Séjour à la Badiane du 13 Août au 11 Septembre 1898  par Léonie Fine
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Cartes : Voyage - Environs

1898 - Carnet n°8 rédigé par Léonie Fine relatant un séjour à La Badiane (Jura) avec les Alfred


Du 13 août au 11 septembre 1898
Benjamin Salles (50 ans), Léonie Fine-Salles (45 ans) et leurs 5 filles :
Gabrielle 16 ans, Loulou 14 ans, Claire 13 ans, Adèle 11 ans, Béatrix 9 ans
Cf. Généalogie Salles
avec Alfred Fine (49 ans, frère de Léonie), sa femme Clotilde Ferrari-Fine et leurs 7 enfants :
Isabelle 17 ans, Charles 16 ans, Madeleine 12 ans, M-Clotilde 9 ans, Ginette 7 ans, Alfred 4 ans, Juliette 1 an.
Cf. Généalogie Fine
et quatre domestiques (Linda, Marie, Eugénie, Julienne).

photo1900
Benjamin et Léonie vers 1900

Samedi 13 Août 1898  Marseille / Orange / Lyon  [Voyage]

         Journée de fatigues jusqu'à 5 h où nos belles-sœurs, nièces et neveux viennent passer quelques heures avec nous. Dîner le soir tous ensemble, les Alfred et nous. A 10 h ¼ nous quittons Saint Antoine par un temps splendide, nous 16, 4 domestiques et 18 colis. A 11 h ¼, partons très bien installés dans trois compartiments à couloir, les places sont désignées pour la nuit. Dans l'un Alfred, Clotilde, leurs quatre derniers enfants et Linda ; dans le second, Benjamin, Charles, Loulou, Adèle et Béatrix ; dans le 3ème, Isabelle, Gabrielle, Claire, Madeleine et les trois domestiques (Marie, Eugénie et Julienne).
Les plus jeunes dorment bien, d'autres pas du tout ; beaucoup très bien à partir d'Orange. Notre nombre faisant peur, nous serons seuls jusqu'à La Plaine.

Dimanche 14 Août 1898  Lyon / Ambérieu / La Plaine / La Badiane  [Voyage]

           A Lyon à 7 h. Edouard est en gare ; c'est une agréable surprise ; déjeûnons avec lui au buffet ; il nous fait promener sur les quais du Rhône, revenons sur la Saône par une mouche. En gare affluence extraordinaire. Partons à 10 h ; Edouard nous met au wagon. Quelle chaleur ! nous ne l'oublierons jamais ! Mangeons notre déjeûner acheté à Nyon, poulets excellents . Je me suis aperçue, en voulant payer, que je n'avais plus ma bourse ; elle a du m'être subtilisée en gare de Lyon ! A Ambérieu changement de train, les compartiments ne sont plus à couloir. La chaleur est accablante jusqu'à La Plaine où nous arrivons à 4 h ½. Mme Domenjoz nous fait monter dans les voitures de son mari et de son fils. Passons entre des arbres fruitiers et des prairies ; en ¾ d'heure sommes rendus. La Badiane est un riant cottage, la terrasse est petite mais bien peignée, avec une vue étendue sur la vallée du Rhône. Goûter copieux servi sur la terrasse. Installation le soir même dans notre vaste logement, c'est éreintant, nous sommes à bout de forces !

Lundi 15 Août 1898   La Badiane   [Carte Environs]

          Grand'messe à 9 h ½, c'est dur en restant à jeun. Il fait très chaud ! Cependant l'appétit est excellent ! La terrasse, chaude le matin à cause du soleil levant auquel elle est exposée. A 2 h aux vêpres, les papas et les mamans seulement. Une petite ascension sur le plateau à 2 minutes de l'église nous permet de faire connaissance avec Mr Imbert, ancien maire, ancien sapeur ayant fait la campagne de 49 à Rome et celle de Crimée ; il a encore une superbe barbe blanche et ... 76 ans sur le dos ! Il a servi en Afrique sous Bugeaud !
          Nous apercevons l'extrémité du Mont Blanc. A l'horizon, le lac de Genève se devine. Visite au jeune curé, il parait aimer les ascensions, puis aux Sœurs de St Joseph du Bourg ; leur couvent dans une très jolie position, avec vue surplombante sur la vallée du Rhône, le fleuve serpente dans le fond ; découvert sur Genève, la vue est plus belle qu'à La Badiane ! Nous nous entendons pour le piano, le blanchissage ; nous voyons sœur Constantin, la cuisinière, vrai cordon bleu parait-il ; deux des sœurs me mènent chez Mme Clément pour des canards. Quelle sale maison ! Les sœurs me raccompagnent jusqu'à la Badiane où m'avaient précédée Alfred, Benjamin et Clotilde. Descendons nous étendre au bas de la prairie, à l'ombre des noyers, c'est frais ! La propriété, très petite, est jolie de ce côté, des haies, de la mousse, de l'ombrage, de la verdure. Avec Alfred, Benjamin et des enfants, un tour sur la route de St Jean ; retour par un autre chemin. C'est riant du côté du Jura. Soirée magnifique ! Deux feux sur le Salève.

Mardi 16 Août 1898      [Carte Environs]

          Vu la chaleur torride, restons tous dans la maison excepté Alfred qui, perché sur un des platanes, taille toutes les branches qui bornent la vue de sa chambre. Après le dîner, organisons les journées de grandes et de demi-excursions. Visite à Mr le curé. A 5 h ½, promanade de 2 h ¼ avec les enfants au bois de Ban. Clairette reprend des forces. Elle devient d'une activité extrême, le matin, elle et Madeleine font leur lit, balayent leur chambre, elles ont ensuite lavé des robes et des tabliers, ont fait je ne sais combien d'achats chez Mélanie, c'est un bonheur !

Mercredi 17 Août 1898       Dardagny       [Carte Environs]    [Carte]

          A 7 h départ à pied pour Dardagny, village à 50 mn ; très chaud en allant, heureusement que le déjeûner sur la terrasse du restaurant est charmant. Des capucines et des vignes grimpent sur les bords de la terrasse ; adossés contre la maison nous jouissons de la fraîcheur et dévorons un copieux déjeûner ! Au retour la chaleur nous accable ! nous nous promettons de ne plus recommences ces promenades matinales. Le logement est frais heureusement, car, depuis notre arrivée, nous ne pouvons sortir. A 5 h départ pour La Plaine, les méandres du Rhône délicieux ! réellement il y a des points de vue ravissants ! Allons chez nos fournisseurs, tous charmants. Il y a la douane suisse à La Plaine, on fait des misères à un voiturier pour un collier de cheval qui parait louche. La montée de ¾ d'heure est fatigante malgré l'heure avancée. Au retour le règlement est de s'asseoir sur la terrasse et l'on récite le chapelet (Coup de maillet donné à Béatrix sous l'œil).

Jeudi 18 Août 1898       La Badiane / Saint-Jean-de-Gonville / La Badiane       [Carte Environs]    [Carte]

          Messse à 7 h ½ à cause d'un service pour les morts. La chaleur étant toujours accablante, nous restons dans la maison où chacun prend ses habitudes. Benjamin lit ou pompe ; Alfred plante des clous ou fait des itinéraires ; Clotilde allaite, monte, descend, donne des conseils culinaires à Marie qui se désespère ; pour mon compte, j'écris, je lis et je travaille. Isabelle s'occupe de sa correspondance et dirige celle des autres ; Gaby s'occupe de son dessert ; Charles flâne ; Loulou lit à outrance ou écrit tout un jour, gardant entre temps Juliette qu'elle aime passionnement ; Claire et Madeleine font nos commissions au village, lavent, cuisinent puis jouent avec les petits. Cette vie animée et joyeuse est charmante ! Pendant le dîner, Eugénie reçoit une lettre d'Eléonore qui parait contente ; ma bourse était restée au fond de ma poche à la campagne. A 4 h ½, les papas et les mamans partent pour St Jean-de-Gonville au pied du Jura, dans une jolie position ; en montant au-dessus du village, vue sur le Mont Blanc ! Nous reviendrons à St Jean si riant avec ses prairies et ses grands arbres. Dans le futur chemin de fer à Gex, il y aura une station à Saint Jean ; repartons par la route de Dardagny, moins jolie et plus longue. Ce bas du Jura est ravissant ! Ne sommes de retour qu'à 8 h, Clotilde et moi éreintées ! Pendant le souper, cris et rires fous à cause d'une chauve-souris, ayant tous nos serviettes sur la tête, c'est une chasse effrénée ! Les soirées sont si belles qu'on les passe volontiers dehors.

Vendredi 19 Août 1898       La Badiane / Péron / La Badiane       [Carte Environs]    [Carte]

          Plus chaud que jamais, 30 degrés ! et dire que nous sommes venus à Challex pour chercher la fraîcheur ! Le soir à 5 h, départ pour Péron, très joli sentier au milieu de prairies entourées d'arbres. Décidément le bas du Jura est ravissant ; au dessus de Péron, bois magnifiques ! Au retour nous nous égarons, traversons des prairies à perte de vue ! Heureusement que nos quatre grands chantent à tue-tête, trompant la longueur du chemin.

Samedi 20 Août 1898       La Badiane / La Plaine / Genève / Saint Cergues / La Plaine / La Badiane       [Carte]

          Départ à 5 h du matin pour Saint Cergues ! Sommes réunis sur la terrasse avant le lever du soleil, aussi la descente à La Plaine est-elle délicieuse. Notre train de banlieu ayant du retard, nous appréhendons ce qui arrive, c'est le train de Nyon qui part sous notre nez à notre arrivée à Genève. Les uns prennent la chose philosophiquement, mais pas Clotilde, je ne l'ai jamais vue si courroucée, elle si patiente ! Elle s'en prend à tous les employés de la gare. Allons promener notre colère plus ou moins rentrée à la rue du Mont Blanc, et retournons à la gare prendre le train de 8 h. Villas bien gracieuses sur la route de Genève à Nyon. Trouvons notre break en gare de celle-ci. Avec une chaleur tropicale montons à St Cergues où nous arrivons à midi. Mr et Mme Auberson nous font un amical accueil. On a transformé toute notre habitation ! Un fumoir et billard est dans le rez-de-chaussée de la maison, on nous y a dressé notre table ; un garçon qui doit sortir d'une fruitière, à en juger par sa gaucherie, renverse les sauces sur la robe de Clotilde, sur les parquets, oublie ce qu'on lui demande à table ! Après dîner Mr Auberson nous mène à Monteret ; chaleur excessive pour l'aller et le retour ; de l'air à l'ombre sur la pelouse, mais la vue ne répond pas à mes désirs ! On voit le Mont Blanc, mais que de nuages ! ce n'est pas cette chaîne éclatante de blancheur sur le ciel bleu ! enfin, il faut se contenter de ce qu'on a, ça aurait pu être plus mal !
          Départ de St Cergues à 3 h ; sommes à 4 h en gare de Nyon. A Genève, disposons d'un peu de temps libre ; les uns courent aux bains du Rhône et s'y plongent avec délices, de là courent prendre des glaces ! D'autres vont faire leurs emplettes ! on se presse, on court dans toutes les directions ; puis on se retrouve en gare à l'heure indiquée.
           Sommes à La Plaine à 6 h où tout le sexe féminin s'entasse dans la voiture de Domenjoz ; ce qui n'empêche pas les enfants que nous rencontrons, de monter en grappe sur le siège et, partout où il y a un trou, à le remplir ! La chaleur est telle que nous respirons sur notre terrasse le soir, avant souper, jurant de ne plus la quitter tant que cette température sera si élevée.

Dimanche 21 Août 1898       La Badiane   [Carte Environs]

          Messe à 7 h dite par l'ami du curé. Correspondance et lecture. toujours chaud ! A midi apprenons la naissance de Lucie Lavielle ! Noélie très bien. Vers 5 h nos trois messieurs font un essai de promenade dans les bois et s'y perdent ! ne sachant rien faire sans nous ! Clotilde et moi menons les enfants dans une prairie ; Gaby dessine, d'autres lisent, jouent aux cartes, courent après les vaches ; petite promenade de 7 h ½ à 8 h. Nos messieurs étaient de retour depuis 7 h. Nous avons quelques essais pour rester dehors, il faisait parfois un peu d'air.

Lundi 22 Août 1898       (Logras)       [Carte Environs]

          Toujours chaleur accablante, 21 degrés ½ ; aussi occupations dans la maison : lessive, correspondance. A 10 h ½, les papas et les mamans jouent au boston (ndlr jeu de cartes) dans le salon de compagnie, il y fait relativement frais ! On erre dans le rez-de-chaussée jusqu'à 5 h. Qui lit dans la salle du lavoir, ou dans le bucher, chacun s'installe dans le coin où il croit trouver le moins de chaleur. Les papas, avec énergie, partent le soir pour Logras ; les mamans attendent la fraîcheur pour mener les enfants faire des achats chez la Mélanie, chez les sœurs ; puis halte dans une prairie ; Gaby, Charles et Loulou courent comme des malheureux ! Bonsoir au sapeur Imbert, il a été mordu à Rome jusqu'à l'os du pouce. Rentrons à 8 h ; soirée sur la terrasse ; il fait des éclairs ! peut-être sommes-nous exaucés ! Isa nous a fait faire une neuvaine dans la journée à la Vierge de la terrasse pour obtenir la pluie.

Mardi 23 Août 1898       La Badiane / Collonges-Fort l'Ecluse / Challex / La Badiane       [Carte]

          Temps couvert et relativement frais, 24° ! Aussi pour la première fois nous installons-nous dehors ! De 10 h ½ à midi sous le balcon, nous jouons au boston, pendant que les enfants travaillent, lisent ou s'amusent; il tombe quelques gouttes ! c'est charmant. Vu ce temps égréable, nous décidons à table de faire une excursion d'une ½ journée. Partons tous les 10 à 1 h pour prendre le train. Comme il fait chaud et que le ciel parait se dévoiler, nous prenons nos places pour Sans-Villard afin de gagner Collonges à pied et de là Challex. Arrêt à 10 mn de la gare dans une prairie avec vue superbe ! Nous sommes tout près de l'écluse. Là halte délicieuse, nous avons reçu 11 lettres, il faut en faire la lecture, ce qui est fort intéressant, si intéressant qu'une femme et son gamin de fils viennent se planter devant nous pour écouter les nouvelles ! Nous n'avons d'autre moyen de la faire partir que de faire tous semblant de dormir ! Lettres de la chère Mme de Bony, de Jane Pichard, etc. Collonges dans une très jolie position au pied du Grand Credo, presque à l'échancrure du fort de l'Ecluse ; aussi les habitants nous disent avoir un courant d'air continuel qui les préserve des épidémies ! Il est 4 h, le soleil se couche derrière le Grand Credo. Nous buvons chez la boulancère une eau délicieuse, puis allons goûter au bord de la route ; cette partie du Jura très boisée. A Farges, église fermée! Visitons le parc du château à vendre ! château si triste que personne ne le désire, excepté Charles qui l'accepterait si on le lui donnait ! Nous buvons une eau fort limpide à une fontaine. puis en marche, droit sur Challex que nous devons atteindre en 1 h ½ ; haltes toutes les demie-heures, c'est une chose réglée. A la première, écho contre le mur d'une maison, épuisons tout notre répertoire ! Un manœuvre travaillant au futur chemin de fer de Gex en est stupéfait !
          C'est très bien jusqu'à la forêt mais la nuit arrive, les chemins se croisent et nous nous égarons ! Pendant une heure ce sont des marches et des contre-marches dans tous les sens ! Au moment où nous croyons être sur la lisière du bois, nous nous trouvons être dans une clairière au beau milieu du bois. Nous regardons l'Ecluse quand nous croyons être dans la direction de Challex ; Benjamin perd son lorgnon. Le temps se couvre, de magnifiques éclairs illuminent de temps à autres nos chemins aux ornières si profondes que la crainte d'une entorse nous fait marcher avec une précaution extrême ! Enfin , à la fin des fins, Alfred reconnait un chemin pris hier avec Benjamin, nous sommes sauvés !
          Dans 40 mn nous serons à La Badiane. Claire, éreintée sur les routes, a des ailes depuis que que nous nous sommes égarés ! A 8 h ¼, nous arrivons, très décidés à nous coucher au dernier morceau ! Le temps est menaçant, tonnerres, éclairs ! Claire et Madeleine nous font tendre un couvre-lit devant leurs fenêtres pour n'être pas éblouies par les éclairs.

Mercredi 24 Août 1898       La Badiane / La Plaine / Genève / Bellevue / Genève / La Plaine / La Badiane      [Carte]

          Je me lève toute lasse de ma promenade d'hier, quand, par la fenêtre, on me dit qu'Alfred veut me parler de la sienne. Je parais et voilà qu'il m'annonce que, vu la fraîcheur et le temps couvert, il lui paraitrait fort opportun d'aller à Genève avec tous les enfants. Ce plan adopté, c'est un branle-bas général ; d'abord tous nous descendons en costume léger boire notre chocolat ou notre café au lait afin d'attendre 10 h. A ce moment-là tous à table, au salon comme à la cuisine ; on ne change ni assiettes, ni couverts ; ceux-ci et les verres resteront en place pour le soir. A 11 h, départ à pied pour La Plaine. A midi partons en chemin de fer ; temps couvert, c'est délicieux. En bateau à 2 h ; traversée charmante jusqu'à Bellevue et vice-versa. De 3 h à 5 h ½ achats fantaisistes après un copieux goûter. Chacun court, achète, furète, on se rejoint, on se sépare pour se retrouver à 5 h ½, tous en gare ! en wagon on se montre ses emplettes, on les étale !
A La Plaine fraîcheur charmante, il a plu. On s'entasse dans deux voitures, les messieurs seuls montent à pied. Eclairs dans la soirée. Nous revivons. Cette journée nous a tous reposés au lieu de nous fatiguer ; c'est la température qui est la cause de notre résurrection !

Jeudi 25 Août 1898       La Badiane / Chaney / Avully / La Plaine / La Badiane   [Carte Environs]

          Notre vie est charmante ! Maintenant qu'il fait frais nous nous insatallons sur la terrasse, on lit, on travaille, on cause, les grands se déguisent, Charles et Gaby font Lucien et Marguerite. Beuf ! A 4 h ½ partons à pied pour Chancy ; nous nous égarons comme toujours, ces bois nous font toujours tromper ! Passons le pont sur le Rhône bien plus loin que Chancy, joli point de vue. Chancy est suisse et protestant, très propre ! La route, laide jusqu'à Avully, bien situé ; château avec le parc coupé par le chemin avec vue plongeante sur le Rhône. Jolie route jusqu'à La Plaine. Là remontons en voiture tous, excepté Alfred qui remonte à pied.

Vendredi 26 Août 1898       La Badiane / La Plaine / Bellegarde (sur Valserine) / Nantua / La Badiane      [Carte]

          Temps couvert, partons à 8 h ½ pour La Plaine allant prendre le chemin de fer, nous allons à Nantua. Nous ne partons qu'avec nos quatre grands ; aussi laissons-nous à Claire et à Madeleine des occupations multiples pour les distraire dans la journée.
          A Bellegarde, arrêt d'une heure et demie, tandis que les messieurs vont admirer un pont, les arches de ce pont et la rivière passant sous ce pont avec un chaleureux et chaud enthousiasme vu l'ardeur du soleil ; nous, cherchant l'ombre, entrons dans une fabrique de bonbons excellents où nous faisons de bonnes affaires ! En gare, retrouvons les messieurs, pour arriver au quai du chemin de fer de Nantua. Trajet de 50 mn ; route pittoresque, longeons le joli petit lac de Sylans, puis des bois où les sapins apparaissent de plus en plus serrés aux approches de Nantua. La ville dans un joli site. L'église ancienne a la forme évasée d'une anse de panier à sa voute ; elle est chauffée l'hiver por trois poêles dont un aux proportions gigantesques. C'est que Nantua doit être très froid, resserré entre ces hautes montagnes où le soleil passe rapidement ; c'est cette température qui explique les forêts de sapins à une altitude si peu élevée, 479 m.
Déjeûner à l'hôtel de France, très bon et très propre ; salle à manger animée ; le garçon, jeune et blond, excite l'hilarité de la jeunesse par sa dextérité ; les écrevisses à la Nantua exquises. Faisons le tour du lac à pied par une route intéressante en 2 h ¼. La Cluse et Port, deux villages à l'extrémité du lac. Dans le premier, beaucoup de métiers pour tisser les étoffes ou dévidoirs de soie. Joli château moderne avec parc magnifique sur les bords du lac, entre les deux villages. Sous nos yeux, deux accidents sur la route : deux voitures s'accrochent, le cheval d'une voiture occupée par deux messieurs se courone.
          Alfred nous lit l'article du suicide du nouveau marié de Sarrente, accusé d'avoir précipité sa femme à la mer pendant son voyage de noces, tous assis aux bords du lac. Le chemin de fer de Bourg passe à côté de la route. ce tour du lac eût été charmant en voiture, il est fatigant à pied. En ville je vais faire l'achat d'un parapluie, on fait qualques emplettes ; goûter puis à l'hôtel pour prendre ses effets. Clotilde, enthousiasmée avec raison du site, demande le prix d'une pension à l'hôtel, on lui parle de 6 fr 50, peut-être 7. Ma marchande de parapluies me parle de Mme Vve Coletta, rue du Collège, qui loge à Nantua bien des familles ayant leur domesticité et leur cuisine. Il fait frais. Retour charmant ; vers 6 h la nuit vient. Excellente impression laissée par Nantua. Changement de train à Bellegarde ; prenons la voiture de Domenjoz pour remonter chez nous. Je suis éreintée. Les enfants se sont amusées, elles nous apprennent qu'il y a la fièvre typhoïde à Challex dans une maison du bas du village ; c'est ennuyeux !

Samedi 27 Août 1898       La Badiane Russin Dardagny   [Carte Environs]

          Journée de repos après quatre jours de marche ou d'excursions, c'était nécessaire ! On vaque aux soins du ménage, lessive à repriser, à renfermer, longue correspondance. Le temps est beau, chaud, nous faisons bien de ne pas bouger. Que nous sommes bien sur la terrasse ! nous y lisons avec plaisir !!! Enfin le facteur nous apporte un nombreux courrier ! Les Coirard viendront demain. Nos messieurs, marcheurs infatigables, partent à 4 h pour La Plaine, Russin et Dardagny. Nous préférons rester sur la terrasse ; plus tard nous allons chez la Mélanie, chez les Sœurs, charmantes, puis sur le plateau, nous nous asseyons. Il y vite frais, obligés de revenir, courants d'air chaud et frais selon les endroits. Chapelet sur la terrasse au clair de lune avant souper, l'air est sec à La Badiane. Nous avons télégraphié aux Coirard de venir à la messe de Challex.

Dimanche 28 Août 1898       La Badiane   [Carte Environs]

          Alfred et Benjamin vont à la gare à La Plaine, attendre Paul, Isabelle et Louis Coirard. Ils arrivent à 9 h ; causons sur la terrasse avec animation. A la grand'messe à 9 h ½, tous ensemble. En sortant de l'église, faisons un tour sur le plateau pour que les Coirard puissent se rendre compte de la position de Challex. A La Badiane, sur la terrasse, continuation de la narration du voyage des Coirard. Déjeûner animé ; café au salon, puis visite intéressante de la maison. On s'assied sur le balcon à cause de quelques gouttes de pluie ; elle devient si forte que les Coirard qui ne devaient partir qu'à 7 h, s'en vont à 4 ! C'est prudent, il pleut beaucoup et le ciel est gris uniforme ! Hélàs ! Regrets !
          Une heure après, le cel s'éclaircit, le soleil parait et nos marcheurs partent pour la promenade. Greny est le point désigné. Je m'installe sur le balcon pour écrire des lettres, jamais la magnifique vallée du Rhône ne m'a paru si belle ! Le vert des prairies et des forêts parait velouté, le ciel devient bleu, rouge, puis gris, noir, la pluie recommence ; les promeneurs reviennent, il fait très frais. On s'installe dans le rez-de-chaussée; Clotilde joue du piano, chante ; nous lisons, les enfants jouent, rient ! c'est la délicieuse vie de famille avec tous ses charmes ! Le tambour s'est fait entendre ce soir comme dans toutes les occasions solennelles ; celui qui parcourait le village en battant son rataplan avertissait les habitants de Challex de renfermer leurs volailles qui picoraient les raisins. Voilà les grandes nouvelles de Challex !

Lundi 29 Août 1898       La Plaine / Genève / St Julien (en-Genevois, France) / Bellegarde (sur-Valserine) / La Plaine    [Carte]

          Malgré le ciel si sombre hier soir, ce matin soleil radieux ! Aussi du balcon de Loulou j'appelle Alfred qui se lève dans sa chambre pour savoir notre sort pour la journée ; il décide d'aller à St Julien ; aussi, comme il faut déjeûner à 11 h, descendons tous en costume léger, avaler notre 1er déjeûner au saut du lit, ce qui forme un tableau assez bizarre ! Temps splendide, mais air vif sur la terrasse. Regrettons, vu le temps si net, de n'avoir pas pris notre direction sur le Salève.
Partons 10 pour La Plaine et de là à Genève, où nous faisons quelques achats. Prenons à 3 h ¼ le tramway à vapeur pour St Julien. Quelle petite sous-préfecture ! Grande comme un petit mouchoir de poche ! l'église délicieuse ; neuve, toute peinte, elle est coquette et jolie ! la préfecture au milieu d'un beau jardin ; goûter dans une microscopique boulangerie que nous envahissons ; promenade jolie, ombragée, d'où nous voyons Genève, le lac, le Jura, mais surtout le Salève ! Nous voyons deux bicyclistes, nous supposons que c'est le sous-préfet et sa femme ! Tandis qu'Alfred, Clotilde et Madeleine vont faire un tour, Loulou nous prend en photographie contre le talus. Repartons par la gare du chemin de fer, ligne d'Evian à Bellegarde. Cette visite très intéressante en face du Fort de l'Ecluse ! A Bellegarde, une heure à passer chez le fabriquant de bonbons tandis que Alfred, et Gaby vont chercher la Perte du Rhône. Nous sommes chargés comme des baudets avec toutes nos boîtes, aussi faut-il les dissimuler à la douane suisse en arrivant à La Plaine. Un immense douanier est justement là, en face de nous ! Les messieurs remontent à pied, nous en voiture !
          La dépêche qui m'a fait passer une si mauvaise après-midi, était ouverte, elle est de Coralie(1) nous annonçant son arrivée pour Jeudi 3 h ; trouvons en même temps une carte postale de Thérèse(2), installée à Lausanne, et nous annonçant leur visite pour Jeudi. Ils seront obligés de coucher à Genève.
(1) Coralie Salles, sœur de Benjamin (agée de 47 ans) Cf. Généalogie Salles
(2) Thérèse Estrangin (agée de 29 ans), nièce de Léonie, épouse de Jean Estrangin Cf.Généalogie Fine

Mardi 30 Août 1898       La Plaine / Genève / Veyrier / Treize Arbres / Genève / Cartigny / La Plaine    [Carte]

          Déjeûnons encore en costume léger à 7 h ½, parce qu'à 10 h a lieu le second, déjeûnons parce que nous partons à 11 h pour le Salève ; il y a bien quelques nuages mais le temps est clair ; d'ailleurs nous apercevons le Mont Blanc dans le trajet à Genève et nous décidons qu'il est suffisamment clair pour monter au Salève ! De la gare de Genève courons au tramway qui nous mène à la place Molard, de là à pied, en courant, au Cours de Rive où nous prenons le chemin de fer de Veyrier. Jolies villas le long de la route.

          A Veyrier, prenons le chemin de fer à crémaillère. Montée rès raide entre le Petit et le Grand Salève, passe la route ; arrivons aux Treize Arbres à 2 h. Belle vue sur les Alpes malgré quelques légers nuages. Les Voirons, le Mole, semblent tout près de nous. Vue très plongeante sur Genève et le lac ainsi que sur la vallée de Bonneville. Les jeunes gens prennent des photographies. Goûter sur la terrasse des Treize Arbres.
           A 3 h repartons par cet incroyable et intéressant chemin de fer. Conversation très intéressante avec une demoiselle de Genève d'un certain âge qui venait de passer 8 jours au Salève et une jeune dame institutrice ; cette conversation nous captive tous ! elle continue de Veyrier à Genève. Dans ce village tois jeunes filles, élèves de l'institutrice, viennent lui souhaiter le bonjour. L'institutrice met des chaussettes à son fils parce que le bon Dieu raccomode plus facilement les genoux qu'elle les bas. Courons du Cours de Rive au quai de la Poste où nous prenons le tramway de Chancy. Route délicieuse, dame charmante me donnant des renseignements sur la route. Descendons à Cartigny où un monsieur nous accompagne dans la direction voulue pour decendre à La Plaine. Magnifiques ombrages à Cartigny ! Un magnifique clair de lune nous éclaire ; passons sur un viaduc et arrivons à La Plaine où les dames prennent la voiture de Demenjoz ! Les enfants ont été à Péron et sont enchantés !

Mercredi 31 Août 1898       (Pougny)   [Carte Environs]

          Journée délicieuse à La Badiane. Le temps est superbe, assez chaud, la terrasse a des charmes incomparables ! on s'isole si on veut lire dans l'allée de la balançoire, au haut ou au bas de la prairie. Nos messieurs vont voir le curé qui leur apprend que Mgr Depery grand'oncle des Dlles Huguenot est à La Badiane dans la chambre de l'évêque et plusieurs autres choses intéressantes. Après une partie de Boston au salon de compagnie, nous nous installons dans le haut de la prairie où nous sommes admirablement. Alfred et Benjamin voulant aller à Pougny, nous les accompagnons jusqu'au bois sur la lisière duquel nous nous asseyons ; Isabelle nous lit le fond et la forme ; pendant ce temps, les enfants cueillent des noisettes. Le vent s'élève, si violent qu'il nous faut chercher un abri sur la pente d'une prairie. Elle devient le théâtre d'une glissade générale. Qui veut remonter dégringole, on veut sauver celle qui est dans le bas, on y glisse soi-même ! Ce sont des rires fous ! Nous croyons ne plus pouvoir sortir de cet abîme peu profond.
           Tandis qu'on revient avec Claire, allons chez la Mélanie et chez les Sœurs. La gentille sœur Alix est partie pour faire sa retraite, c'est fâcheux, c'était la plus gentille ! La sœur Constantin me fait voir les petites chambres de mes belles-sœurs. Au retour sur la terrase, le vent a cessé, le clair de lune est splendide, les enfants jouent à cache-cache ! Les messieurs reviennent peu satisfaits de Pougny.

Jeudi 1er Septembre 1898       La Badiane   [Carte Environs]

          Ce matin, Alfred, Charles et Loulou vont attendre à La Plaine Jean et Thérèse arrivant de Genève. Ils nous racontent leur voyage à Solesmes et à Paris ; nous parlons beaucoup de Mimy et de Jeanne. Mais ce qui nous fait une peine extrême, c'est l'état de Mme Estrangin ; samedi on doit l'opérer ; c'est le docteur Bourget qui la voit ; il parait que l'estomac ne communique plus avec l'intestin, on va refaire une communication entre les deux ! pauvre dame ! comme nous sommes peu de chose ! nous leur faisons visiter la maison puis causons sur la terrasse jusqu'au dîner. Jean pas très bien, il a encore de ces accès de fièvre.
          A 2 h Benjamin et moi les raccompagnons en voiture, ils repartent pour Genève et Lausanne par le train qui amène mes belles-sœurs, Emilie et Coralie, accompagnées de leur femme de chambre, Maria Colonna ! Nous refaisons à mes belles-sœurs les honneurs de La Badiane après un court arrêt chez les Sœurs où elles ont pris possession de leurs chambres. Nous terminons la journée par une promenade sur le plateau et un arrêt motivé à l'église. Mes belles-sœurs s'arrêtent au couvent nous rentrons chez nous. Temps frais.

Vendredi 2 Septembre 1898      Pour Benjamin, Alfred, Charles : La Plaine-Satigny-Thoiry-St Jean de Gonville et
Pour Léonie, Emilie, Coralie, Isabelle, Claire : La Plaine-Avully-Chancy-Collonges-Farges-Logras-Péron-St Jean    [Carte]

          Messe à 7 h seulement à cause du 1er vendredi du mois, aussi y allons-nous. Lessive, occupation peu poétique. Vers les 11 h, mes belles-sœurs nous rejoignent sur la terrasse. A dîner, recevons le courrier, nous apprenons la mort de Mr Gabriel Gautier ; quel malheur pour cette famille !
         Ces messieurs partent à 2 h pour La Plaine avec Charles, Gaby et Loulou ; ils vont prendre le train pour Satigny ; de là, ils iront par Thoiry à St Jean de Gonville. Nous, c'est-à-dire Emilie, Coralie, Isabelle, Claire et moi partons à 4 h en voiture ; nous partons par La Plaine, Avully, Chancy, Collonges, Farges, Logras, Péron et arrivons à St Jean-de-Gonville après 2 h ¾ d'une course charmante ; le Jura très vert dans le bas ; sévère de loin, il est riant de près ! Vue du Mont Blanc très clair ! A St Jean nos marcheurs viennent au devant de nous, les uns montent en voiture, les autres prennent leurs places pour la promenade. Clair de lune délicieux ; le thermomètre n'est qu'à 20°, c'est charmant pour la marche.

Samedi 3 Septembre 1898       La Badiane / Bellegarde / Chézery    [Carte]

         A 9 h ½, partons tous les 10 avec Emilie et Coralie, par le train pour Bellegarde ; y trouvons deux breaks nous attendant pour notre excursion à Chézery. Mettons 2 h ½ pour nous y rendre, en suivant la Valserine, traversant un ou deux villages ; dans l'un d'eux joli couvent de sœurs ayant hospice pour les vieillards, orphelinat pour la jeunesse. Chézery est bien placé dans un joli site, entouré de montagnes Après un copieux dîner fait à 1 h ½ à notre arrivée avec lièvre etc., car le gibier abonde, nous prenons chacun une direction différente pour une petite promenade. Avec Coralie et Madeleine, assises à l'ombre sur le versant de la montagne, jouissons d'un très joli point de vue, prairies entourées de grands arbres, bois ! Avec la lorgnette suivons Alfred et Benjamin se promenant sur la montagne en face de la nôtre, Clotilde errant dans le village, Loulou servant de cicerone à Emilie, Gaby et Charles longeant la Valserine, etc. Vers 4 heures, départ après une visite à la vieille et laide église possédant des reliques de Ste Rolande.
         Retour charmant en 2 heures ; route boisée, le soleil déjà bas, nous en jouissons beaucoup plus. Le cocher patron est très gentil, nos chevaux fort bons. Vers le dernier village avant Bellegarde, on nous fait voir la route de Collonges à 14 km, passant au dessus du fort de l'Ecluse ; comme elle doit être intéressante ! A 6 h à Bellegarde, allons sur la pont sur le Rhône où il n'a certainement pas plus d'un mètre de largeur. Sur des rochers nous avançons jusqu'à une chute fort belle ! Départ à 7 h ½. Retour charmant en voiture, au clair de lune pour remonter à Challex. Nous avons un bouquet de cyclamens offert par notre cocher. Les enfants ont fait des dégâts dans notre salon, cassé un fauteuil, il faut les gronder ! Aujourd'hui on a opéré Mme Estrangin.

Dimanche 4 Septembre 1898    Greny/St-Jean-de-Gonville/Fénières/Thoiry/Allemogne/St Genis-Pouilly/Greny    [Carte]

         Grande correspondance interrmpue par la grand'messeà 9 h ½. Emilie et Coralie s'installent sur la terrasse, dînent avec nous, viennent à vêpres à 2 h. A 4 heures, on forme quatre groupes ; Isa et Loulou n'iront pas plus loin qu'une prairie, elle veulent goûter du repos! Les trois petits vont avec leur bonne chez les Sœurs. Alfred, Clotilde, Benjamin, Charles, Gaby et Madeleine doivent aller à pied à Fenières, tandis qu'Emilie, Cora, Claire, Adèle, Béatrix, Marie-Clotilde et moi partons en voiture pour la plus jolie course qu'on puisse imaginer. Nous partons par Greny pour la jolie petite route au pied du Jura, traversant St Jean de Gonville, Fénières, Allemogne ; dans ces deux villages voyons des vaches dans l'eau à mi-jambes, on les fait boire ainsi dans de grands bassins. A Thoiry descendons devant l'Hôtel de Ville, lorgnons le Mont Blanc d'une pureté incomparable. L'Aiguille Verte visible jusqu'à la base est malheureusement dans la brume ainsi que la chaîne du Mont Blanc ! Quelle vue admirables si le temps était clair ! Allons jusqu'à Saint-Genis-Pouilly. Trois routes, l'une menant à Gex, l'autre à Genève, nous prenons la 3ème, celle de Collonges, en droite ligne pendant 30 kilomètres ! A Greny laissons la voiture aux promeneurs et revenons à pied, enchantés de notre tournée !

Lundi 5 Septembre 1898       La Badiane / Genève / Ouchy / Vevey / Genève / La Badiane    [Carte]

         Lever à 4 heures tous les huit. Nous allons prendre le train à 6 h pour Genève. C'est le jour où nous allons à Vevey. Le temps, très clair sur les Alpes, est si sombre sur le Grand Credo que nous partons tous avec ombrelles et parapluies. Laissons ceux-ci chez les Domenjoz. Quelques courses avant le départ de 8 h 15 à Genève. Brume très forte, ne voyons que la cote suisse. A Ouchy ni Jean, ni Thérèse. Qui sait si Mme Estrangin opérée avant-hier n'est plus souffrante ?
A Vevey à 11 h ½ ; déjeûner au restaurant d'Angleterre sous la véranda, faim canine ! Rires fous sur nos demandes de pain, nos provisions sur nos genoux, sous le bord de nos assiettes ! On nous prend pour des ogres ! les garçons sont stupéfaits ! Retour toujours en bateau à 1 h ½, le sommeil me tourmente après une nuit qui n'en est pas une, cependant étude de mœurs ! Anglaise avec son chien dans une corbeille, ses parapluies, son sac ! Touristes de toutes sortes. Isa est impayable, s'arrêtant net devant n'importe quelle personne dont le genre ou la toilette l'étonne et la considère de la tête aux pieds. Elle et Gaby prennent plusieurs passagers en photographie ! A Ouchy, toujours ni Jean ni Thérèse, c'est ennuyeux.
         A 4 h ¼ à Genève, courses folles ! Tandis que Clotilde va au Jardin Anglais faitre téter Juliette, je cours avec nos quatre grands au quai des Bergues, à la rue du Commerce. Là Charles vient m'apprendre que l'opération de Mme Estrangin a réussi ! Quel bonheur ! c'est la faiblesse qui est à craindre. Il s'agit de rejoindre Clotilde au Jardin Anglais avec des objets à lui faire choisir ; elle n'y est plus ! Au moment de nous désespérer, elle revient de la rue du Rhône. Allons vite faire nos derniers achats et goûter à la rue du Rhône. Tout se fait à la vapeur jusqu'à l'achat du S.C. pour Mr Reiber chez Mlle Jaquet. Trouvons en gare Emilie et Coralie entassées dans un misérable compartiment. Retour sous une avalanche de paquets ! les enfants nous rejoignent à mi-chemin. Il y a eu des tiraillements entre les enfants et les domestiques au sujet de choux à la crème faits par Claire et Madeleine. Bonheur de nous retrouver tranquillement assis sur la terrasse une heure avant souper ! Temps splendide, chaud et sec. Clair de lune après souper.

Mardi 6 Septembre 1898       La Badiane   [Carte Environs]

         La chaleur revient, 25 degrés au milieu du jour ; aussi correspondance et travail, la plupart du temps dans la maison ; Emilie et Coralie qui sont avec nous, font avec nos grandes un essai infructueux pour se confesser, le curé a dîné dehors. La Domenjoz vient dans le petit salon pour les dernières commissions, elle nous apprend qu'elle a eu la même nourrice que son mari. A 5 h ½ descendons à travers bois et prairies sur un point élevé au dessus du Rhône. Ce poste avancé est délicieux ! Nous nous y installons ! Que la vue est belle ! des vaches paissent dans des prairies ! comme cette vie champêtre est agréable ! au retour, grand bal ! avec accompagnement de piano, tous les enfants dansent valses et polkas depuis Isa jusqu'à Juliette ! c'est une frénésie !

Mercredi 7 Septembre 1898       La Badiane / Genève / Ferney / Gex / Col de la Faucille / Genève / La Badiane    [Carte]

         Départ à 8 h de La Plaine nous dix avec Emilie et Coralie. C'est l'excursion de la famille qui nous fait aller à Genève.
En gare trouvons notre car alpin, en route à 8 h ½. La route en quittant la ville, passe entre de belles propriétés, ce ne sont plus les petites villas comme du côté de Veyrier. A Ferney, statue du sceptique de XVIIIème, il est courbé bien que debout, en solliciteur comme il a été toute sa vie. Il fait bon voir dans le village la cornette des Sœurs de St Vincent de Paul et la jolie église qui s'y élève pour racheter les souillures de cet impie ! Jusqu'à Gex, la route offre peu d'intérêt ; cette petite sous-préfecture sur les pentes du Jura a une église à cinq nefs, une coquette sous-préfecture et un couvent si bien posé que Coralie compte s'y retirer dans ses vieux jours ! De Gex au col la route s'élève au milieu des forêts de sapins, à droite et à gauche de pelouses, mais toujours dégagée de sorte qu'on y jouit d'une vue incomparable !

         Le Mont Blanc apparait, mais toujours avec des nuages dérobant la chaîne des glaciers qui l'environnent ! C'est fâcheux ! Alfred et Clotilde eussent tant joui ! Nous n'arrivons qu'à 1 h, après une course de 4 h ½ ; nous plaignons nos trois chevaux qui soufflent de façon à nous rappeler Julie, la femme de chambre de mes belles- sœurs . Petite promenade en attendant le déjeûner ; nous mourons de faim et ne sommes cependant à table qu'à 2 h moins ¼. On nous installe, vu le nombre des voyageurs, dans une immense salle basse où nous avons beaucoup plus frais ! Chacun croque son pain à belles dents avec de minuscules tranches de melon ! Nous retrouvons là une jeune femme de Challex, toute dévouée aux Huguenots !
          Après le repas, faisons un tour sur la route de St Claude, sur celles faites par le maître d'hôtel. 4 h ½ est vite là, il faut quand même monter dans son cabinet d'artiste ; en fait de peinture, gravure, il diminue des portraits et les grave sur des têtes de clous où nous les voyons très bien à la loupe. Hélàs le Mont Blanc est bien brumeux, on le devine plutôt qu'on ne le voit ! Quittons à regrets les splendeurs de la Faucille. La position de la pension : Le Pailly (châlet Cherrer, col de la Faucille, par Gex, Ain) nous plait bien davantage, bien que située à 200 ou 300 mètres plus bas, elle est au milieu des pelouses et des bouquets de sapins, en face du Mont Blanc, avec une vue superbe.
          A Genève à 7 heures, 2 h ½ depuis la Faucille. Laissons Emilie, Coralie et Benjamin à la rue du Mt Blanc ; tous les autres toujours en car alpin, à la place Molard où nous allons goûter. Vite une heure d'achats à la rue du Rhône et aux alentours. Les magasins sont bien plus jolis tous éclairés ! les concerts devant tous les cafés ! ce sont de petits orchestres en plein air qui sont fort attrayants. A 8 h ½ en gare. Domenjoz nous attend à La Plaine. A table à 9 h ½. On ne se couche pas avant 11 h. C'est sans contredit la plus belle excursion de notre séjour à la Badiane ! Il fait chaud mais nous avons eu de l'air.

Jeudi 8 Septembre 1898       La Badiane Péron   [Carte Environs]

         La messe devant être à l'heure ordinaire, on est sur pieds à 5 h ½ pour être à l'église à 6 h ¼ ; vu les confessions des fillettes et de beaucoup d'autres, la messe n'a lieu qu'à 7 h. Il fait si chaud (27 degrés) que l'on s'installe aux endroits les plus frais !J'aime bien lire la vie du cardinal Guibert à l'écart entre les deux haies. Emilie et Benjamin viennent lire à mes côtés, les enfants s'amusent, Alfred fait le plan de la maison sur la terrasse.
         A dîner nombreuses lettres, chacun jette furtivement un coud d'œil sur les épîtres désirées, mais la lecture n'a lieu qu'au petit salon après le café. La lessive nous occupe une partie de la journée, Mr le curé vient nous voir pendant que nous la raccomodons. Alfre, désireux de monter au pied du Jura jusqu'aux sapins, part avec Charles à 4 h. Benjamin, effrayé par la chaleur, va le rejoindre à Péron en partant à 5 h ½ avec Gabrielle et Madeleine. Nous autres allons chez la Mélanie, chez les Sœurs, puis, tandis que les enfants vont sur le plateau, nous allons à la sacristie constater le mauvais état de la chape blanche ; la sœur va chercher le curé et nous donnons la filière pour en avoir une du Sacré Cœur.
          Sur le plateau ont lieu les adieux avec Emilie et Coralie ; puis menons les enfants jusqu'à l'abreuvoir à côté du sentier de Péron, nous hélons nos marcheurs qui nous répondent dans le lointain. Alfred revient enchanté des pelouses, des pins et de la vue. Soirée sur la terrasse avant souper ; temps très sec. Tandis que tous les enfants, petits et grands, vont se coucher à la fin du souper, pour prendre cette nuit en sommeil ce qu'ils n'auront pas la suivante, Alfred, Cotilde, Benjamin et moi jouissons des charmes de notre soirée intime dans le petit salon !
         Tout à coup nous entendons le son d'une trompette stridente, puis une voix crie : Au feu ! Nous courons sur la route ! point de lueur d'aucun côté ! nous avançons, rien ! ces messieurs retournent fermer la maison afin de nous éloigner davantage. Nous rencontrons un homme qui finit par savoir que le feu est à Fénières, au pied du Jura. Nous montons sur le plateau, apercevons la clarté mais impossible de s'y rendre, la distance est trop grande ! Isa et Gaby ont entendu le cri, nous les rassurons au retour.

Vendredi 9 Septembre 1898       La Badiane

         Vu le nettotage en grand de la salle à manger, on a dressé sur la terrasse trois ou quatre petites tables et nous déjeûnons là ! C'est si joli que Gabrielle nous prend en photographie. Hélàs, la partie poétique est terminée et il faut se mettre à faire les malles, à ranger la maison ! l'ordre y était si parfait à notre arrivée ! Branle-bas l'après-midi pour l'expédition de nos 19 colis ! Mme Demenjoz, Mme Reiler, Mme Marot, chacune vient régler ses comptes et faire les plus gracieux adieux ! Vu le lever matinal de demain, on se couche de bonne heure.
         Vers 5 h adieux à la Marot toute contente des objets de toilette donnés à sa fille, à la Mélanie ; Mlle Marthe embrasse Claire et Madeleine et comble les enfants de bonbons ! aux bonnes sœurs qui nous accueillent chaleureusement. On fait venir les 16 orphelins, les plus petits débitent quelques vers, on est fort aimable pour nous ; la sœur Exupère et la sœur Constantin sont excellentes ; nos fillettes font parler les petits pensionnaires et on se quitte fort amies. Adieux à l'église, au bon Dieu qui a béni notre séjour à La Badiane ! Enfin là nous retrouvons Alfred et Benjamin qui reviennent du plateau et allons tous les 15 chez Mr le curé ; il est dans son jardin et c'est là, debout, que nous nous faisons de chaleureux adieux ! De retour à La Badiane, repas complet, tous nos bagages étant partis à 4 h, on se promène dans tous les coins de la terrasse, on veut tout revoir, dire adieu à tout ce qui nous entoure ! On contemple encore cette vallée du Rhône que l'on domine et l'on admire l'immensité du ciel !!....

Samedi 10 Septembre 1898       La Badiane / Bellegarde / Ambérieu / Lyon   [Voyage]

         Lever à 4 h du matin, excepté les jeunes enfants qui ne sortent de leur lit qu'une heure plus tard. Chacun fait diligence, on va, on vient, on frotte, on balaye et, à 6 h, nous voilà installés dans les deux voitures excepté les messieurs et les domestiques qui descendent à pied à La Plaine. Déjeûner en gare avec d'excellents petits pains de La Golay.
         Jusqu'à Bellegarde nous revoyons ce pays parcouru par nous en tous sens ! chemins, ponts, haies, tout nous rappelle une course ou une aventure. A Bellegarde, grande émotion ! Clotilde seule est appelée à ouvrir deux de ses malles et ous repartons. Trajet peu intéressant à mesure qu'on approche d'Ambérieu. Le déjeûner rapide en 20 mn et repartons avec une forte chaleur jusqu'à Lyon, où nous arrivons à midi 53. Immédiatement en tramway à l'hôtel Bellecour où Clotilde veut prendre une chambre pour Juliette ! naturellement elle la demande petite, ne comptant pas y séjourner, quand arrive Edourd escorté par Charles. Alors grand embarras ! il n'y a qu'un fauteuil et une chaise et nous sommes 18 ! nous expédions sur la place nos plus jeunes enfants, les autres se perchent sur le lit, s'asseyent sur le tapis ! Edouard est bien, mais si occupé qu'il nous laisse au bout d'une heure. Il nous apprend que le P. de Lanversin est recteur et maître des novices à Aix. Après son départ, la chaleur et la faim nous font arrêter au café-glacier pour prendre des glaces.
         Tandis que nos jeunes enfants se reposent sur la place Bellecour avec les domestiques, les messieurs vont au parc de la Tête d'Or, tandis que Clotilde et moi menons nos pensionnaires aux Anglais par le chemin de fer de la Ficelle jusqu'à Saint Just et de là, en voiture puis à pied. Mme de Bony nous accueille à bras ouverts, bien émues de part et d'autre. Visite de la maison ; hélàs bien vite, il faut se dire adieu. Retour avec arrêt à Fourvière où nous trouvons notre monde, grands et petits. Nous montons immédiatement au sommet de la tour ; hélàs il est trop tard, on ne distingue plus rien dans le lointain ! Voyons les Anglais. Redescendons rapidement afin d'admirer les splendeurs de la basilique; encore trop tard ! les mosaïques, les sculptures, rien ne ressort comme il le faudrait ! décidément le soleil est nécessaire dans les œuvres des hommes comme dans celles de Dieu.
         Revenons par les jardins de Mlle Jaricot (auj. jardin du Rosaire). A l'hôtel Bellecour, salle à manger très luxueuse, éclairée à l'électricité ! Mais malgré notre appétit d'enfer, attendons une heure notre dîner, assis autour de la table, si bien que Benjamin rentre dans une fureur bleue ! Enfin on sert à la satisfaction générale ! Soirée sur la place Bellecour à entendre un maigre concert ; mais excellents fauteuils dans lesquels on se permet un sommeil réparateur, voire même des rêves couleur de rose !
         A 10 h ½ nous nous acheminons vers la gare ; nous avons trois compartiments réservés ! mais il y a tant de monde que le souci de garder nos places nous empêche de chercher mes belles-sœurs qui ont du partir par le train de 11 h25, le nôtre part un quart d'heure après. Installation nocturne immédiate.

Dimanche 11 Septembre 1898       Lyon / Marseille / Saint-Antoine   [Voyage]

         Nuit réparatrice en général. On est content et satisfait. Un brin de toilette à partir de Rognac. Arrivons exactement , vers 7 h. Tandis que les jeunes enfants et les domestiques prennent immédiatement le tram pour St Antoine, allons nous réconforter au buffet de la gare par un bon déjeûner ! Les Alfred vont à la messe de 8 h à la Mission et nous chez nos belles- sœurs qui, avec Marthe Thiollière, venaient d'arriver de Lyon par le train de 11 h 25. Messe à 8 h à St Théodore, nous nous rejoignons en gare. Arrivée à St Antoine à 9 h ½. Albert et Xavier, excellents neveux, nous attendent là avec leur voiture. Reprenons possession de notre chère campagne dont les douceurs ne nous feront cependant pas perdre le souvenir de la délicieuse Badiane et des jours heureux que nous y avons coulés !

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