Du 30 juillet au 19 septembre 1907 - Séjour à Silhac puis  
Voyage à Paris, St Malo, Jersey, Wight, Cherbourg   par Léonie Fine

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Carte complète du voyage - Carte du séjour en Ardèche
L'année 1907 en France - Charles de Montalembert

     

1907 - Carnet n°13 rédigé par Léonie Fine (agée de 54 ans) relatant un séjour effectué à Silhac (Ardèche)
et un voyage à Paris, St Malo, Jersey, Wight et Cherbourg



De g. à d. Adèle, Claire,
Béatrix et Louise

Du 30 juillet au 30 août 1907
Séjour à Silhac (Ardèche) de Léonie Fine-Salles, Benjamin Salles et quatre de leur cinq filles, Claire (22 ans), Béatrix (18 ans), Adèle (20 ans), Gabrielle (Gaby, 25 ans), et de son mari Xavier Fine (31 ans). Cf. Généalogie Salles
Mithé (Marie-Thérèse Lavielle), fille de Salvat Lavielle et Noélie Fine-Lavielle, demi-sœur de Xavier Fine, s'est jointe à eux.
Cf. Généalogie Fine

Photo
Xavier, Benjamin, Léonie en 1900


Mardi 30 Juillet 1907     Marseille / Valence

         Départ à 11 h 35 du soir pour Valence, Benjamin, Claire, Adèle, Béatrix, Mithé et moi. Nous allons passer un mois à Silhac, dans l'Ardèche avec Xavier et Gaby qui y sont déjà. Salvat nous accompagne en gare, nous installe dans un compartiment de 1ère allemand, très bonne pour le roulement et agréable pour la grandeur de la place mais très incommode pour s'appuyer, la tête est rejetée en avant, les reins non soutenus.          

Mercredi 31 Juillet 1907          Valence / Vernoux / Silhac

           Nuit plus ou moins bonne, on dort par lassitude ; étant au complet, peu de place pour s'installer. Arrivée à Valence vers 6 h du matin ; déjeûner excellent au buffet de la gare, air très vif ; pendant ce temps on charge l'auto diligence qui nous emmenera à Silhac. Courons pour les bicyclettes. Départ à 6 h ½ ; Adèle et Béatrix bien couvertes sur le devant, à côté du conducteur, Benjamin, Mithé, Claire et moi dans le coupé, glaces baissées, nous sommes très bien. Faisant le service de la poste et prenant des voyageurs dans l'intérieur, de plus passant par des villages éloignés, mettons 4 h pour le trajet. Route intéressante montant jusqu'à 750 m, d'abord campagnes arides, vertes et boisées vers la fin.
           A Vernoux, déjeûner à l'hôtel avec jambon, saucisson et fameux vin blanc, nous mourions de faim. Au château de Sillans, vers 10 h ¼, Xavier était sur la route, ne comprenant rien à notre retard, il monte sur le marchepied. Gaby nous attend avec toute la famille de Besses, il faut descendre nos porte-manteaux devant elle ; installation commode avant et après dîner, les salons très bien. A 5 h promenade jusqu'à 7 h. Terrain très accidenté, ravins profonds, prairies avec châtaigneraies. Coucher à 8 h ½ malgré la bonne sieste de 2 h faite après dîner. Marthone charmante, Marie-Thérèse superbe et solide sur ses jambes. Notre chambre au midi a une vue très étendue.

Jeudi 1er Août 1907     Silhac        [Carte]

           Après déjeûner visite de la maison, de ses dépendances, jusqu'à l'aire où travaillent une quinzaine d'hommes ; arragements tout le matin : Claire et Adèle couchent dans la chambre en face de la notre, Mithé et Béatrix , dans une à côté de celle de Xavier et de Gaby et en face de celle des petites. Ecrivons au bureau, fort commode.
           Visite du château après dîner, Mme de Besses très aimable, le ménage Gros nous plait davantage encore que le ménage la Sales. Mlle de Besses très dévouée ; le curé de St Michel est avec ces dames, Mr de la Sales est professeur à Celle ; Mr. Gros propriétaire près de Tournon.
           Promenade de 4 h ½ à 7 h ¼, très joli, faisons le tour d'un mamelon avec jolie vue sur Silhac, Vernoux, les ruines du château de la Tourette. Les ravins sont nombreux, très profonds, les prairies vertes, ondulées, avec des châtaigniers, le tout avec vaches et chèvres.

Vendredi 2 Août 1907     Silhac        [Carte]

           Claire et Adèle se dématinent à cause du 1er vendredi du mois et vont à la messe de 7 h à Silhac, elles ont mis 35 mn à l'aller et 45 mn au retour.
On lit dans les prairies toute la matinée où l'on se groupe sous le grand marronnier avec les enfants. A 2 h ½ partons en voiture pour Vernoux, y allons vite, en 50 mn, avec Verd qui nous conduit. Beaucoup d'air. Visite de l'église gothique bien belle ; goûtons avec d'excellentes allumettes.
Après s'être occupé de bicyclette, auto, permis, retour à pied par un raccourci, il fait chaud. Dîner au grand salon, les Léonard Ferrari qui arrivent à 8 h, sont dans la salle à manger, Mlle Clot aussi à une petite table. Soirée délicieuse sur le terrasse avec Mme et Mr Cros, celui-ci parfait et très chaud au point de vue politique.

Samedi 3 Août 1907     Silhac        [Carte]

Lecture avec Benjamin près de l'aire sous un noyer, l'air est vif, la lecture de Montalembert passionante, aussi moment enchanteur ; bain des enfants puis travail avec les Ferrari au jeu de croquet. Petite mais jolie promenade à l'ombre de la colline au dessus du ravin du côté du chemin de fer des Ollières. Belle vue du sommet.
Arrivée de Mr Gangolf, jeune avocat de Tunisie ; il dîne seul dans la salle à manger des Ferrari. Soirée sur la paille, c'est très agréable.

Dimanche 4 Août 1907     Silhac       [Carte]

           Messe à 7 h ½ au château dans le salon, c'est bien commode. Heure délicieuse sous notre noyer à côté de l'aire avec Benjamin et la jeunesse, lecture de Montalembert : mort d'Albert de la Ferronnays, mariage de Montalembert, et cela avec un air pur et vif ; la cloche de St Michel et les clochettes des vaches rompent seules le silence profond de notre solitude. Au salon Mr le Supérieur joue aux cartes avec Mr Cros. Après dîner, chaleur, 29° ; allons entendre le graphophone dans le jardin, c'est Mr de la Sales qui le fait marcher. De 5 à 7 h promenade avec Mr Gandolphe en vue de Chalencon. C'est joli, mais il fait chaud. Soirée d'abord sur la terrasse puis sur la paille avec Mr Gandolphe, pluie d'étoiles filantes, vœux exprimés, bicyclette, etc.

Lundi 5 Août 1907     Silhac       [Carte]

           Xavier, Adèle et Béatrix partent avant 7 h pour la montagne dominant St Michel d'où la vue est belle ; ils reviennent à 10 h. Vent du sud très violent, il tempère la chaleur ; Benjamin et Jules Ferrari à Silhac. Promenade en sous-bois. Je reste avec Gaby et Marthe au lavoir.

Mardi 6 Août 1907     Silhac       [Carte]

L'après-midi promenade par la jolie route surplombant l'Eyrieux, de l'école à St Maurice, vue extrèmement étendue vers l'ouest, le ravin est très profond, c'est certainement la plus belle route des environs. Retour par le joli pont. Soirée sur la terrasse puis sur la paille. Gaby nous déclare en arrivant que, vu la pluie, elle s'en va ; nous nous moquons d'elle. Les éclairs sont superbes, le ciel est en feu, la pluie nous fait regagner la terrasse ; nous restons tard avec Mr Gandolphe à admirer la beauté du spectacle, la foudre sillonne les nues à tout instant, nous sommes tous debout contre le mur de la façade, mais un éclair d'une intensité effroyable nous saisit de frayeur, nous sommes dans le salon avant d'avoir réfléchi au danger couru. La pluie malheureusement est insignifiante.

Mercredi 7 Août 1907     Silhac       [Carte]

           Ciel couvert, temps plus frais. Benjamin va se promener seul. Xavier va à Silhac à bicyclette. Mr Gandolphe veut me retrouver près du marronnier, Xavier nous y rejoint. Après dîner pluie, elle cesse vers les 5 h pour nous permettre de nous promener. Partons pour St Michel, tournons ou franchissons trois ou quatre ravins, les uns très boisés ; femme en colère à l'entrée du village, le petit qu'elle gronde pleure toutes les larmes de ses yeux. Jolie position de St Michel, beaucoup de vue, c'est gai. Quelle petite et misérable église ! Quatre chaises de front occupent toute la largeur. Retour charmant dans des chemins creux, remontons en face de la villa. Travail manuel dans la soirée.

Jeudi 8 Août 1907     Silhac       [Carte]

           Xavier va à bicyclette à Vernoux : ni auto, ni bicycette, ni voiture pour le moment, nous irons peut-être à Ste Agrève mardi. De plus nous sommes dans la 2ème zone pour la chasse, mais heureusement sur les confins de la 1ère. A cause du vent, je vais lire dans la cour de la ferme à la grande stupéfaction du chat et des poules, j'y vois la folie de Villemain. Au retour je trouve sur la terrasse tout un chargement de caisses, meubles, etc., un char, des bœufs et 4 hommes. C'est l'ameublement de l'abbé Bosc qui arrive à dîner; chacun dit ce qu'il ferait s'il était millionaire.
           Promenade en contournant un mamelon, retour sous-bois délicieux. Mr Gandolphe a été dîner chez les de Besse près de Chalencon, il a fait des études de mœurs amusantes, il nous narre tout cela sur la terrasse, les messieurs assis sur les banquettes et les dames sur un banc contre la maison. Puis passons en revue tous les orateurs entendus, c'est intéressant.

Vendredi 9 Août 1907     Silhac       [Carte]

           Chaleur ; à dîner grande dissension sur Montalembert et Veuillot que nous lisons avec passion, Xavier et moi, nous nous amusons. Xavier cède à la tentation et part avec son fusil et son livre. Résultat : une tourterelle et une admiration toujours plus profonde pour Veuillot. Petite promenade, Gaby, Xavier, Benjamin et moi dans le bas de la propriété ; du chemin de St Fortunat à celui des Ollières de 5 à 7. La jeunesse est restée, les enfants ont été à Silhac malgré la chaleur. Marthone à 4 h est venue très gentiment nous offrir du lait. Sur la terrasse, la femme coupée à morceaux fait les frais de la conversation. Avant de nous coucher, à la recherche d'un verre pour boire à la source. Mr Gandolphe muni de la lampe éclaire la situation. Temps lourd, nuages. Mr et Mme Cros sont partis. Mr de la Sales nous descend nos timbres muni de sa lanterne.

Samedi 10 Août 1907     Silhac       [Carte]

           Benjamin au sujet des bains ; Mr Gandolphe fait une affiche comique avec des considérant, des arrêtés, etc. Il pleuvait à 7 h, nuages et soleil. La vie devient plus intime. Léonard mène ses enfants prendre un bain de pieds dans le torrent. Allons à Chalencon à 1 h ½. Route très jolie, position sur un mamelon ; il y a marché. Anciens vestiges de château, tour, porte ; sur la place, ormeau énorme ; église perchée, nous nous y confessons. Vue de Gerbier des Joncs et du Mézenc. Ciel noir, ausssi brusque départ ; quelques gouttes. Revenons au pas de course ; Hélène vient à notre rencontre avec tous nos parapluies ; grâce à Dieu, ils ne sont pas nécessaires.

Dimanche 11 Août 1907     Silhac       [Carte]

           Messe au château à 7 h ¾, lecture sous le châtaignier, il fait trop frais, je descends sous des noyers dans une prairie ombragée, j'y suis très bien. Attente du lieutenant Charié qui devait venir de Privas, c'est en vain. Fameux dîner en son honneur. Réponse des Drujon, mardi ils viendront à Ste Agrève. Visite à Mmes de la Sale et de Besse, charmantes. Petite promenade sous bois, cueillons des fleurs pour Claire sous son nez ; au retour lui souhaitons bonne fête.
           Dans la soirée, les messieurs portent le grand banc vert sur la terrasse, nous y sommes bien mieux pour voir les étoiles filantes.

Lundi 12 Août 1907     Silhac       [Carte]

           Restons à la villa, croquet, chapelet récité dans le chemin du château de Vilais. Plus on reste ici, plus on s'y plait. Grande répétition de chant. Mme Clot pleure.

Mardi 13 Août 1907     Silhac - St Agrève - Silhac       [Carte]

           Départ à 7 h ¼ à pieds pour la station de la Roche. Montons jusqu'à l'école en 40 mn sans trop de chaleur. 1 h de descente à l'ombre par un raccourci en lacets. A l'arrêt facultatif, attente d'une ½ heure. Heureusement que nous sommes à l'abri d'une toiture et que le banc est de 8 places. Arrêtons nous-mêmes le train minuscule. Route pittoresque ; au départ, grands rochers de couleur sombre. Au Cheylais, long arrêt, le paysage est moins joli ; mais de là à St Agrève la route est un enchantement. Elle suit l'Eyrieux, s'élevant jusqu'à 1050 m par des lacets; les ouvrages d'art sont fréquents. Enfin les mélèzes apparaissent puis les sapins.
C'est St Agrève. Les messieurs Drujon sont là, en gare. Il nous faut monter en omnibus tandis qu'avec Xavier, ils vont pédestrement à l'hôtel Porte où nos estomacs réclament leur déjeûner ; il est midi et ½. A l'hôtel trouvons Amélie et ses trois filles nous attendant. Table de 16 couverts, gaie et animée. Sortons de table assez tard. Ste Agrève malgré sa vogue et ses villas, est une mystification, un immense plateau dénudé, air très vif et très pur, mais pas un arbre, vue jusqu'aux Cévennes qui bornent l'horizon à l'ouest avec le Mézenc et le Gerbier-de-Jonc dominant toute la chaîne. Allons chercher l'ombre sous les bois de pins qui sont à quelques minutes. Le village est échaffaudé contre une butte qui domine l'immense plateau dénudé. A 3 h ½, il faut laisser les délices de Capoue pour gagner la gare. Achat du goûter chez le confiseur. Départ à 4 h ½. Descente très intéressante, suivant le trajet du matin ; mais nous avons deux malades, Gabrielle a une migraine carabinée qui la rend tout-à-fait malade en chemin de fer. Adèle qui souffre du même mal, se couche à notre arrivée.
           En gare de Chalencon est le break de Verd. Xavier sur le siège, les jeunes filles serrées sur leur banquette jusqu'au moment où, ouvrant la portière, Béatrix s'installe sur le seuil du break, les pieds sur le marche-pieds. Cette montée d'une heure jusqu'à Chalencon, après le coucher du soleil, le ciel tout doré, le 1er croissant de lune, une vue de plus en plus plongeante, est très agréable. En 40 mn, par un raccourci, au château de Collans. Le cocher est excellent et les chevaux aussi.

Mercredi 14 Août 1907     Silhac       [Carte]

           Matinée conscrée à le confession, chacun monte au château à son tour, un confessionnal est installé tout près de la chapelle. L'après-midi, sauf Xavier qui fait semblant de lire ou de chasser et Benjamin qui va à Silhac se faire la barbe, personne ne quitte la villa ; d'ailleurs le soir y est très agréable à cause des effets de lumière.

Jeudi 15 Août 1907     Silhac       [Carte]

           Départ typique pour la messe, il s'opéra à 6 h ¼ dans une vieille diligence, nous sommes 24 à y prendre place ; toute la jeunesse monte sur l'impériale. Nous faisons impression sur la population ; le cimetière entoure l'église vieille et petite. La famille de Besses est devant nous. Lecture près de l'aire.
           Xavier ouvre la chasse et revient avec deux perdreaux. Temps menaçant. Tandis que la jeunesse joue au croquet, je vais me promener avec Marthe sur la route ; elle est toute gaie, appelle les chèvres, les vaches. Les tonnerres, les éclairs lui font une peur terrible. L'orage se déclare. De la terrasse jouissons du spectacle magnifique d'éclairs qui se succèdent sans interruption, la foudre sillonne la nue sur Privas, puis plus à l'est, quelques fois aux deux endroits, c'est superbe.
           Après le dîner, illumination de toute la terrasse, de nos fenêtres, Mme de Besses decend avec toute sa famille, on sort l'harmonium, nous chantons des cantiques, récitons le chapelet en procession, finissons par Nous voulons Dieu et le Magnificat.

Vendredi 16 Août 1907     Silhac       [Carte]

           Il fait frais ; lecture à l'abri et bien couverte, de l'immortel Montalembert. Le curé de St Michel vient accorder le violon de Mlle de Besses. Jolie promenade sur la route de St Fortunat, nous revenons à regret. Les soir promenade au clair de lune ; sur la terrasse Mr de Lassale nous dit que l'hiver n'est pas gai dans ce pays, que les pluies commencent souvent fin septembre.

Samedi 17 Août 1907     Silhac       [Carte]

           Quelle tuile ! Mlle de Besses fait demander à nos jeunes filles par Mr Gandolphe, elle présente, de jouer la pièce des filles de Silhac qui la jouent trop mal, dimanche prochain. Nous ne pouvons pas refuser. Le temps étant frais, Benjamin va, avec Jules Ferrari à St Michel par la route de St Fortunat. L'après-midi il part pour Silhac avec Mr Gandolphe, je vais l'y rejoindre avec Claire et Béatrix. Retour tous ensemble. Dans la soirée Mlle de Besses descend avec Mr Cros, elle donne la pièce à lire aux jeunes filles, elle est condamnée.

Dimanche 18 Août 1907     Silhac       [Carte]

           Messe au château. Mr Gandolphe est notre porte-parole auprès de Mlle de Besses pour dégager les jeunes filles. L'agitation et l'émotion vont crescendo. Il revient, tout est arrangé ; Mlle de Besses descend, on donnera un concert, au lieu de la comédie ; on choisit les chants ; pendant ce temps je fuis le bruit et vais passer deux heures délicieuses avec Montalembert.
           L'après-midi nous jouions au tric-trac, Léonard et moi, quand arrive le notaire de Vernoux, Maître Galland, avec sa femme et ses deux filles. La visite est assez courte tandis que Xavier chasse, que les jeunes filles restent avec Mr Gandolphe pour bavarder, avec Benjamin et Gaby faisons la jolie promenade horizontale autour de St Gaudens. Vue très claire. A souper nous avons la nouvelle lampe de Jules Ferrari qu'il a été acheté à Vernoux pour remplacer celle qu'il a cassée. Béatrix nous narre sa journée. J'ai ri, j'ai lu, j'ai ri, j'ai parlé et j'ai ri. Le curé de Silhac avec Mlle de Besses et Mr Cros viennnent passer la soirée sur la terrasse merveilleuse avec le clair de lune, tandis que Mr de Lasalle fait marcher son graphophone. Benjamin dit des facéties au curé, c'est une comédie.

Lundi 19 Août 1907     Silhac       [Carte]

           Il y a beaucoup d'air, mais chaud, malgré ce, le soir, avec Benjamin, tous les deux seuls à la promenade par la route de Silhac au 2ème col vers Chalencon ; retour par la crête, nous nous égarons cinq minutes dans les bois. Eclairs magnifiques toute la soirée, le ciel se couvre. En rentrant, cherchons la provision de pain pour juger si nous pouvons en espérer du frais. A peine dans nos chambres, il pleut. Les Drujon viendront Jeudi.

Mardi 20 Août 1907     Silhac       [Carte]

           Vu la fraîcheur, on se groupe, on se réfugie sous le marronnier. Une dépêche des Drujon nous annonce leur arrivée pour la semaine prochaine. Départ pour une grande promenade de 4 heures, Benjamin et moi menons les 4 jeunes à St Michel d'abord, par la nouvelle route, sur celle de St Fortunat. Retour après 2 h ¾. Claire, qui va à St Michel pour la 1ère fois, est ravie, enchantée de la fraîcheur de ces deux ravins. Halte à la petite église, nous contournons le presbytère pour y pénétrer ; y prions à haute voix ; invoquons St Michel représenté sur le petit vitrail du fond, pour la France et pour Adèle. Le retour est long par cette montée de St Fortunat, en sens inverse, c'eût été mieux ; avant le départ, visite de Mr d'Angle qui nous engage fortement à découcher pour aller à La Louvesc et revenir par St Bonnet le Froid et St Agrève. Benjamin promet aux enfants d'aller à La Louvèse ; ce sont alors des transports qui se traduisent le soir à table par un enthousisme indescriptible. Gaby parle de rester, Adèle déclare ne vouloir jamais d'enfants s'ils sont des chaînes, et ainsi de suite. Soirée dans le salon à cause du vent impétueux. Tandis que Benjamin et Mr Gandolphe parlent littérature, Xavier lit et nous travaillons à la nappe à thé tout en nous associant à la conversation des messieurs.

Mercredi 21 Août 1907     Silhac       [Carte]

           Grande nouvelle : Josette a 9 petits ; chacun va les voir, les examiner, puis quand on est disséminé, grande noyade. Lecture idéale du grand et magnanime Montalembert dans les immenses prairies en face de St Michel. Un mur m'abrite du vent violent et froid ; assise à un demi-soleil, je me délecte dans cet aperçu de ces Moines d'Occident. Lire cet ouvrage dans un site aussi beau, c'est donner à Montalembert le cadre qui lui convient.
           Après dîner Benjamin, Adèle et Béatrix vont à pied à St Fortunat en 2 heures, prennent le train jusqu'à St Sauveur, reviennent en 1 heure à St Michel où nous allons à leur rencontre avec Mr Gandolphe ; le plus joli, c'est qu'ils arrivent par un raccourci quand nous les attendons sur la route ; sans les gens du village qui nous renseignent, nous les aurions manqués ; nous les rejoignons après le village. Ils sont enchantés de leur course, ont trouvé la vallée du chemin de fer très jolie, ainsi que le bas de la route à St Fortunat. Le mistral a si fort rafraîchi l'atmosphère que je me promène sur la terrasse après souper pour n'avoir pas froid en compagnie de Léonard et de Mlle Clot.

Jeudi 22 Août 1907     Silhac       [Carte]

           Vent toujours froid et violent. Heure de lecture délicieuse dans la prairie, à l'abri du mur ; j'y vois la condamnation si pénible des doctrines de Montalembert par le St Siège, lui qui aimait et défendait l'Eglise avec toute la fougue du fils le plus dévoué.
Après-midi, à pied à Vernoux, les 4 jeunes filles, Mr Gandolphe, Benjamin et moi en 1 h ¾ ; cette ancienne route est très intéressante jusqu'au grand ravin ; nous nous arrêtons devant la femme qui file avec son rouet, quel joli tableau. Goûter, confession dans la jolie église et surtout entente avec Mme Chambaud pour l'auto et La Louvèse, elle nous la promet pour lundi ou mardi, sera-ce vrai ? Retour en voiture, c'est Mimon qui nous conduit encore. Mithé, Adèle et Béatrix sur le devant de la diligence, nous dans l'intérieur. Mr Gandolphe proteste de son innocence quand je tape Béatrix dans le dos et qu'elle se retourne vivement.

Vendredi 23 Août 1907     Silhac       [Carte]

           L'heure délicieuse par excellence est celle de ma lecture de Montalembert dans l'immense prairie ; bain avec Mathone très gentillette. Les Ferrari et Mr Gandolphe à Vernoux ; nous sur le plateau de St Gaudens. Xavier ayant vu une compagnie de perdreaux part avec les 4 jeunes filles qui battent un bois pour les lui chasser. Rien.
           Benjamin, Gaby et moi assis sur le plateau en face du Mézenc et des innombrables montagnes, causons. On redescend en quelques minutes sur la villa. Léonard s'est couché au retour de Vernoux. Victorin s'est aussi alité. Avec Benjamin promenade sur la terrasse ; la lune se lève au sommet du St Gaudens. Lettre de Mme Chambaud promettant son auto pour mardi. Mr Gandolphe nous raconte qu'il y a, demain, la foire des filles à marier à Vernoux : elles vont manger des figues dans les cafés avec les jeunes gens. Il y a aussi la foire des domestiques : ce ne sont pas les plus recherchées.

Samedi 24 Août 1907     Silhac       [Carte]

           Avec Benjamin, dans la grande prairie pour lire, Benjamin retourne chercher son livre, je m'étais trompée de volume, fin de la vie de Montalembert ; il a beaucoup souffert parce qu'il n'a pas été un fils assez soumis à l'Eglise ; il voulait la conduire au lieu de se laisser guider par elle, etc.
           L'air est vif mais plus aussi froid. Grande répétition pour le concert de demain. Xavier tue son second lièvre. Travail manuel sous la fenêtre avec Mr Gandolphe ; Gaby écrase le pied de Béatrix qui parle lui. Je demande à Mlle de Besses sa bicyclette pour les jeunes filles. Elles bécannent de 5 à 7 h sur la route de Silhac ; Béatrix tombe et met sa robe en lambeaux. Xavier et Gaby vont à l'affut avec Benjamin par le raccourci de Chalencon, retour par le château de Villars, c'est décidement un joli pays.
           Léonard ne descend pas du château, il a pris froid hier ; ses enfants font un vacarme infernal ; après dîner, nous mettons le holà. Mr Chareyron vient faire sa cour à Mlle Clot, dit la renommée. Mr Gandolphe nous assure que Victorin la fait à la femme de chambre de Mlle Clot. Rire et grande animation à notre salon, nous surveillons l'autre où se trouvent les 4 acteurs.

Dimanche 25 Août 1907     Silhac       [Carte]

           Messe au château à 7 h ½. Lecture de Mme de Maintenon dans la grande prairie. Préparatifs pour la réunion de l'après-midi ; à 3 h, grand concert ; une soixantaine d'invités. Mlle Galland, très jolie voix, chante très bien, avec beaucoup de goût, Tannhauser. Mlle de Besses a une belle voix. La sérénade de Braga avec accompagnement de violon est ravissante. Marie-Madeleine de Massenet, très bien. Stances à la charité en chœur, très bien aussi. Goûter sur la terrasse, puis vues de Suisse dans une lanterne magique montées par Mr de Lasalle. Arrivée des diabolos, tout le monde joue dans la prairie derrière la maison excepté Mr Gandolphe exténué.

Lundi 26 Août 1907     Silhac       [Carte]

           Journée chaude et calme. Visite de Mmes de Besses et de Lasalle ; le soir promenade de ¾ d'heure avec Marthone sur le chemin de l'école ; c'est d'abord délicieux, Marthe court, fait de petites phrases, appelle Xavier et Mithé puis Béatrix qui jouait au diabolo dans les grandes prairies. Elle trébuche et tombe à la descente, ce sont des pleurs et des larmes sans fin. Marie-Thérèse par contre est pleine d'entrain, sur le dos de Xavier, elle saute, le pince, lui tire le nez, les oreilles, les cheveux, la moustache. Le vent du midi se lève très fortement. Quel temps aurons-nous demain pour aller à La Louvèse ?

Mardi 27 Août 1907     Silhac / Vernoux / Lamastre / Tournon / St Félicien / La Louvesc et retour     [Carte]

           A 6 h, départ en voiture tous les 8 pour Vernoux. A 7 h en auto pour La Louvesc, avec Benjamin et Xavier dans le coupé. Route jolie jusqu'à Lamastre, on passe un col assez élevé entre Vernoux et Lamastre. Celle-ci aux bords d'un cours d'eau se jetant dans l'Eyrieux etsur la ligne de Cheylard. A Tournon, grande localité avec un magnifique temple, l'église est haut perchée. Après avoir passé le pont, route moins jolie jusqu'à St Félicien, puis de la paroisse nous nous élevons en hauteur. Il faut changer une bougie qui a brulé, nous n'aurions pas pu monter sans cette précaution. Après le col, jolie route dans les sapins. En arrivant, les trois garçons montent dans notre auto jusqu'à La Louvesc. Jules puis Amélie se trouve là avec tous ses enfants. Visite de leur villa extrèmement bein meublée, jolis salons et chambres. On ne peut être mieux. Déjeûner à l'ancien hôtel Teissier, dans le salon où nous étions il y a 2 ans. L'ancienne résidence des Pères sous séquestre. Après la visite de l'église, celle de la chapelle de St François Régis, toute nouvelle, il y a son tombeau. Avec les Drujon promenade sous-bois à la ferme Grange Neuve, puis aux bords d'un petit étang. Un photographe vient nous y prendre. Grand goûter de gala chez Amélie, gâteaux excellents.
           Départ à 4 h avec les trois fils Drujon, Xavier, Maxence et Léon sur l'impériale, Benjamin, Gaby et moi dans le coupé, Jules et les trois jeunes filles dans l'intérieur. Revenons plus vite. Arrêt à Lamastre et à Vernoux, y cherchons en vain des cervelles pour Marthe. Entre Vernoux et Silhac, pour la 2ème fois, nous nous enfonçons dans les pierres qui bornent la route. Arrivée à 7 h ½. Très serrés, 11 à notre table. Soirée sur la terrasse, présentations ; Maxence couche sur le canapé du salon, Jules et Léon dans la chambre de Mithé et Béatrix, les 4 jeunes filles ensemble.

Mercredi 28 Août 1907     Silhac       [Carte]

           Visite de la maison et des alentours. Adèle et Béatrix mènent leurs cousins au sommet du Saint Gaudens. L'après-midi, promenade à l'école, à St Maurice, par la jolie route surplombant l'Eyrieux. Allons à St Michel par la crête, c'est boisé, très joli mais perdons tout chemin, sautons des murs, traversons des champs et arrivons ainsi à St Michel. Rafraîchissements au café. Retour par les ravins. Vent impétueux dans la soirée. Incendie du côté de St Maurice, les messieurs et Gaby vont se rendre compte de son importance.

Jeudi 29 Août 1907     Silhac       [Carte]

           Toute la jeunesse va sur l'aire voir les petits chiens sous le tas de paille ; puis on joue, on lit. Après dîner, visite du curé, Léon et Béatrix jouent du piano, Xavier, Adèle, Jules et Maxence font un bridge ; le fameux violon de Mlle de Besses est exhibé par Léon, puis Maxence l'essaie infructueusement. Avec Benjamin au château pour faire notre vivite d'adieu. Hélàs ! le temps est bien menaçant, cependant départ pour Chalencon. La pluie fait revenir Benjamin. Elle nous fait rentrer dans une ferme, nous admirons les enfants, puis il nous faut revenir. Réunion au salon ; on vote les jeux : celui des chaises pour s'assoir au son du piano, la brosse, l'as perché quand il ne pleut plus, ont beaucoup de vogue. Après dîner, jouons à poule et oule, puis aux adverbes, le tout avec beaucoup d'entrain.

Vendredi 30 Août 1907     Silhac / Valence

           A 6 h départ des trois fils Drujon en voiture à Vernoux. Xavier les accompagne pour chasser au retour, le temps est magnifique et chaud, 18°. Malles à faire. Mr Gandolphe prend ma chambre, il sera le bout-en-train de la maison. Je travaille encore avec Gaby, puis avec elle, Benjamin et Marthe. Dernière promenade sur la route de l'école. Marthone, délicieuse, plante une feuille de fougère que Stop déracine et cela sans discontinuer. C'est un tableau charmant. Dîner à 6 h, départ à 6 h ½ dans la vieille diligence de Chambaud. On est mal sur le devant, mal dans l'intérieur. A 10 h ½ à Valence. Salvat nous attend en gare. Au buffet, causerie d'une heure, rafraîchissements, nous lui rendons Mithé et partons tous les 6 seuls dans le compartiment des dames dans le 1er rapide à 11 h ½.

Samedi 31 Août 1907     Valence / Dijon / Paris

           Il y a un an Marie-Thérèse arrivait au monde entre Dijon et Mâcon. Je dors comme un loir jusqu'à Dijon. Arrivée à 8 h ¼. Difficulté pour trouver un cocher voulant nous mener chez Corinne. Elle s'est levée pour nous recevoir. Charmante installation, notre chambre donne sur le Bd des Invalides au 38. Matinée toutes chez deux coiffeurs. Après le déjeûner causerie avec Lilette et Corinne. Avec mes filles au Bon Marché. Puis chez Lysbeth, rue Violet, 63, elle s'appelle Claire d'Assise. Elle est affectueuse et gentille ; bien contente ; avec Benjamin au métro pour aller aux Buttes Chaumont, nous les visitons en voiture, c'est ravissant. Quel mouvement dans cette rue Lafayette ! Ce soir je revois Octave chez Corinne. Nous dînons ensemble. Les enfants parlent anglais avec une anglaise.

Dimanche 1er Septembre 1907     Paris

           Grand'messe à St François Xavier, très belle, le Graduel avec des voix enfantines dans le lointain céleste ! Benjamin et Béatrix s'occupent de nos billets. Je vais voir Marie Louise de Roux, c'est la Supérieure de la maison qui me reçoit, très bonne. Marie Louise délicieuse. Après déjeûner aux Invalides, le tombeau de Napoléon, superbe ; l'église avec ses deux mausolées de Vauban et de Turenne, un beau cadre. L'église de St Louis, qui est celle des Invalides, avec tous ses drapeaux pris à l'ennemi, fait sensation. Visitons la salle de Turenne très intéressante ; voyons la capote grise et le bicorne de Napoléon, son lit de camp et ses sièges de camp aussi, les batons des maréchaux de Lannes, etc.
           Après cette visite, chez Corinne pour prendre notre auto, elle ne vient pas ; Benjamin est vexé ; en voiture, allons arrêter nos places à l'Opéra Comique, puis louons une auto. Très bien jusqu'au bois, course charmante, le bois joli et animé. Panne, il faut changer le pneu. A Rueil, 2ème panne, l'heure presse ; pour le retour, courons à la gare de Rueil. Cette ligne est laide. En gare, vite en voiture, à 7 h à table. Tout le monde en toilette. Nous nous habillons à la vapeur. En voiture, chapelet en traversant la place de la Concorde. Aux fauteuils d'orchestre, pour Mignon, opéra comique d'Ambroise Thomas, ravissant et très bien exécuté ! Retour en même temps que Lilette et sa jeune américaine qui aime à faire sensation. Nous couchons à 1 h ½.

Lundi 2 Septembre 1907     Paris / Versailles / Dreux / Vire / Avranches / Pontorson / Mont-Saint-Michel

           En gare à 8 h ½. Départ pour Pontorson. Route très jolie jusqu'à Versailles puis monotone, prairies vertes encadrées d'arbres, pays très plat. A Dreux, la chapelle royale des d'Orléans domine la ville ; à Vire, tout est neuf, jolis petits hôtels. Il fait frais, trop frais ; il pleut ; à Avranches apercevons de loin le Mont Saint Michel. contournons la baie, arrivons à Pontorson vers 4 h avec la pluie. En voiture au Mont, ¾ d'heure de trajet, il fait froid. Quelle curiosité que ce Mont, on y circule du haut en bas et de bas en haut. Sommes logés à l'hôtel Poulard, dans la maison blanche, la chambre de Benjamin est si petite que je prendrai place dans le lit de Claire ; Adèle et Béatrix partagent le même lit dans la même chambre. Visite du musée ; par une lentille, curiosité d'optique, nous voyons sur une table les jeux de mains de deux hommes s'amusant sur la place. Vu les personnages en cire qui avaient illustré les prisons de St Michel, Barbès, Blanqui, etc. puis le roi Louis XI avec le cardinal de la Ballue. Bijoux faits avec les ressorts d'anciennes montres.
           La promenade sur les remparts de la ville très agréable, decendons à la nuit. Ici les promenades sont verticales, les maisons se trouvant groupées au pied du Mont, aussi les escaliers se multiplient. Nous nous perdons et allons droit au cimetière au lieu d'aller souper. Celui-ci très agréable, seuls à une table, une salle à manger est pleine, la nôtre contient bien 25 convives, beaucoup d'Anglais. Après souper regagnons notre gite avec une lanterne vénitienne et un guide. Pluie fine.

Mardi 3 Septembre 1907     Mont-Saint-Michel / Pontorson / St Malo / Cancale / Saint Malo     [Carte]

           Il a fait chaud cette nuit, cependant temps couvert. A 7 h ½ déjeûner dans la jolie salle vitrée, puis montons à l'abbaye, monument curieux dans sa splendeur des XIè, XIIè et XIIIè siècles. L'église très belle, le chœur, le cloître si beau qu'il est appelé "La Merveille", la salle de réfection des échanges, la crypte, le réfectoire des Pères dont on n'aperçoit aucun vitrail en entrant à cause de la structure des colonnettes qui les séparent. Vue magnifique de la terrasse. Les cachots des hommes politiques de 1820 à 1863, sont affreux pour des humains. Nous sommes enchantés de notre visite très intéressante et de notre cicerone, nous étions seuls avec lui , 1 h ¼. Descente par les remparts, tour de l'île par les grêves, très amusant. Départ dans notre break à 9 h ½. Revoyons longtemps l'abbaye en partant, petite pluie fine. La marée était malheureusement basse, elle est haute le lendemain de la nouvelle et pleine lune. Trajet court et peu intéressant de Pontorson à St Malo. Hôtel de France et de Chateaubriand, très bien. Après quelques arrangements et le déjeûner, voyons la chambre où est né Chateaubriand, même ameublement ; courses dans la ville, visitons l'église paroissiale, jolie et très propre.
Puis en auto à Cancale en ¾ d'heure, pays laid. Cancale est bâti au pied de la falaise regardant le midi, la mer est au sud de la petite ville à notre grand étonnement. Mangeons des huitres énormes mais grossières. Retour par Paramé, beaucoup de villes. Au retour promenade sur les remparts très intéressante. Apercevons Dinard, St Salvan. Rentrons seulement pour la table d'hôte. Brin de toilette. Comme voisin, un vieux monsieur anglais et sa fille ou sa femme. Avons visité, dans une partie de l'hôtel, la chambre de la mère de Chateaubriand, le lit où il est né. Les meubles sont les mêmes.

Mercredi 4 Septembre 1907     St Malo / Dinard / St Malo / Dinan / Dinard / St Servan / St Malo     [Carte]

           Quelle journée délicieuse et bien remplie sans être fatigante. A 8 h, départ en bateau pour Dinard. Traversée en ¼ d'heure. A pied pendant une heure devant les merveilleuses villas, entre elles et la mer, les côtes très découpées, les villas éblouissantes de fleurs. Près de St Enogat, prenons une voiture pendant une heure ; du côté de La Vicomté, on surplombe la mer, très découpée, au milieu des landes, c'est ravissant, le chemin moins agréable pour s'y rendre. Au cœur de la ville, beaux magasins. Pour le site et les magasins, le monde select et pour tout, Dinard peut rivaliser avec Monte-Carlo et la Côte d'Azur.
           A 11 h retour en bateau pour faire nos malles. Départ en bateau pour remonter la Rance jusqu'à Dinan. Sur le bateau famille très amusante somposée de deux messieurs dont un officier de marine et de trois dames, l'une vive,un peu gamin, femme de l'officier. Elle disait aux autres : "Il n'est plus fâché et il me parle, savez-vous comment je l'ai fait parler ? en lui disant : si tu ne me parles pas, je t'embrasse devant tout le monde et il m'a parlé tout de suite " !
           Les rives larges mais très découpées se resserrent peu à peu, c'est vert, boisé vers Dinan, avec quelques châteaux. A l'écluse, suivons l'autre bateau, très curieux ce changement de niveau d'eau. Cette navigation a été délicieuse. En voiture, il est 2 h ¾. D'abord jolie promenade à la fontaine, on monte jusqu'à Dinan ; le point idéal est dans le jardin anglais, le point de vue de la tour Ste Catherine, vue plongeante. L'église St Sauveur à côté, fort jolie, St Malo plus belle encore, beaux vitraux récents. Les portes anciennes de la ville sont remarquables. Achat d'un excellent goûter chez un pâtissier, le croquons en attendant le train de 6 h. Très jeune et jolie dame en deuil avec sa grande fille.
A Dinard revoyons pour la 4 ou 5ème fois la famille de l'officier de marine. Prenons le bateau de St Servan, quelle agitation dans ce port. A St Servan, passons devant la tour de Solidor pour voir l'église de Ste Croix dont la porte a été enfoncée pour les inventaires. Le capitaine Cléret de Longavan habite trop loin pour le voir. Le pont roulant ne fonctionnant plus, allons à pied par la digue. A 8 h rentrons à l'hôtel enchantés de notre journée si bien remplie, si agréablement et si gaie, nous nous couchons au son de la musique.

Jeudi 5 Septembre 1907     St Malo / Jersey     [Carte]    [Carte Jersey]

           Départ à 6 h du matin en bateau pour Jersey. Le bateau est assez grand, beaucoup de monde. Beau temps au départ, apercevons le Mont-Saint-Michel. Peu à peu le temps se brouille, un peu de pluie, de roulis ; la pauvre Béatrix pâtit, plusieurs dames sont malades, notre voisine, entr'autre, asperge le dos d'un monsieur. Arrivée à 9 h. En landau, avec tous nos bagages, chez Mme Huet. Prenons possession de nos chambres au 2ème.
           Vite à Beaulieu à ¼ d'heure. Loulou se fait attendre, elle arrive, resplendissante de santé, mais calme, posée, plus rien de ma pétulante Loulou. Ell est fraiche. Nous parlons surtout de Xavier. Après notre déjeûner avec cinq ecclésiastiques, nous nous installons dans nos chambres, puis chez Loulou ; il pleut légèrement par moment ; nous avons fait toilette pour faire plaisir à Loulou, car nous voyons la Mère Supérieure. Elle nous donne Loulou des matinées ou des après-midi. Avec Loulou, petit tour dans la propriété. Au retour confesion à l'église fort jolie des P. Oblats, à 2 mn de la maison, puis nous nous occupons des bateaux pour Wight. Nos abbés étant partis, sommes seuls à table et au salon.

Vendredi 6 Septembre 1907     Jersey    [Carte Jersey]

           Messe de 8 h à St Thomas. Loulou, que nous voyons de 9 h ½ à midi, est plus expansive qu'hier. Elle nous fait promener dans la villa fort jolie ; près du S.C., Claire la prend en photographie. Nous nous asseyons près de là, au bord de la prairie. Que de choses à nous narrer ! Après dîner, en landau, faisons un tour très agréable ; les chemins sont très ombragés, toujours verts. Allons d'abord à la baie de Boulay par la tour du Prince que nous visitons, à celle de Razel, puis de Ste Catherine, la plus jolie ; le château de Montorgueil, le clou de la promenade, est couvert de lierres ; ce sont de très belles ruines. Goûtons sur une table en face de la mer avec des tartines de beurre de fort bon appétit.

Samedi 7 Septembre 1907     Jersey / Plémont    [Carte Jersey]

           Partons à 8 h en landau pour Plémont. Trajet par les routes ombragées ; Béatrix grimpe sur le siège du cocher, lui parle, conduit tout ça en cours de route. Descente aux caves de Plémont. La mer est basse, sur le sable, dans une grotte où le guide arrête Benjamin dans le vide, il croyait descendre une marche, il y avait plus de 1 m 50 de hauteur. Traversons la plage ; profil de Louis XIV dans le rocher. Dans cette grotte on traverse une marre sur une planche puis le guide nous porte pour en traverser une seconde, Benjamin à califourchon, les dames sous les bras ; nous pendions de tout notre long sur son dos. La grotte est profonde. La noirceur des roches, l'herbe verte et courte qui tapisse la montagne à côté de cette mer si bleue, forment un contraste très beau. Demain notre guide viendra nous chercher en voiture pour voir la marée haute.
Des caves de Plémont au Trou du Diable, toujours dans le nord-ouest de l'île. Nous descendons un sentier moins raide, contournons un rocher, traversons la boutique d'une vieille de St Brieuc comme la jeune fille qui va entrer aux Auxiliatrices ; dans l'arrière-boutique est un mannequin représentant un diable ; puis descente d'une échelle, d'une 2ème, d'une 3ème, enfin sommes au fond du trou. Que voyons-nous ? La mer qui entre par l'interstice de deux rochers. Il fait chaud pour remonter et regagner notre voiture. De retour à 1 h ½.
           Dînons à 3 h aux Auxiliatrices jusqu'à 5 h ½. Voyons notre monsieur et ses deux filles ; il vient laisser la seconde ; on les laisse une heure à la porte. Loulou très gaie. Faisons notre installation dans la prairie du bas ; les enfants, au retour de leur 1ère course à bicyclette, ont été prendre des glaces, puis nous arrivent avec leurs diabolos. Après le dîner avec nos deux abbés et le pauvre monsieur et sa fille, à un concert borgne dans un hôtel-restaurant, la Pomme d'Or ; les artistes italiens nous enchantent si peu que nous rentrons à 10 h. Journée d'été. Avons vu le matin le Grand Hôtel et la plage St Aubin.

Dimanche 8 Septembre 1907     Jersey    [Carte Jersey]

           Messe à 8 h à St André, seule à Beaulieu. J'y vois Mère Sainte Radegonde. Puis tous réunis sur les deux bancs de la prairie, jasons et rions à qui mieux mieux. Dînons avec le monsieur, c'est un général de brigade. Correspondance pendant que les enfants se promènent à bicyclette. Attendons à 4 h ½ la voiture de Plémont qui ne vient pas. Promende au bord de mer du côté de la plage de St Clément, sorte de chemin de corniche, macadamisé pour les piétons avec bancs.
           Le soir, repas très amusant, je dis un mot à la jeune fille sur l'entrée de sa sœur aux Auxiliatrices. Le génaral trouve la Méditerannée très mauvaise. Les abbés tout-à-fait amusants ! L'un trouve le départ du bateau à une heure indue, 4 h du matin, il trouve que c'est inhumain de vous faire lever à 3 h ; l'autre, très drôle, sur les ballons plus stables que les ministres qui y montent, etc. , sur le métropolitain où il a failli se tuer. Leur départ nous attriste, ils étaient si gais !

Lundi 9 Septembre 1907     Jersey    [Carte Jersey]

           Courses avec Benjamin, achats divers, tandis que Claire et Adèle vont à Montorgueil à bicyclette. Correspondance dans le salon après dîner puisque nous sommes seuls. Voyons Loulou, soit assis, soit en nous promenant car il fait très frais malgré le soleil. La Mère Ste Radegonde est partie pour trois ou quatre jours pour Blanchelande. Loulou nous enchante par son contentement parfait. Salut à son couvent. Jolie petite chapelle ; voyons les postulantes, assez nombreuses. Le noviciat travaillant dehors nous avait bien amusé. Glaces à la fraise, très bonnes. Les enfants vont acheter des rouleaux de graphophone. Il fait frais, je rentre. Correspondance, cartes.

Mardi 10 Septembre 1907     Jersey    [Carte Jersey]

           Diligence après déjeûner pour être à 9 h à Beaulieu ; comme c'est le dernier jour, voyons Loulou matin et soir. Les novices travaillent sous le cèdre. A 11 h avec Benjamin, au Grand Hôtel pour prendre un bain ; Mme Huet est à ¼ d'heure de Beaulieu et du Gd Hôtel. Faisons les malles après dîner. A Beaulieu de 3 à 5 h. Claire nous prend en photo. Adieux pour un an. Je vois la Mère Ste Hervé à la place de la Mère Ste Radegonde qui est à Blanchelande. Loulou est si heureuse que c'est moins triste de la laisser. Sur le port, au chemin de fer de Corbière. Longeons la mer dans la baie de Saint Aubin. Ce matin on allait du fort Elisabeth à pieds secs, ce soir la mer a repris ses droits et le fort est une île perdue dans les flots. On se baigne tout le long de la plage jusqu'à St Aubin . A cette station, Claire, Adèle et Béatrix montent dans notre compartiment, elles étaient venues à bicyclette et retournons de Corbière. Très jolie vue à l'arrivée, cette baie de St Ouen à l'ouest et celle de St Engalade au sud avec des rochers noirs émergeant de la mer toujours agitée à cette pointe, forment un spectacle sévère et saisissant. Retour seule avec Benjamin. Envahissement de notre compartiment par une bande d'Anglais. Arrivée à 7 h ½. A 8 h à table. Prière à St Thomas.

Mercredi 11 Septembre 1907     Jersey / Guernesey / Southampton / Wight (Cowes)     [Carte]

           Lever à 6 h pour le bateau de 8 h. Adieux à Mme et Mlle Huet, charmantes hôtesses. Notre vieux cocher nous mène à l'embarcadère. Départ à 8 h. Temps splendide, mer calme comme un lac. Longeons l'île Sark ; voici Guernesey ; cherchons quel pourrait être le home de Victor Hugo. 1 h ¼ d'arrêt à St Pierre qui en est la ville principale. Chargement de bagages énorme ; très intéressant à suivre, les petits colis sont des centaines et des centaines de paniers de la même grandeur qui dégringolent dans la cale par la pente de planches mouillées ; c'est très curieux ; des hommes, 5 ou 6, vont chercher les paniers, les posent sur les planches ; un autre donne l'élan ; un 2ème accentue l'élan ; un 3ème fait passer de la planche inclinée sur le planche presque verticale ; 3 ou 4 hommes les reçoivent à fond de cale et les placent. Pour les colis énormes, pas moins d'adresse avec l'aide de la grue. L'homme faisant signe de tourner pour faire descendre les chaînes ou les enrouler, faisant des signes en tire-bouchon ou de stopper, très curieux.
           Voyons l'île d'Aurigny, beaucoup de rochers. Enfin nous voilà en pleine mer. Déjeûnons à Guernesey avec des raisins noirs énormes et excellents qu'on nous présente du rivage avec une perche et un filet. Déjeûner à la salle à manger à 1 h, tous les 5, à deux petites tables à côté ; tandis qu'on sert la table d'hôte, nous croquons le marmot ; enfin on songe à nous. Le commandant préside la table. Béatrix va s'étendre sur une couchette, dans le dortoir où tant de dames se reposent. Trajet très agréable. Croisons bien des bateaux ! Enfin, voici une jetée, c'est l'Angleterre et Wight à notre droite avec ses falaises arides et à pic. Les bateaux se multiplient, les rives d'Angleterre très plates. Cherchons le château d'Osborne dans l'île de Wight, toujours plus boisée et accidentée. Entrons dans la profonde baie de Southampton ; il y a des navires de guerre, les bateaux s'y multiplient.
           Arrivée à 5 h ½ à Southampton ; passons à la douane ; tous les employés très gentils. Un d'eux s'occupe de mes bagages, me les fait porter en voiture. Vite au bateau de Ryde, le bateau part sitôt arrivés. Un vieux monsieur et une vieille dame et son frère pasteur, tous charmants, parlant anglais avec les enfants. La dame nous montre un bateau éventré au milieu du port dans une rencontre ; il est là couché sur le côté. Le monsieur nous montre une forêt en face de Southampton où Guillaume le Conquérant remporta la bataille d'Hastings en 1066. Du côté de Southampton, l'hôpital immense et magnifique. La conversation ne tarit pas ; le vieux monsieur dessine sur son livre tout ce qu'il dit pour se faire mieux comprendre. D'ailleurs à mesure que nous avalons les excellentes tartines de beurre que Claire et Adèle nous ont montées sur la pont, notre intelligence s'ouvre de plus en plus.
           Notre trio descend à Cowes ; force saluts de part et d'autre. Que c'est joli, tout est illuminé, les lumières se réflètent dans la mer ainsi que le premier croissant de la lune. A 7 h ½, apercevons l'illumination de Ryde. Nos bagages sont partis sur un très joli tramway électrique. Descente à Marine Hôtel, le trouvons trop laid, allons à l'Albany Hôtel. Pendant le dîner, musiques et chants burlesques qui font rire les femmes de chambre. Claire, Adèle et Béatrix ont une chambre à trois lits.

Jeudi 12 Septembre 1907     Wight (Ryde)

           Notre hôtel peu engageant, c'est un restaurant et rien de plus. A 9 h arrivons chez les Bénédictines au moment de la grand'messe ; y assistons ; toutes ces moniales me donnent beaucoup de distraction. Mimy, Jeanou et Lily très affectueuses ; causons de tout et de tous. Mimy avec son bâton est mieux, cependant toujours la même, posée, sérieuse, avec cela gaie, s'intéressant à tout, Jeanne délicieuse comme toujours, Lily un peu silencieuse, écoute volontiers. A midi allons déjeûner chez Mme Blake. Elle n'avait pas reçu notre lettre et aurait pu nous loger. Vite seule chez les Bénédictines. Les sujets de conversation abondent ; restons jusqu'à 6 h ; pendant les vêpres allons faire le tour de la propriété, bien située. A 6 h, sur la promenade, sur la grêve. A la promenade, jeux de boules très intéressant, le but à 40 pas, les boules roulent, jamais en l'air. Souper toujours le même, haricots verts, pommes de terre, etc.

Vendredi 13 Septembre 1907     Wight (Ryde)

           Déjeûner très sommaire, le chocolat étant très mauvais, tout le monde mange froid. Vite chez les Bénédictines de 8 à 10 h ; elles sont charmantes, les enfants en raffolent. A 10 h ½, sur notre mail-coche qui ne part qu'à 11 h. Nous sommes tous les cinq sur le 1er banc des plus hauts. Traversons Ryde, très jolies villas, coquettes ; depuis Dinard nous n'avions plus rien vu d'aussi fleuri ; apercevons Quari Abbey, la future abbaye des Bénédictins qui était aux Cisterciens ; son mausolée du prince Albert renfermant celui du prince de Battenberg ; tout près Osborne ; visite de certaines salles ; la salle à manger est belle mais la salle la plus intéressante est celle des portraits de famille, Victoria, Albert, le prince de Galles avec sa femme et ses enfants, Guillaume II avec sa femme et les aînés de ses enfants. Le parc est magnifique, la terrasse descend du côté de la mer. Le paysage de la rivière de Cowes en bac est très curieux ; deux mails-coches sont sur la plateforme et on roule vers l'autre rive, c'est original. Arrivée à un restaurant seulement à 2 h ½, nous mourons de faim. Attablés sous de magnifiques ombrages, nous dévorons un dîner maigre après avoir traversé Newport.
Après dîner, visite du château de Carisbrooke d'où Charles Ier avait essayé de s'échapper ; ruines très importantes, nous faisons le tour des remparts crénelés ; voyons la fenêtre de Charles Ier ; on dit que Charles X s'y réfugia quelque temps après 1838. le puits extrèmement profond, c'est un âne qui, en marchant dans une grande roue en bois, puise l'eau. Très curieux. Vite en voiture ; le monsieur à la casquette blanche se fait attendre longtemps. Le voilà, sortant du water-closet, on rit ; lui, très cranement, vient monter sur le siège. Retour avec une grande fraicheur. Décidément Wight est fleuri, paré, propre, très soigné, plus que Jersey. Ses côtes sont elles aussi jolies. Courons chez les Bénédictines à 6 h, les voyons jusqu'à 7 h ½, toutes plus délicieuses, elles nous portent des souvenirs : Benjamin a un cube presse-papier en argile, pétri par Mimy, on jurerait que c'est du marbre ; moi, j'ai un presse-papier, un galet sur lequel Mimy a peint Ste Cécile ; les trois fillettes ont chacune un cache-pot en chêne-liège renfermant un petit vase avec de jolies fleurs fraiches. La sœur tourière nous fait voir la fenêtre de la chambre de Jeanne. A l'hôtel à 8 h pour souper ; soirée sur le balcon pour entendre les chanteurs comiques, très drôles et jolis.

Samedi 14 Septembre 1907     Wight (Ryde) / Cherbourg

           Quittons nos trois moniales avec grand regret et l'Angleterre avec une profonde joie ! Nous avons assez des Anglais, de leur langue et surtout de leur cuisine. A 8 h ½ au tramway qui parcourt la jetée allant à la station de bateau. ryde est décidément un joli coin de terre ; revoyons Osborne avec la lorgnette. De nombreux châteaux sont aussi sur les côtes anglaises avant d'arriver à Southampton. Là, à pied, à notre magnifique transatlantique allemand, le Saint-Paul, allant à New-York par Cherbourg. C'est loin, ce paquebot immense n'est pas disposé comme nos paquebots des messageries, le pont des 1ères est couvert par un pont prohibé ; seul à l'avant et au milieu, on a le ciel à découvert. Le déjeûner dans la magnifique salle à manger est amusant. Quel monde hétérogène ! des Américains, des Anglais, des Allemands, des familles, des enfants, l'un tout jeune qu'on promène dans sa voiture sur tout le pont, des acteurs, des actrices. Le lunch est compris dans le prix ainsi que le thé et les biscuits qu'on passe sur le pont à 4 h.
           Partis à midi, nous entrons dans le port de Cherbourg à 5 h ¼. La manœuvre pour hisser le drapeau a été longue. Vu la digue de loin ; le paquebot reste à l'entrée du port, le bateau qu'on attend de Cherbourg se fait longtemps attendre ; si nous avions su, nous aurions recherché avec plus de calme nos bagages qu'on avait descendus, je crois, à fond de cale. Mieux eut valu prendre une cabine. Le petit vapeur arrive portant une multitude de passagers, leur défilé n'en finit plus. On nous fait descendre, puis commence le port des bagages, c'est amusant mais nous n'arrivons à Cherbourg qu'à 7 h du soir, au moment où partait un train d'émigrants pour Paris. Hôtel de l'Amirauté, nous y sommes bien. Bon dîner très bien éclairé. Des abbés sont dans l'hôtel, ce doit être un hôtel clérical, tant mieux, plus de pasteurs protestants.

Dimanche 15 Septembre 1907     Cherbourg / Coutances / Tourville / Folligny / Granville / Aigle / Dreux / Paris

           Très bien dans notre hôtel de l'Amirauté. Messe à la Trinité à 7 h, belle église, beaux vitraux.Sur la place statue équestre de Napoléon Ier fort belle. Courons à N.D. du Vœu, moins belle ; arrivons à l'hôtel avec Adèle et Béatrix au moment où Benjamin et Claire partent pour la gare, passons par la place Divette, rien de remarquable. En somme, en dehors des deux églises et la rade, rien à voir. Au train de 9 h. Un monsieur et une dame montent dans notre compartiment, le train en marche, la dame pousse des cris de paon, c'est comique. En somme, ils sont gentils. La campagne est verte et plus accidentée que le reste de la Normandie. A Coutances, cathédrale magnifique, vue du train. Tout le monde se rend à l'inauguration de la statue de Tourville dans cette ville , entr'autre les messieurs en gare ce matin à Cherbourg, les officiers de marine, etc. A Folligny, changement de train.
A 1 h à Granville, hôtel des Bains. Déjeûner excellent. Nous sommes à côté de l'entaille dans la roc, sur la grêve, tout de suite le casino est là. Très jolie plage, vent du nord très violent, moutons ; par la passerelle, vue splendide, mer des deux côtés, au sud et au nord. Courons jusqu'à l'extrémité du rocher, la contournons ; retour par les casernes, toujours courant, Benjamin craignant encore d'être en retard. Nous nous précipitons dans l'omnibus de l'hôtel , retour en gare, attente très longue. Départ à 4 h. Hélàs nos bagages seront ce soir à la gare St Lazare et nous à la gare des Invalides. Seuls. La Normandie verte mais monotone ; dîner d'Aigle à Dreux en wagon-restaurant. Trouvons un jeune homme dans notre compartiment. Arrivée à 10 h ¾. Nous n'avons pas continué notre jeu de poule et oule. Granville nous a beaucoup plu. Benjamin et Adèle dans notre omnibus à la gare St Lazare. Avec Claire et Béatrix, en voiture chez Corinne. Le brave domestique Pierre nous attend. Benjamin arrive 1 h après nous.

Lundi 16 Septembre 1907     Paris

           Bon marché. Docteur Trousseau. Enfants au Luxembourg . Benjamin et moi le soir dînons avec Lilette. Lilette fait faire en omnibus le tour des boulevards aux enfants.

Mardi 17 Septembre 1907     Paris

           Tandis que Benjamin, Adèle et Béatrix vont à Joinville revoir la villa et Mme Giran qui croyait Xavier dans l'autre monde. Avec Claire prenons le tramway de la place de la Bastille pour Charenton. Arrêt au pont de Conflans et vite au S.C. où nous pourrons faire une visite d'une ½ heure à Mmes de Bouy et de Forceville ; elles sont charmantes ; nous leur portons les photos de Loulou en auxiliatrice ; après les avoir vues ensemble Claire et Mme de Forceville font un aparté, Mme de Bouy et moi un autre. Puis nous nous réunissons encore pour les quitter, trop vite, mais il faut le temps de regagner notre logis. de notre tramway, nous sautons en voiture et fouette cocher !
           Après le déjeûner, Lilette nous accompagne très gentiment à Sèvres. Prenons l'omnibus puis le bateau au pont de l'Alma. Nous causons tant et si bien que nous laissons passer la station. A St Cloud, reprenons le bateau en sens inverse pour réparer notre distraction. Visite des superbes collections et grâce à Lilette, après avoir vu les ateliers, la manière de préparer la pâte, la mise au feu, les fours, voyons la décoration fine en peinture entr'autres d'un service pour l'Elysée ; guirlande d'épis, confection de statues très fines avec la pâte, c'est très intéressant.
           Promenade dans le parc ; passons dans celui de St Cloud ombrages magnifiques, perspectives admirables, terrasses superbes, plates-bandes fleuries, plus rien de l'ancien château. retour en tramway, sur l'impériale. Toilette, dîner. Octave Diamantin a voulu que nous fussions, Benjamin et moi au Mariage forcé de Molière à la Comédie française. Lilette mène nos trois filles au "Le Monde", ce chef d'œuvre de Pailleron ; c'est une merveille d'esprit et de finesse, quelle jouissance intellectuelle. Claire, Adèle et Béatrix ont joui pleinement, quelle hilarité dans toute la salle.

Mercredi 18 Septembre 1907     Paris / Lyon (en train)

           Avec nos trois filles, en voiture à la gare du Nord, nous allons à St Denis. ¼ à pied de la gare à la vieille et belle basilique, pleine de souvenirs historiques. Les vitraux sont magnifiques mais nous nous bataillons avec le sacristain qui ne veut pas nous laisser entrer immédiatement dans l'enceinte réservée parce que la visite est commencée ; il cède ; dans la crypte on entrevoit à peine les tombeaux de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Dans la basilique, le tombeau de Louis XII et d'Anne de Bretagne, tout en marbre, superbes. Puis celui d'Henri II et de Catherine de Médicis, bronze et marbre dans le même genre. En courant en gare, un train direct nous mènera à Paris à midi moins ¼. En une ½ heure traversons Paris en voiture, le mouvement de la rue Lafayette est indescriptible. Après dîner, vite à la manufacture des Gobelins ; droit aux ateliers, visite extrèmement intéressante : la laine court horizontalement dans la hauteur du sujet, c'est merveilleux. La vie de Duguesclin pour le Palais de Justice de Rennes sera un chef d'œuvre. Voyons un tapis en savonnerie, c'est-à-dire imitant le velours, pour l'église, fort beau. Visite des salles d'exposition.
           En voiture chez Lysbeth, un peu moins expansive que la 1ère fois. En tramway à St Sulpice, très belle église ; les séminaristes font un ¼ d'heure d'adoration, puis visitent l'église : le méridien y passe. Le grand séminaire a l'aspect d'une prison. La fontaine de St Sulpice avec ses 4 grands prédicateurs, ses 4 lions, fait un grand effet. Vite chez Corinne pour faire nos malles. Dîner en costume de voyage. Adieux à mes chères Lilette et Corinne si affectueuses et gentilles, à Octave qui est arrivé trop tard pour dîner avec nous et s'est sauvé après avoir entre-baillé la porte, à Pierre et Mélina, admirables serviteurs. A la gare de Lyon, prenons possession de notre compartiment. Y dormons comme des loirs jusqu'à Lyon.

Jeudi 19 Septembre 1907     Lyon / Marseille (en train)

           Sommeil jusqu'à Avignon où nous déjeûnons à 7 h. Eugénie, ses deux enfants et Eléonore sont là. Celle-ci pleure en voyant les photos de Loulou en auxiliatrice. Arrivée à 9 h 20. Adèle m'attend en gare, bonne causerie dans l'omnibus en attendant les bagages. A la Viste à 11 h. Ce voyage a été un des plus agréables.        

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