          Journée d'adieu, le ciel est gris ; Ce matin avec la Mère St Bernardin et Maty, grande conférence pour la santé de Loulou. C'est à midi que le meilleur docteur doit voir Loulou au lit. Cet après-midi Mère Supérieure puis Maty me voient. C'est l'intestin qui est malade chez Loulou, il lui faut des laxatifs. Loulou revient plus tranquille ; agenouillée aux pieds de sa supérieure, elle promet monts et merveilles. Bonne causerie, salut jusqu'à 5 h. Le soir à St Thomas puis avec notre gentille petite dame, dernier repas, soirée.

Mardi 28 Septembre 1915     Jersey / Granville / Paris

          Nuit pas brillante ; je ne sais pourquoi je ne suis pas solide, aussi je me lève avec bonheur à 4 h. C'est toujours la nuit que je suis congestionnée. Temps couvert. Beaucoup de passagers ; nous déjeûnons à bord, après avoir pris notre chocolat chez Mme Baker, bien anglaise, très bonne, polie, obséquieuse presque. On aurait vite le mal de mer en restant à la salle à manger. Je m'installe à la porte du commandant qui a ouvert les deux battants de la porte de mon vestibule, ; si le bateau avait moins de roulis, j'aurais assez d'air ; je me décide à m'assoir dehors, mais au 2nd, pour être plus à l'abri. Tout de suite je suis très bien ; je donne à une pauvre Mère Auxiliatrice des Liberia ; un pauvre Père rend toute sa mauvaise humeur, tandis que des enfants jouent. En 2 h ½ à Granville ; avec nos bagages à faire porter à la gare, rien que le temps de déjeûner au restaurant de la gare, mauvais, tous les hôtels fameux sont transformés en hôpitaux. Quel monde dans notre train express de Granville à Paris, celui de St Malo nous suit ! En 7 h ½ le trajet. Des dames, dont une a eu cinq enfants et espiègles, se sont déclassés, on les fait payer et on les oblige à attendre le 2nd train. Il pleut, il fait froid. Arrivée chez Corinne, nombreux courriers, dîner à la petite table dans la salle à manger.

Mercredi 29 Septembre 1915     Paris

          Temps très aigre, messe à 9 h à St François Xavier, enterrement d'un militaire, parents en larmes. Quelques courses en auto, au Printemps. Corinne vient encore déjeûner avec nous, il nous semble être au cabanon. Longue correspondance pendant que Benjamin lit. Courses en auto, au Magasin du Louvre, Benjamin retourne à pied ; au Bon Marché. Il pleut. Dîner en tête à tête dans la petite salle à manger. Visite de Corinne. A 10 h elle vient heurter à notre porte. On refuse tout passage aux voyageurs pour la Suisse. Trouée en Champagne, la cavalerie donne, on poursuit les Allemands. St Michel, venez-nous en aide !

Jeudi 30 Septembre 1915     Paris

          Enfin je reprends ma vie. Messe de 7 h ½ à St François Xavier, déjeûner avec Benjamin dans notre chambre où nous prenons nos habitudes, puis, vu le froid qui se fait sentir, à pied pour nous réchauffer par l'esplanade des Invalides, le pont Alexandre, les Champs Elysés. C'est magnifique, mais Paris est calme, plus d'autobus, quelques rares gros véhicules, plus la crainte de mourir écrasé. En voiture chez Vacheron pour la montre de Benjamin, puis à N.D. des Victoires. Vite en auto pour dîner, Corinne nous gâte et vient encore avec nous dans la petite salle à manger. Long séjour dans notre chambre, Benjamin aime cela. Nous repartons à pied pour aller aux bureaux de l'Echo de Paris, sans Baedeker, nous allons par les rues de Babylone, Barbet Jouy, Varenne (hôtel de La Rochefoucault Doudeauville). Là, erreur, allons trop loin, avons allongé, revenons sur nos pas. Pont de Solférino, Champs Elysés, rue Castiglione, place Vendôme ; là prenons une voiture nous ramenant à St François Xavier pour le salut de 5 h. Bonne lecture avant souper. Dîner à la petite table à la salle à manger. Avons fait connaissance avec Mme Henri Salles, de Béziers, ne sommes pas parents. Elle a perdu 2 fils à la guerre ; son mari, colonel. Une gentille petite dame blonde de Lille avec sa fille et ses 2 fils qu'elle va mettre chez les Pères, au Mans, elle va s'installer dans cette ville. Petite visite de Corinne dans la soirée.

Vendredi 1er Octobre 1915     Paris

          Très édifiante la paroisse de St François Xavier, les communions durent sans discontinuer d'une messe à l'autre, aujourd'hui 1er vendredi du mois. Quand Benjamin revient de sa grand'messe de 9 h, nous allons en nous promenant à Ste Clotilde que je ne connaissais pas ; elle me plait beaucoup, tout y est beau, verrières, chemin de croix, stalles, peintures murales de Ste Clotilde et de Ste Valère. Cette église ogivale me rappelle beaucoup celle des Réformés. Dans le square, groupe très joli de l'Education maternelle ; dans le même square une statue de César Frank. Encore petit déjeûner à trois avec Corinne qui nous reçoit en amie, malgré toutes nos protestations. Nos succès s'affirment, mais que de deuils à préparer ! Je fais la malle après dîner. Puis à 3 h partons pour Montmartre où nous voulons assister à l'office : procession, salut, prières. Nous étions trop en bas de la Basilique. Le tabernacle me parait toujours plus beau avec son Christ en marbre blanc et la Ste Vierge et St Jean au pied de la Croix. Devant les deux statues en argent du S.C. et de la Ste Vierge, brulent une profusion de cierges. Devant le S.C. exposé, les fidèles prient à haute voix. Retour en auto, la montre de Benjamin reste chez Vacheron. La brume était si épaisse qu'on ne voyait rien de Montmartre. Ce soir à dîner, 2 petites tables dans la salle à manger en plus de la grande, nous sommes 23 et les fiancés dans l'autre salle à manger. Nous faisons nos adieux à Mme Henri Salles et son fils. La dame blonde, mère d'une fille et de deux fils, allant au Mans pour être chez les Pères, parait gentille. Corinne nous mène voir le rez-de-chaussée du 38 qu'elle vient de louer, c'est très joli. Rires fous dans cette dernière soirée où elle nous conte ses histoires sur les aveugles, les sourds et les tracts au P. Truc.

Samedi 2 Octobre 1915     Paris / Montluçon

          Nous nous dématinons, déjeûner en chambre à 7 h ¼. Corinne nous met en omnibus à 7 h ½. A la gare du quai d'Orsay, peu de monde dans le train de Montluçon. Trajet peu intéressant, quelques rares châteaux. L'immense de Chateauneuf-sur-Cher, avec son grand parc et la jolie église tout à côté, attire toujours mon attention. Une silencieuse dame avec nous tout le temps. Arrivons avec du retard à 2 h, heureusement qu'à Vierzon, nous avons pu acheter des sandwichs, nous nous mettons à table en arrivant, à 2 h ¼. Vite chez Béatrix à 3 h, elle n'arrive plus. La voilà, très contente, Mlle de Rancourt contente d'elle. Salut puis Mithé vient ; il est décidé que ce soir, il vaut mieux aller à l'hôtel et ne rien demander. Partons piteusement à 5 h. Froid à l'hôtel dans notre chambre. Point de Claire, elle arrivera ce soir, nous irons l'attendre au train de 9 h. 2ème déception, point de Claire.

Diamnche 3 Octobre 1915     Montluçon

          Messe à 7 h ½ à l'orphelinat. Béatrix est à nous une bonne partie de la matinée. Que de choses à nous dire, de lettres à lire, de photos à regarder ! Nous sommes bien contents, on nous a invité à déjeûner, notre délicieuse Angélique a repris ses fonctions, on nous régale : patisserie. Après dîner avec Béatrix en gare, puis à l'hôtel ou du moins vice-versa, pas de Claire ! Qu'est-elle devenue ? Rosaire pendant les vêpres ; Angélique fait évacuer le salon vert pour nous. Mlle Elisabeth nous invite à souper, c'est un bonheur ! Etre avec Béatrix à table simule la maison. A peine un petit bonjour à Mithé. Mlle de La Bruyère a la bonté de nous recevoir, elle est d'une bonté inouïe. Sa confiance au S.C. remonte le moral. Arrivée de Claire très tard.

Lundi 4 Octobre 1915     Montluçon

          Charmante journée commencée par la messe de 8 h à cette peu inspirante église N.D. Dans la chapelle du S.C., le maître-autel et celui du S.C. étant en face l'un de lautre , les fidèles selon leur dévotion se tournent d'un côté ou de l'autre, aussi, au moment où on s'y attend le moins, on se trouve prosterné vis-à-vis un autre fidèle qui vous regarde bien en face. Clairette est toute heureuse et nous de l'avoir. Béatrix trouvant le temps très beau, propose d'aller à Néris, allons commander l'auto pour 11 h. Achat d'une robe pour Béatrix, puis rapidement à Néris. Charmant accueil à la villa de Rome, Anaïs Teissier et Mlle Guitton charmantes ; un bon feu flambe au salon, les poêles sont allumés dans la maison ; un excellent déjeûner est servi dans le petit salon ; puis, par un temps couvert, à la chapelle de St Joseph ; haltes en allant, du vent. Un monsieur vient dans la chapelle, heureusement il sort avant nous qui devions la refermer. Retour en devisant, halte dans le parc. Rentrons à 4 h ½ avec quelques gouttes. On nous sert le thé, et, dans les écorces de chataignes, d'excellentes truffes au chocolat faites par Anaïs. Elles sont charmantes toutes deux. Retour en auto ; des blessés sont arrivés à la Protection ; Mlle Elisabeth et Mithé viennent ; notre couvert est déjà mis. Visite de Mlle de Rancourt à la fin de notre dîner. A l'hôtel il fait un peu moins froid. Lecture très intéressante des lettres de Jules.

Mardi 5 Octobre 1915     Montluçon

          Ciel gris, temps aigre. A N.D. messe avec sermon. Achat d'un chapeau pour Beatrix, ce n'est pas du luxe. Mithé dîne avec nous, elle nous remet une carte de Gaby à Béatrix, elle est horriblement en souci de Xavier dont elle n'a plus de nouvelle depuis le 16 et elle écrit le 1er. Grande émotion, je cours à la poste et envoie un télégramme aux Alfred. L'après-midi, visite à la Protection aux soldats blessés arrivés samedi, ils étaient aux derniers combats. Puis à la gare, il y a changement dans les heures des train, suivant la réponse à notre dépêche, partirons demain matin ou le soir.
Je revois Mlle de La Bruyère, très bonne ; Béatrix très contente, Angélique charmante. Peu dans notre chambre. A 10 h, on heurte à la porte, c'est le télégramme si impatiemment attendu. Il dit : "Bonnes nouvelles télégraphiques aujourd'hui". Pauvre Gaby, ce qu'elle a du passer et elle est seule !

Mercredi 6 Octobre 1915     Montluçon / Moulins / St Germain-des-Fossés / Lyon

          Je puis entendre la messe pour ce 31ème anniversaire ! Béatrix bien à nous, je ne pouvais pas être plus satisfaite de notre benjamine, elle est calme et épanouie dans son bonheur. Mithé vient déjeûner avec nous. Le matin, nos adieux à Mlle Elisabeth Lanceraux, la préférée de Clairette, à Marie de Gombert, nous croyons qu'il ya des espérances chez les Samatan. Béatrix nous accompagne en gare. Trois heures pour aller à Moulins ; train charrette. Nous montons dans l'express de Lyon qui a 40 mn de retard ; il ne fait pas froid pendant cette longue attente sur le quai. Trois officiers affamés dans note compartiment, nous avons rudement bien fait de manger notre panier avec Claire et Benjamin, ses sandwichs quand nous étions seuls. A Saint Germains-des-Fossés ils vont vite dîner. Puis on ferme les rideaux et chacun s'endort jusqu'à 11 h à Lyon. Au Terminus, trouvons nos chambres arrêtées.

Jeudi 7 Octobre 1915     Lyon / Montélimar

          Nos chambres étaient délicieuses, mais notre sommeil a été un peu agité. Claire fait un essai infructueux pour voir le P. Bouillon, elle nous rejoint au buffet. Seuls dans le trajet à Montélimar, dès que le contrôleur eût fait passer le sergent voyageant en 1ère en 3ème. Adèle nous attend en gare à 11 h. Causerie dans notre chambre. déjeûner tous les 4 à une table du milieu ; Claire vient nous rejoindre au patronage ; elle n'a pas trouvé Mme Delanglade ; Benjamin l'accompagne en gare. Avec Adèle, allons voir l'exposition d'ouvrage de ses petites, puis dans le salon, autrefois sa chambre, recevons Mlle de Boissieu. Restons dedans à cause du mistral. Adèle est très bien moralement, mais physiquement elle a beaucoup maigri et pali. A 5 h au salut à l'hôpital où sont tous les soldats blessés. Puis à l'hôtel. Comme on n'y voit rien dans notre chambre, nous nous installons au salon. Le service est si lent à table que Benjamin et Adèle partent avant le dessert. Nous reprenons possession du salon.

Vendredi 8 Octobre 1915     Montélimar

          Journée de courses et d'achats. D'abord chez le dentiste, on arrache deux dents à Adèle ; puis nous la faisons prendre en photographie pour Madeleine qui la réclame à Avigliana. Un mauvais tour, c'est qu'elle ne prend aucun repas avec nous. Un moment bien agréable à l'hôtel jusqu'à 3 h ; elle voit des photos ; nous relisons des lettres, je lui montre les manteaux achetés pour les enfants. Vite achats de robes, manteaux, chaussures, etc. Après le salut, chez Mlle de Boissieu, lui laissons Adèle à 7 h ½. Comme tous les jours salle à manger remplie d'officiers.

Samedi 9 Octobre 1915     Montélimar

          Pluie ; à la messe à l'hôpital ; le prêtre soldat qui a dit la messe entrant au confessionnal, j'en profite, il est parfait. Adèle arrive, toute enflée ; impossible de songer à Fresnan ; en chambre matinée délicieuse, nous relisons des lettres, Adèle se complait dans les photographies. Fin de matinée au salon. A dîner Adèle nous appprend qu'elle a la migraine, elle remonte dans notre chambre. Après-midi au salon ; voyons les Illustrations. A 4 h Adèle prend du chocolat cuit. Nous causons beaucoup. A 5 h à l'hôpital pour le salut. Visite à Mlle de Boissieu, Adèle reste auprès d'elle ce soir encore.

Dimanche 10 Octobre 1915     Montélimar / Avigon / Tarascon / Marseille

          Enfin Adèle est bien ; au retour de la messe à 7 h ½, à la paroisse, elle arrive et nous causons tant et plus, d'abord en chambre puis à la gare. Départ à 11 h. Temps couvert et doux. A Avignon, le train ayant du retard, pas d'arrêt, juste le temps d'acheter un panier. Etant seuls, c'est agréable. A Tarascon complétons l'achat du dîner. Arrivons exactement, Coralie est là, bonne heure de causerie. Le train de St Antoine est bondé de troupes. Nous sommes 9 en 1ères, Gaby et ses 5 filles en gare !!....

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