Séjour au château de Rochasson (Isère) par Léonie Fine - du 06 juillet au 05 août 1914
Les photos sont importées d'internet.
Cliquez sur les photos pour agrandir.
Carte voyage - L'année 1914 - Chronologie de la 1ère guerre mondiale (Site Ass. Nat.)
Carnet rédigé par Léonie Fine
(61 ans) relatant un séjour effectué au Château de Rochasson en Isère,
Lundi 6 Juillet 1914 Saint Antoine (Marseille) / Valence / Grenoble / Château de Rochasson [carte voyage] A 6 h départ en auto de la campagne pour Valence. Xavier, Marthe, Minette et moi avec Rita que nous raccompagnons à Castelfons, elle était venue pour le mariage de Marie-Clotilde. Louise et Raymond nous reçoivent à déjeûner ; Marguerite et Jeanne sont encore à Avignon. Venus en 1 h ¾, nous repartons avec la pluie ; nous gagnons Valence en 2 h 20 mn. Vite déjeûner en gare pour garder deux compartiments pour toute la bande partie de La Viste pour le train de 9 h. Mardi 7 Juillet 1914 Ch. de Rochasson [carte environs Rochasson] [carte 3D Rochasson] Nuit de profond sommeil, nous sommes tous ragaillardis ; lever tardif, arrangements tout le matin. A midi ¾, personne ne songe à l'heure du dîner. Table improvisée, couvert mis par tous. Installation jusqu'au soir tandis que messieurs et enfants se promènent. Jeannette a la fièvre, on la couche sans souper. Nous serons très bien à Rochasson. Mercredi 8 Juillet 1914 Rochasson / Grenoble / Rochasson Matinée à Grenoble avec Benjamin et Auguste ; achats monstres, l'auto en est bondée. Retour à 1 h ; avons été à Grenoble Jeudi 9 Juillet 1914 Rocasson/Sappey/Col de la Porte/Col du Cucheron/Pas de la Fosse/Chambéry/Challes/Rochasson [carte] A Grenoble pour des achats de 11 h à midi. Inauguration des salons pour la correspondance ce matin et, après dîner, à 3 h, départ en auto, Xavier, Gaby, Claire, Benjamin et moi pour Chambéry par les cols de Porte, du Cucheron et du Frêne. Vendredi 10 Juillet 1914 Château Journée chaude, mais en choisissant sa place sur une terrasse ou une autre, on trouve un peu d'air. Enfin, après correspondance, lecture ! Y avait-il si longtemps que je n'avais plus lu ! Ce soir à 8 h, chez le capitaine des Francs à son château. Mme nous reçoit dehors, elle est fort bonne et obligeante. Toujours en auto au fort du Bourcet(1) pour acheter des œufs ; j'ai failli entrer dans le fort, comme on attendait le lieutenant, je suis restée en dehors. Samedi 11 Juillet 1914 Uriage Vizille [carte]
Dimanche 12 Juillet 1914 Rochasson / Goncelin / Allevard / Poncharra / Rochasson [carte] Messe de 9 h à St Louis. Très bien ordonnés les exercices de cette église. Asperges, messe, sermon, tout vite et pieusement fait. Tandis que Benjamin, Xavier, Claire et Minette(1) vont en gare chercher Jules, je les attends à l'église où ils viennent me reprendre. Notre départ retardé par la confection du paté de canard. Il fait chaud. Visite de la maison avec Jules ; il nous fait remarquer qu'elle est en machefer ; c'est à cause du voisinage du fort ; le génie ne l'a laissé élever dans le rayon du fort que dans pareilles conditions, elle peut être rasée en cas de guerre. Jules est étonné de son luxe et du confort. Lundi 13 Juillet 1914 Château / Le Sappey / St Pierre d'Entremont / Les Echelles / Voreppe / La Placette / Château [carte]
Mardi 14 Juillet 1914 Meylan Toujours chaud, 26° comme maxima. Ce soir départ de Xavier et de Jules par le tramway de Meylan à 6 h. Allons avec Benjamin faire une visite à Mr le curé, bien bon. Voyons l'église de Meylan. Remonter est dur, surtout quand le matin le chemin est ensoleillé. Soirée avec nos deux filles sur le perron avec l'électicité allumée sur nos têtes. Mercredi 15 Juillet 1914 Corenc
Jeudi 16 Juillet 1914 Meylan Enfin 16 degrés au lieu de 26. Je cours à l'église de Meylan par un temps couvert, un quart d'heure pour descendre, vingt deux minutes pour remonter. Il fait frais, on est mieux sur la terrasse devant la maison. Le soir, avec Claire et ses enfants, Mlle et les quatre grandes, montons au haut du parc, sortons par la plus haute porte sur la montagne que nous escaladons jusqu'au bois coupé, au pied du rocher de St Eynard. Sans les nuages la vue serait merveilleuse. Descente par le chemin à pic et pierreux à côté de chez nous. 1ère soirée dedans sous les lampes électriques dans le 2ème salon ; autour de la table, nous trois travaillons, Benjamin regarde les illustrations. Nous sommes très bien. Vendredi 17 Juillet 1914 Temps toujours frais, il faut chercher des abris. Les montagnes sont ravissantes, claires et très nettes. Allons tous chez Quai nous entendre pour les légumes de Grenoble ; René nous y mène, fraises sur la route. Les petits comme Jean(1) et Jeannette(2) nous amusent ; contournons le grand séminaire, autrefois aux Capucins. Les pentes sont si raides que nous reprenons les lacets. On sulfate les vignes. Samedi 18 Juillet 1914 Biviers
Dimanche 19 Juillet 1914 Meylan Messe à 7 h à Meylan ; nous y allons et revenons en break. Matinée fraiche, très absorbée par mes occupations du Lundi 20 Juillet 1914 Temps couvert ; aussi avant midi, au 2ème banc avec Benjamin pour y lire. Après dîner j'y retourne avec les 8 grands, on y est délicieusement. Promenade avec les 6 grands, montons au lieu de descendre à Meylan, c'est très raide, tournons à gauche sous bois, traversons prairie, torrent ; Madeleine¹, toujours dans la lune, tombe dans le vide, des lianes la tiennent suspendue, nous la repêchons, elle s'est effrayée. Descente par une prairie qui nous mène dans le chemin si raide à côté du parc, à la hauteur du château. Il fait frais pour rester assis dehors le soir. Mardi 21 Juillet 1914 A 1 h du matin, notre porte s'ouvre, c'est Gabrielle, l'électricité a sonné deux fois ; nous descendons, rien d'anormal. Gaby s'est promenée jusque là pour surveiller la lessive de Claire. Pluie d'automne, les enfants installés dans la salle à manger, nous dans la grand salon. Après dîner, afin de faire aérer la salle à manger, faisons jouer les enfants dans le second salon. Benjamin, entretemps, va au 1er, puis au 2nd banc et le soir, tandis que Gaby descend sur la route avec tous ses enfants, avec Claire et ses aînés au fort ; quelques gouttes la font retourner au grand galop. Mercredi 22 Juillet 1914 Pluie d'automne tout le jour avec brouillard. Aussi lecture, correspondance, piano à 4 mains avec Claire, travail manuel dans le grand salon. Les enfants partagent leur temps entre le second salon et la salle à manger ou vont courir dans le long corridor du 1er. Nous jouons au boston. Benjamin a risqué une sortie après dîner, il revient trempé. Nombreux courrier d'Amélie, de Coralie, d'Adèle encore à Paris. Jeudi 23 Juillet 1914 Pluie en me levant et pour aller à la messe de 7 h. C'est le 1er jour du congrès eucharistique à Lourdes. Pluie au retour en partant, soleil en arrivant. Les chemins sont détrempés. Le soir nous pouvons enfin sortir ; de la route du fort nous voyons les inondations de l'Isère. Vendredi 24 Juillet 1914 Temps splendide, on étend la lessive avec ardeur, elle nous occupe tout le jour. Le soir, je vais seule chez Mme des Francs ; tous mes petits-enfants voudraient m'y suivre ; je ne trouve que Mme de Rochebelle, née de Selle, très aimable mais très sourde. Soirée splendide. Les promeneurs n'ont pu aller à Biviers, les torrents ont doublé ! Samedi 25 Juillet 1914 Enfin beau temps ! 14 degrés. Nous pouvons travailler dehors. Le soir tous chez les Dominicains où l'on va à confesse. Les torrents se sautent ou se contournent sur la jolie route de Biviers. Avant la dernière montée on tourne à gauche et l'on grimpe jusqu'au couvent. Le vieux père dominicain vient derrière l'autel où nous sommes réunis ; les dominicaines récitent l'office dans la chapelle, nous les voyons à travers les grilles. Mme Rostit de Marseille, est supérieure. Gardons les enfants dans la cour, Jeannette¹ fait une maison avec des pierres, avec fossiles. Retour rapide, restons en arrière avec Benjamin. Temps menaçant ; arrivons avec les premières gouttes de pluie, l'orage est là, tourmente, éclairs, tonnerres, pluie. Dimanche 26 Juillet 1914 En break à la messe de 7 h. Il nous a porté les 5 corbeilles de fruits en détresse depuis plusieurs jours en gare de Meylan. Toutes les pêches sont gâtées. Il fait très frais, nous avons nos manteaux de laine tout le jour. Les inondations ont coupé la voie de chemin de fer à Voreppe. Pour venir de Marseille par la grande ligne, il faut passer par Lyon et Chambéry. Il y a un bon abri devant la bûcher, Gaby y gardent les enfants qui escaladent les talus et je lis au dessus, au 1er banc. Promenade avec Benjamin, Claire et les 6 grands à l'église de Biviers, retour avec un magnifique arc-en-ciel, c'est ravissant. Les enfants s'amusent beaucoup. Lundi 27 Juillet 1914 Froid, 10°. Le matin on peut sortir ; après dîner je mène les 8 aînés jouer au général et à l'armée devant la grille. Pluie, il faut rester caserné. Les enfants très sages ; dans nos deux beaux salons : lecture, travail manuel, piano et boston. Ce matin on a coupé la communication entre Xavier et Gaby. Bruits de guerre. Mardi 28 Juillet 1914
Mercredi 29 Juillet 1914 Journée splendide mais quelques ondées. Aussi le soir Mlle et les trois grandes partent par la route du Sappey. A 5 h montons aussi avec nos trois moyens dans le parc, sortons par la 1ère porte ; laissons Gaby rejoindre les petits, montons par le chemin du ruisseau, pas extrêmement difficile à franchir, pour atteindre un champ de seigle qui nous conduit très haut sur la route du Sappey sur laquelle nous serions montés indéfiniment. Vue splendide de Grenoble, à nos pieds toute la vallée du Drac, l'Obiou s'élève au fond. Le Mont Blanc splendide au nord, toute la chaîne de Belledonne, le Pelvoux, c'est splendide. Fête de Marthe. Achat par Melle que nous rencontrons, de fraises des bois cultivées. Ells sont exquises. Jeudi 30 Juillet 1914 Vie calme et idéale ; dehors jusqu'à 4 h. Le temps, beau et chaud ce matin, devient pluvieux et froid. Après les délices du parc, goûtons celles de la maison. Boston dans notre cabinet de toilette de 5 à 6 h ½. Jacques souffre des dents. Je termine enfin le manteau rouge de Madeleine et ses boutons à la veillée. Vendredi 31 Juillet 1914 Brouillard si épais que le Saint Eynard disparait complètement. Dans la journée la chaleur reparait peu à peu. Tandis que le soir nous partons par la route du Fort, Gaby, qui était restée avec Madeleine un peu indisposée, nous court après. On vient par télégramme téléphonique de lui dire qu'Adèle arrive à Marseille pour quelques jours et qu'on sera ici demin matin. Est-ce Adèle ? Est-ce Jules ? Nous n'y comprenons rien. Allons chez les religieuses de la Providence ; chapelle ravissante ; position unique ; terrasse enchanteresse surplombant la vallée du Graisivaudan. Assis sur des bancs dans une salle couverte, nous jouissons par tous les pores. Les religieuses charmantes, très nombreuses, beaucoup de novices. Devisons au retour sur cette dépêche. Auguste est parti à midi, il a idée d'être appelé sous les drapeaux et ne plus revenir. Dans la soirée, terminons la fameuse partie de boston avec un tel feu que Benjamin en a été agité dans la nuit. Samedi 1er Août 1914 Dépêche et lettre pendant notre toilette, Adèle va arriver avec Xavier. A 9 h ils sont là. Xavier entre dans la salle à manger, Adèle le suit dans la petite allée. Nous sommes stupéfaits. Dimanche 2 Août 1914 A 4 h sur pied, derniers préparatifs. A 5 h ½, partent dans l'auto bondée de paquets, Xavier, Gaby, Yvonne, Madeleine, Jeanne, Jacques et leurs deux bonnes, Claire et Victorine. Derniers embrassements, Xavier y met tout son cœur ; ils vont à la messe de 6 h à Grenoble et de là, déjeûner chez Charles. Lundi 3 Août 1914 Préparons le départ, malles et corbeilles, tout le jour. A 5 h partons tous les 6 pour Biviers. Adèle ne regarde rien, parle guerre, nouvelles, voudrait aller à Grenoble ; elle a toujours le même entrain, voudrait se battre. Chapelet dans la jolie église, y prions pour Xavier, admirons la situation du cimetière, c'est idéal ! Retour charmant ; la lune se voile ; après cette chaude journée, le ciel s'assombrit, éclairs, tonnerres et pluie. Dès notre retour à 8 h, on fait partir des fusées pour éviter la grêle. Dans l'après-midi Mr Chabert fils, le régisseur, nous cause de l'émotion avec son auto, nous avions cru qu'on venait nous chercher. Mardi 4 Août 1914 Château / Grenoble / Monestier de Clermont [carte voyage] Emotion violente : à 7 h ½, une auto, nous croyions à l'arrivée des autos de la famille, c'est encore Mr Chabert , il vient nous proposer deux autos pour 9 h. Nous remettons le départ à 10 h. Seulement, au lieu de payer comptant, Benjamin ne règlera qu'à Marseille les 1600 fr dûs. Dix heures sonnent, personne ! 11 heures, personne ! Midi, vite Marie improvise le dîner. Nous sommes consternés. La pluie commence, tenace, brume. Qu'allons-nous devenir ? Mercredi 5 Août 1914 Monestier de Clermont / Col de Luz-la-Croix-Haute / Manosque / Saint Antoine [carte voyage] Beau temps, mais vif. Déjeûner à 5 h ¾, départ à 6 h. Nos chauffeurs sont de bonne humeur, tous nos colis sont cordés parfaitement en ordre. A chaque village, gendarmes demandant à voir notre laisser-passer, la voie ferrée est gardée tout le long par l'armée. Route ravissante jusqu'au col de Luz-la-Croix-Haute ; là, soldats et civils se précipitent sur nous pour avoir des nouvelles. Dans la 1ère auto, Benjamin, Adèle, Minette et moi. Deux crevaisons de là à Manosque, où nous déjeunons. Un bon vieux nous avait dit que les espions pullulent, les uns habillés en religieuses, les autres sont des espionnes se glissant dans l'armée comme amoureuses des officiers. Sur toute la route, mulets et chevaux réquisitionnés pour la guerre, il y en a partout. Arrivons à 4 h à St Antoine, fourgons automobiles conduits par Maurice de Gasquet arrêtés devant la campagne et Henri nous aperçoivent, ils courent sonner à la porte en criant : "Les voilà !" |