Voyage à Chamonix par Léonie Fine - 1893    
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Du 11 au 17 août 1893

Vendredi 11 août 1893

Départ à 6h38 par le rapide de Lyon, Gabrielle, Loulou, Benjamin et moi. Nous avons six jours de liberté et nous en profitons pour revoir Chamonix et le Mont Blanc. Les nouveaux wagons nous permettent de circuler et de saluer plus à l'aise au roi d'Espagne. La bande de la Viste et de la Sumiane réunies ! Nous sommes seuls ! à minuit changement de train pour prendre celui de Genève au complet ! le réveil serait charmant aux approches de Bellegarde si Benjamin, qui avait eu, dès Rognac, un charbon dans l'œil, n'en souffrait horriblement.

Samedi 12 août 1893

Arrivée à Genève 4h 45. Cabinets de toilette en gare, rendant grand service ! Attendons après le déjeuner au buffet de la gare l'ouverture de quelque pharmacie; dans l'une d'elle on délivre enfin Benjamin, aussi reprenons-nous gaité et entrain ! en voiture au moment du duc de Brunshwick, admirons le pont du mont Blanc, mais lui, le Mont Blanc dans les nuages! Voyons le Rhône sortir du lac et, à 8h, sur un bateau à vapeur à Nyons, traversée très agréable, fraicheur délicieuse. A 9h quittons le bateau pour monter à la gare de Nyons où nous prenons à 9h ¾ un train tramway, c'est-à-dire s'arrêtant à toutes les stations. Déjeuner à 11h sur le bateau du restaurant du Nord avec une vue délicieuse sur le lac si bleu, les collines vertes et ombragées, les ponts et les quais si animés! Il fait très frais, presque trop !...
Achats et flâneries de midi à 1h sur le quai du lac et la vue du Rhône, ce qui amuse beaucoup les enfants. A 1h sur la place du Molard, tramway à vapeur pour Annemasse; nous y sommes ½ heure après. Choisissons nos places dans le tramway qui doit nous amener à Samoëns, il est découvert, nous y sommes à merveille tandis que les quatre autres voitures sont fermées.
Départ vers 2heures, trajet charmant, on s'enfonce dans les montagnes ! A Saint Jeoire, joli château, petit équipage en miniature, arrêt pour se rafraichir, envahissement de la buvette. Samoëns à 5h ¼. Ville en fête, toute pavoisée, arceaux de verdure, guirlandes en papier, sapins plantés provisoirement au bord de la route ! Montons en voiture pour Sixt; y arrivons à 6h. Jolie position au fond de la vallée qui se rétrécit de plus en plus. A la ferme par un cirque où coule une multitude de cascades à la fonte des neiges. Sixt n'est en somme qu'un village. L'église est des plus pauvres.

L'hôtel du Fer à Cheval, seul et unique, très primitif. Il est plein et on nous mène à une succursale mieux située, où l'on nous donne deux chambres à deux lits en face l'une de l'autre avec faculté de nous promener de l'une à l'autre parce que nous serons seuls dans l'étage. Nous pensons prendre la place des propriétaires car la chambre des fillettes est tapissée des photographies de la famille.
Nous commandons guides et mulets pour notre excursion du lendemain et allons voir le curé pour savoir l'heure de la messe. Mon Dieu, quelle misère ! La porte du presbytère s'ouvre, nous traversons une sombre galerie ouverte, ornée de fleurs, et entrons dans la cuisine composée d'un poêle surmonté d'une grande jatte de lait. Cette pièce donne accès à la salle à manger, pièce basse, ayant comme mobilier une petite table ronde et quatre chaises. Le vieux curé nous promet, pour nous être agréable, de devancer d'un quart d'heure son horloge, c'est-à-dire qu'il la dira à 6h ¼ au lieu de la ½. A l'hôtel, pour le dîner, grande consternation : on ne peut, vu la fête municipale de Samoëns demain, se procurer ni guide, ni mulet ! Adieu notre fameuse journée de mulet et l'arrivée à Chamonix par les cols d'Anterne et du Brévent. Il faut renoncer à tout cela ! Nous montons dîner dans une petite salle à manger au 1er, pour ma part de très mauvaise humeur! Une dame et ses enfants parait être en pension, un monsieur dine à sa table, quelques autres en occupent une seconde; nous prenons notre repas sur une autre. Dîner très médiocre; propreté laissant à désirer! Allons nous coucher au dernier morceau en traversant le Giffre qui nous sépare de notre habitation.

Dimanche 13 août 1893

Lever à 5h pour la messe. Le temps est splendide. Quel regret de plus pour notre col d'Anterne, on s'accorde à dire que c'est splendide comme coup d'œil sur le Mont Balnc. Il fait frais, presque froid ! Pauvre église ! Les bancs y sont si étroits qu'on ne peut s'y asseoir le dossier droit comme un i, vous rejetant en avant et les banquettes pour s'agenouiller sont si exigües qu'elles vous scient les genoux ! Et comme nous ne sommes pas venus à l'église pour y chercher l'équilibre tout le temps de la messe, nous allons prendre possession de prie-Dieu inoccupés.
A 8 h, départ en voiture par Cluses et Sallanches que nous allons gagner Chamonix ! Notre petite voiture légère, entourée de rideaux volants, est emporté par un excellent cheval que mène le plus gentil cocher; il fait monter dans son véhicule deux femmes de la localité allant aux fêtes de Samoëns; il aurait pris tous les piétons au passage, s'il avait pu les loger ! La coiffure de ces femmes est noire, formée de deux demi nuches arrondies tout le tour de la tête ! A Samoëns, défilé des musiques, tables dressées de tous côtés. Nous traversons le Giffre et le quittons pour monter peu à peu sur le flanc de la montagne jusqu'en face de Taninges que nous dominons ainsi que son grand séminaire si pauvre ! Petit arrêt toujours en voiture dans une prairie pour voir une grotte de Lourdes bien imitée. A cet endroit la route tourne et nous quittons la vallée du Giffre et descendons dans celle de l'Arve en serpentant la montagne jusqu'à Cluses.
A 11h nous y arrivons, mais quelle descente vertigineuse! Je regrette notre bon cheval et le gentil cocher. Déjeuner ; départ à midi ¼ en landau ! Deux rosses !
Chaleur torride jusqu'à Sallanches ! Poussière digne de la Viste ! Les enfants entrevoient le Mont Blanc. Arrêt aux bains de Saint Gervais pour voir les dégâts ! Des baignoires emportées de tous côtés ! Deux corps de bâtisses sont encore debout mais démantelés ! Quelle ruine et quelle désolation jusqu'au Fayet! A 7h, arrivée à Chamonix, à l'hôtel du Mont Blanc! Jolie installation au 1er. 39, 40 : deux chambres communiquant, très confortables, nous nous y trouvons à merveille. Notre chambre a un balcon avec vue sur le Mont Blanc et toute la chaîne! A 7h ½, table d'hôte d'environ 70 couverts: comme elle est au complet, il y a de petites tables pour 4, nous occupons l'une d'elle ayant tous les avantages et pas les inconvénients de la table d'hôte. Excellent dîner ! Le service marche très bien, nous sommes enchantés d'être là. Avant de nous mettre à table, visite au curé pour lui demander la permission de ne pas jeûner demain. Curé jeune et charmant. Il a la permission du gras pour tous les jours de l'année pour les hôteliers et les voyageurs de Chamonix. Benjamin est aux anges. La porte du presbytère est en face du Mont Blanc.

Lundi 14 août 1893

Déjeuner avec beurre et miel! Départ à 7h ½ sur nos quatre mulets pour le Brévent; mon guide Armand Cachat, celui de Gabrielle, Edouard Claret, et celui de Loulou, Aristide Couttet et les deux enfants Devouassoux et Paul Cachat sont charmants. Nous montons en zigzag jusqu'à Bel Achat où nous arrivons à 10h ½. Vue splendide sur le Mont Blanc. Voyons avec le télescope les ouvriers occupés à l'observatoire que fait construire M. Vallot. En dehors de ces ouvriers, suivons 4 ascensionnistes ! A table, famille française : mère, fille et fils, deux messieurs allemands et famille anglaise !
Départ à midi toujours à mulets ! Le Brévent de plus en plus désolé, petit lac. Pierres toutes brisées par la foudre qui y tombe continuellement, car elles l'y attirent,. Aussi, simple tente au sommet avec quelques rafraîchissements, les essais de construction ont tous été foudroyés. Altitude de 2525 m. Quelle vue ! En face du Mont Blanc et de toute sa chaîne ! Partout des montagnes du côté du Dauphiné et d'Annecy à l'ouest, au nord, le col d'Anterne, plus bas, à l'est, la mont Buet, et les Aiguilles Rouges nous dominent, au nord-est, à l'extrémité de la vallée, les Diablerets. Nous passons une heure à contempler routes ces splendeurs et repartons à 2 h.

 

 

Nos mulets, guidés par les enfants ont été à notre rencontre du côté de Plan-Praz que nous allons gagner à pied par la fameuse cheminée. D'abord voyons un précipice affreux tout-à-fait à pic et quelle profondeur ! Puis la cheminée, passage étroit entre les rochers, avec des barres en fer pour se tenir, ce qui rend ce passage d'environ 10 minutes plus facile, bien que les barres soient placées trop bas. En une heure à Plan-Praz. Loulou court avec son guide qui devient son ami, puis Gabrielle avec le sien, nous fermons la marche, Benjamin, mon guide et moi. A 3h goûter et rafraîchissements à Plan Praz. De 3h ½ à 5h ½, retour moitié à mulet, moitié à pied. Achats jusqu'à 7h ½. Benjamin entrain d'acheter toute une boutique ! Table d'hôte ! Grandes toilettes! Dépêche d'Alfred : santé parfaite! Quelle joie !

Mardi 15 août 1893

Lever à 5h ½ ; messe à 6h ½ ; bénissons le voisinage de l'église: jolie église grande et remplie ! Même inconvénient qu'à Sixt pour les bancs qui enlèvent la possibilité de bien prier. A la communion, toutes les femmes mettent de grands voiles de mousseline blancs attachés par devant et placés sur leur coiffure noire ou à la place des chapeaux. Chemin de croix tout particulier. Trois lettres à la poste de Clotilde, d'Isabelle et d'Emilie. Départ à 8h ¼ pour le pavillon de la Pierre Pointue. D'abord à pied puis à mulet dans la vallée : traversons la propriété de l'original anglais né de Saint-Clair, créateur du joli lac des Gaillands, un miroir du Mont-Blanc, ruine, rocher, arbre, tout est artificiel. En quittant la vallée, joli chemin sous bois pour la grotte de glace du glacier des Bossons; elle a soixante cinq mètres de longueur, toute illuminée, reflets bleus ravissants mais on y glisse parfaitement bien. Nos guides nous mettent des chaussons pour traverser le glacier et un photographe nous prend au moment de nous mettre en branle. Des ruisseaux, des crevasses et des moulins accidentent ce glacier, le premier que nous traversions. Halte à un petit chalet pendant que nos mulets contournent le glacier, puis à pied, sous bois, dans un sentier délicieux ; traversons deux torrents avec vue splendide sur l'aiguille du Midi, c'est enchanteur ! Ces bois sont beaucoup plus verts et plus frais que ceux du Brévent et de la Flégère. Reprenons nos mulets à 10h et, en 2h, par un sentier très escarpé et fatigant même à mulet, à la Pierre Pointue. Nous rencontrons les 4 voyageurs dont une dame qui ont fait hier l'ascension du Mont-Blanc ! A midi ¼ déjeuner, c'est encore plus primitif qu'à Bel Achat. Nous sommes à 1056 m. d'altitude. La flore est ravissante, Gabrielle fait des bouquets ravissants ; nous sommes à 3 h des Grands Mulets. Dominons le glacier des Bossons. Benjamin et Loulou vont avec leur guide jusqu'à 20 m de là voir la naissance du glacier. Restée avec Gabrielle au gros soleil en plein midi, avec nos manteaux, nous n'avons rien de trop ! Mon guide me raconte la mort de son frère au Mont-Blanc il y a 20 ans : une rafale l'emporta lui et sa caravane. Les séracs sont aussi bien dangereux. Retour charmant sous bois ; à un chalet, rencontre d'un monsieur qui, le matin, était au sommet du Mont-Blanc et qui avait été pris du mal de la montagne et était descendu en courant, son piolet à la main. Autre halte à un chalet, petite terrasse en face d'une cascade. Ce côté de la chaîne du Mont-Blanc est délicieux, les bois ravissants. Table d'hôte à 7h ½.

Mercredi 16 août 1893

Lever à 4h ½. Déjeuner. Départ à 6h de Chamonix dans la grande voiture de Genève, 6 chevaux ! On nous a séparés : Loulou et moi sur une banquette, Benjamin et Gabrielle sur une autre, c'est contrariant. Je préfère de beaucoup ces voitures dont le dessus est couvert et qui sont très élevées, au landau. Il fait froid. On désire le soleil dont les rayons sont plus loin dans la vallée. Belle route ! La même pendant une heure jusqu'au Fayet ; là, changement de voiture, une toujours excellente mais moins élevée, pour Albertville. La route monte en revenant sur elle-même jusqu'au village de Saint-Gervais, Sallanches toujours en vue dans le fond. Un vieux monsieur de Saint-Gervais monte à côté du monsieur lyonnais connaissant tout ce pays et beaucoup d'autres comme sa poche. Il sait le nom de tous les villages, de toutes les montagnes et de tout ! Vue splendide sur le Mont-Blanc avant et après Mégève, très élevé. La route suit l'Arly dont les gorges se resserrent à Flumet. Vue sur l'Arly de la galerie de l'hôtel, horrible. Mais il y a l'hôtel du Mont-Blanc que notre monsieur universel nous recommande, route toujours plus pittoresque et descendant jusqu'aux fontaines d'Ugine. Là notre illustre voyageur nous quitte, il va déjeuner et prendre la route d'Annecy, plus jolie paraît-il, que celle d'Albertville. Déjeuner à 1h au restaurant à côté de la gare. Nous ne faisons que mordre et avaler. Départ par le chemin de fer pour Saint-Pierre d'Albigny, là changement de train pour Montmélian. Arrêt forcé de 2h. Chaleur atroce, nous ne savons plus que devenir ! A 5h, départ pour Grenoble où nous arrivons à 7h. Ville toute pavoisée à cause d'un concours musical ayant eu lieu la veille. Hôtel horrible, il faut aller au Grand Hôtel. Chambre au 3ème horrible, service lent à table. Comme éclairage, deux candélabres, il me faut gagner le numéro 100 avec l'un d'eux à la main à la stupéfaction d'un monsieur qui me rencontre. Chaleur torride. Couchons la fenêtre ouverte.

Jeudi 17 août 1893

Lever à 3h ½. Départ de Grenoble à 4h 45 matin. Route intéressante jusqu'à Vif. Pas trop chaud jusqu'à Lure la Croix puis quelle chaleur ! Déjeuner acheté à Veynes, dîner pris à Pertuis, café à Ars, bock à Gardanne. Arrivée à Saint-Antoine à 2h46, on est en gare ! …

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