03-24 Juin 1913
Voyage à Paris, Jersey, Wight, Londres, Paris   par Léonie Fine
  
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Carte du voyage - L'année 1913 en France

     

1913 - Carnet n°16 rédigé par Léonie Fine relatant un voyage à Paris, Jersey, Wight et Londres



De g. à d. Adèle, Claire,
Béatrix et Louise

Du 03 au 24 Juin 1913
Benjamin Salles (agé de 65 ans), Léonie Fine-Salles (agée de 60 ans), et leur fille Béatrix (agée de 24 ans).
Cf. Généalogie Salles
Ils rendent visite à deux autres de leurs filles : Louise (Loulou), religieuse à Jersey, et Adèle, religieuse à Paris.

photo1900
Benjamin et Léonie en 1900


Mardi 3 Juin 1913     Marseille / Lyon

         Adieux dans ma chambre à mes neuf petits-enfants, puis brillante escorte jusqu'en gare de St Antoine où l'on accompagne Béatrix et moi. Nous partons pour Paris, Jersey, Wight et Londres. Au buffet de la gare, Benjamin nous rejoint ; excellent dîner pendant lequel Xavier vient nous souhaiter bon voyage. Trajet avec une vieille grosse dame anglaise et, d'Avignon à Lyon, en plus, avec un jeune ménage espagnol dont la dame se voile complètement. Temps couvert, il a beaucoup plu ; pas de chaleur.

Mercredi 4 Juin 1913     Lyon / Paris

           Achat d'un excellent déjeûner à Laroche. Trajet en 12 h. A 8 h sommes à Paris. Chez Corinne, pas de chambre libre jusqu'à ce soir pour Benjamin et moi ; elle nous installe dans la petite salle à manger. Allons faire quelques achats au Bon Marché ; Lilette et Corinne désolées, la dame qui devait nous céder sa chambre prolonge son séjour, pas de place, il faudra en chercher ailleurs. Déjeûner à côté de Corinne, puis à la rue Clapeyron, très joli hôtel mais sombre. Voyons Adèle, amaigrie, et Mlle Bethford. Elle nous donne Adèle de 2 à 4 h. L'emmenons au parc Monceau.
           Au retour, glaces au Bd des Batignolles, puis à la gare St Lazare pour nos billets circulaires ; au Terminus prix exhorbitant, 18 fr, pour une nuit au 5ème. Allons à l'hôtel de Londres et New-York. En taxi chez un libraire pour Loulou, puis Corinne nous installe dans son cabinet pour écrire. Il est bien regrettable de n'être pas chez elle , nous nous y sentions comme chez nous. Charmante causerie avec Lilette et Mme Henri dans le bureau de Corinne. Vu le dîner de gala donné dans la 2ème salle à manger, on est si nombreaux à table qu'on dresse une table de 4 couverts pour Lilette et nous trois dans le salon. C'est charmant, plein d'intimité et d'entrain. Une minute de causerie après dîner au 1er avec Lilette et Corinne, puis en taxi à notre hôtel ; nos chambres sont horribles, basses et petites.

Jeudi 5 Juin 1913     Paris

           Mauvaise nuit, chaude, nous étouffons ; lever matinal ; à la messe à la jolie église de laTrinité, rue St Lazare ; messe à l'autel de l'abside de la Vierge ; le jardin précédant le perron est gracieux. Affreux déjeûner sur la place dans un mauvais restaurant. A St Eustache, magnifique église gothique et renaissance. A St Germain l'Auxérois, plus petite et ancienne, le campanile d'où partit le signal du massacre de la St Barthélemy. A la rue Montesquieu, au meilleur bouillon Duval, très joli, nous y déjeûnons bien, mais à 4 fr par tête. A la rue Lafayette pour voir des chapeaux exécrables ! Droit chez Adèle, lui achetons un chapeau Bd des Batignolles. Délicieuse causerie au parc Monceau. Notre petite Adèle est toute calme. En auto tous les trois à Bagatelle. Exposition de peinture tournant au vert épinard ; cependant quelques jolis tableaux. Goûter horriblement cher, 50 c. le gateau. Parc délicieux, perspective charmante, les roses fort jolies, jardins enchanteurs.Fermons l'auto au retour, pluie.
           A dîner, à côté de Corinne, j'apprends que Mme du Rousset, la mère de Mme de Perceval, était une Mlle Berger. Rires fous après dîner ; Benjamin découvre qu'elle doit être la fameuse Félicie Berger qui faisait tourner toutes les têtes des collégiens. Lilette va la faire parler, c'est elle ! Aussitôt formons un cercle très animé avec les Diamanti et ces dames. Elle, Félicie, très amusante. Adieux aux chères Diamanti ; caramels de Corinne. En auto, par la belle place de la Concorde, à notre hôtel de Londres, place du Havre. Est-ce drôle la vie, on se retrouve...

Vendredi 6 Juin 1913     Paris / Caen / Carteret / Jersey        [Carte]

           Nous nous dématinons ; messe à 6 h à St Louis d'Autin qui est la chapelle du lycée Condorcet, rue du Havre. Partons par le train de 8h, gare St Lazare. Dînons au buffet restaurant. Seuls jusqu'à Caen. Pluie puis beau temps à Carteret. Y recevons l'illustre hôtesse. Ennui d'un monsieur accompagné d'un chien, lequel chien ne sera pas accepté à Jersey. Installation dans la véranda. une famille anglaise, trois amours de petits garçons blonds aux yeux bleus. promenade sur la jetée, la marée haute arrive, c'est mieux ; le vent est très violent.
           Sur le bateau à 6 h ¼ pour le départ. Tous les gens sont en seconde, serrés, entassés sur les bancs à l'avant. Nous sommes seuls avec le monsieur et la dame, un chien sur le pont des premières. A peine partis, la mer balaye le pont des secondes. Le commandant se retourne vers nous et nous dit : "on ne dira plus que les secondes sont aussi bonnes que les premières". L'eau coule comme un fleuve sur le 2ème pont ; quelques petits ruisseaux se forment sur le nôtre. Il fait frais, le ciel est menaçant ; arrivons à 8 h ¼. Nous nous précipitons dans un restaurant en face de la gare pour ne pas manquer le train de 9 h. Dîner au galop, excellents homards ! Chez Mme Huet avons la belle chambre.

Samedi 7 Juin 1913    Jersey        [Carte]

           Nuit excellente. Loulou nous écrit qu'elle nous attend à 9 h ½ ; y allons en landeau. Loulou est très bien, heureuse, expansive, enchantée de sa supérieure. Elle est gaie, ouverte, c'est un plaisir de la voir ainsi. Retour à midi, déjeûner avec un jeune homme allemand qui veut apprendre le français. A 3 h ½ retournons à Beaulieu ; ce matin pluie, ce soir temps vif. Promenons avec Loulou, Beaulieu idéal. Je suis très contente de Loulou à tous les points de vue. Après dîner je trouve Béatrix et le jeune allemand parlant anglais.

Dimanche 8 Juin 1913     Jersey        [Carte]

          Toujours ciel gris, froid. Messe à 7 h à St Thomas, Benjamin et Béatrix à 8 h. Aussi je les précède chez Loulou qui fait plaisir à voir. Elle est rayonnante de joie. Sa supérieure, Mme St Bernardin, qu'elle aime tant, et que nous voyons, me dit par deux fois que Loulou va très bien sous tous les rapports. Les photos intéressent Loulou ; elle nous parle de leur vie active.
A 2 h ½ je suis agenouillée sur la marche extérieure de la chapelle attendant la fin de l'office.
Après notre heure de visite, au chemin de fer de Corbière pour le train de 4 h. Vent impétueux et vif ; aussi commençons par nous restaurer dans un restaurant où nous nous promettons de revenir ; thé, tartines de beurre, vue idéale sur la mer. Comme la mer est basse, allons sur la digue resserrée entre la mer qui arrive du large et au milieu des immenses rochers rouges jusqu'au phare. Montons, voyons Sark et Guernesey. La mer est houleuse et ravissante, remontons la falaise, enchantés. Départ à 6 h ; vêpres à St Thomas à 7 h ; retrouvons notre allemand.

Lundi 9 Juin 1913     Jersey        [Carte]

Nous apprécions de plus en plus le voisinnage de St Thomas. Air toujours vif, recherchons le soleil pour nous rendre chez les Auxiliatrices malgré les manteaux d'hiver. Loulou toujours plus gaie et expansive. Arrivée de 7 voyageurs par le bateau de St Malo. Cet après-midi, je vois, en attendant Loulou, Mlle Noélie Lambert et la mère supérieure Bienheureux Bernardin. Elle me donne les meilleures nouvelles de Loulou au point de vue physique et moral. Après nos 4 h de visite, Benjamin va chez les Jésuites voir les Pères du Colombier Régis et Estrangin ; avec Béatrix, voyons Cécile de Verclos. Nous étions au bout de la grande allée quand sonne le salut ; Cécile nous a amusées, voulant être à la chapelle et ne pouvant courir, nous avons dévalé et rapidement.
           Retour avec Benjamin et Béatrix par le chemin du haut ; traversons la belle propriété du Gouverneur, beaux ombrages. Le soir, à dîner, retrouvons le frère directeur de l'école d'agriculture de Guernesey, toujours aussi pétillant. Ici ce sont les pommes de terre qui font la richesse de Jersey ; les chars pleins de barils remplis de pommes de terre passent constamment, allant vers le port et reviennent vides. A Guernesey, ce sont les tomates, les raisins, certaines espèces, et les fleurs, les narcisses et les œillets surtout. Aucun cep n'entre dans l'île à cause du phyloxéra qu'il pourrait introduire. Dans la soirée, petit garçon de l'école des frères ayant perdu son père subitement, on le raccompagne en France, il ne sait encore rien.

Mardi 10 Juin 1913     Jersey        [Carte]

           Toujours ciel gris, brumeux et froid. Lettre de Claire et d'Adèle ; celle-ci ne passe son examen que le 19 et Claire retarde son départ. Loulou toujours en retard pour venir au parloir, aussi je finirai par lire en entier l'opuscule du Père Félix sur les âmes du Purgatoire que je lis chaque fois en l'attendant. Lisons notre correspondance. Je jouis de notre Loulou pleinement. Ce soir allons goûter chez un confiseur, y prenons le thé. A l'orphelinat du S.C. achat de 5 manteaux tricotés. Y trouvons l'allemand pensionnaire Mme Huet. A dîner avec le frère de retour de Granville où il a laissé son petit garçon. A St Thomas, prière et chapelet à 8 h.

Mercredi 11 Juin 1913     Jersey        [Carte]

           Dernière journée avec Loulou. La supérieure vient le matin, elle nous donnera Loulou ce soir jusqu'à 6 h. Elle aime beaucoup Maty ; nous lui racontons la terreur de Cécile de Verclos en se voyant en ratard pour le salut. Béatrix part à 2 h pour voir Loulou seule ; avec Benjamin, courses, puis, avec nos deux filles, promenade dans la grande allée. Après le salut, denière causerie, toujours triste séparation.

Jeudi 12 Juin 1913     Jersey / Guernesey / Southampton / Ryde (Wight)        [Carte]

A 8 h, départ du bateau pour Southampton, il pleut, brume, la sirène se fait entendre ; malgré la grandeur du bateau et sa marche rapide, roulis. Béatrix est obligée de s'étendre, elle se couche sur son banc couvert, formant un peu cabine sur le pont. Lunch comique : un plat de viande avec six à huit plats de végétaux différents pour l'accompagner, l'entremet groseilles et flan, puis salade et tomates crues. Après dîner temps splendide.
           Ce matin, arrêt à Guernesey où nous revoyons l'embarquement des petits paniers de tomate glissant à fond de cale. Saluons Wight où sont nos trois bénédictines, avec bonheur, et l'Angleterre, sans enthousiasme. Que de navires de guerre et marchands possède la perfide Albion !
           A Southampton à 4 h ¼, douane pas méchante. A pied au bateau de plaisance pour Ryde à 6 h, il y a 20 mn de marche. Monde énorme, temps idéal. A 7 h arrivée à Ryde. J'aperçois Jeannette ; tramway puis petit omnibus pour nous rendre chez Miss Blake, nous y sommes très bien, chambre ravissante. Dîner avec Mme Boscq qui a une fille bénédictine, puis allons voir canoter les deux jeunes filles. Jeanne folle de joie.

Vendredi 13 Juin 1913     Wight        [Carte]

           Messe à 7 h chez les bénédictines avec Jeannette et Béatrix. Après déjeûner tous les 4 au parloir. Interrompu par la grand'messe, retournons les voir de 10 h à 11 h ½. Sommes tous les 4 seuls à dîner; Avec Benjamin seulement chez Mimi et Jeanne, nos jeunes filles sont parties par le bateau de 1 h ¼ pour aller chez Paulette. Faisons un tour à pied avec Benjamin pendant la fin des vêpres des bénédictines, puis nous les revoyons à 6 h ¼. Délicieuse course en landeau, Benjamin et moi. Parcs splendides, sites charmants, gracieux cottages, immenses prairies, ombrages magnifiques ; longeons la mer au départ. Les deux jeunes filles ont manqué le bateau de 5 h, elles n'arrivent qu'à 8 h. Mme Boscq essaye vainement de parler anglais. Rires fous.

Samedi 14 Juin 1913     Wight        [Carte]

           Aujourd'hui Béatrix et Jeanne restent à Ryde pour voir les bénédictines ; allons à Cowes voir Paulette. Partons à 9 h en bateau, ciel gris, il semble pleuvoir jusqu'à Cowes. Traversons la baie en deux minutes en bateau à vapeur et montons en voiture à l'abbaye. Dans le parloir minuscule à gauche, revoyons Paulette, cœur d'or, émue, affectueuse, reconnaissante. Déjeûner chez Mistress Winkinson, c'est loin, mais quelle île ! Toutes les avenues sablées ressemblent à des allées. Mr et Mme Lucq déjeunent pendant que j'écris à Loulou. Maison minuscule, salon minuscule, table minuscule, il semble que ces habitations soient pour des pygmées, tellement elles sont petites.
           Retournons chez Paulette, cette fois, la voyons au grand parloir, elle a vite les larmes aux yeux, petite Paulette, est-elle gentille ! Assistons aux vêpres. Madame l'Abbesse vient au parloir au moment où la sœur tourière nous portant le thé, a renversé le lait sur le parquet. J'ai vu l'améthyste de Marie d'Albert au doigt de l'abbesse, c'est superbe. Paulette a des ampoules aux mains, elle travaille aux foins, scie du bois. Retour par le bateau de cinq heures. Soleil, temps radieux. Les enfants reviennent de chez les bénédictines ; tous ensemble, allons à Ryde acheter du papier gris pour Paulette, des gants à Jeanne, chercher un coiffeur pour Benjamin. Retour par le bord de mer. On y voit jusqu'à 9 h du soir. Après souper, comme avant, grande séance devant le chapeau de Jeanne acheté le matin. Où faudra-t-il poser la rose ?

Dimanche 15 Juin 1913     Wight        [Carte]

           Déjeûner à 7 h et départ en auto pour Cowes. Nous revoyons Paulette qui nous donne la comédie avec son Irlandaise ne comprenant rien à ce que l'abbé fût à cheval sur la clôture et mille autres choses de ce genre. Nous laissons avec elle Béatrix et Jeannette qui passent la journée à Cowes et, en auto, avec Benjamin, à Quarry Abbey. Grand'messe, plus de 80 moines y assistent. Beaucoup de distractions par les pénitences des Pères qui se jettent à genoux séparément à toutes minutes. Un autre s'est agenouillé, à la fin, au milieu de l'église, y est resté longtemps. Una utre enfin n'a pas mis son capuchon sur le tête de tout le temps. Marie m'en donnera les explications.
           Retour en voiture. Déjeûner avec Mme Boscq ; retournons chez les bénédictines ; parlons spiritualité. Promenade tout autour de leur propriété extérieurement, arrêt sur un banc en face de la mer. Causerie encore une heure avec nos délicieuss moniales après le salut ; il parait que la 1ère abbesse voyait N.S. A 5 h arrivée de Béatrix et de Jeannette à pied de Cowes en 2 heures.

        

           Départ en auto tous les quatre. Route ravissante au milieu d'ombrages splendides. Tout d'un coup vue plongeante sur la mer, descente sur Sandown, baie ravissante, plage, puis Shanklin, toujours au bord de la mer. Enfin Ventnor, c'est la pleine mer de ce côté. Ravissant ce côté sud. Retour beaucoup moins joli par le centre de l'île ; notre auto monte ou descend des pentes très raides, car il y a des montagnes dans Wight ! De retour à 7 h ; Jeannette nous charme au piano. De notre chambre jolie vue de mer et Porsthmouth au fond.

Lundi 16 Juin 1913     Wight / Londres

           Vu les bénédictines de 8 à 9 h ; toujours plus charmantes, nous les affectionons vraiment du fond du cœur. Petite visite avec Béatrix du jardin de la villa à louer. Après la grand'messe, adieux à nos deux chères moniales. Fleurs de la tombe d'Amélie. En voiture, au train, au bateau pour Portsmouth ; il fait un temps splendide, 1er jour de chaleur ; une ½ heure de traversée. Dans le train à midi. Repas au restaurant. A 2 h ½ à Londres. Arrivée par la gare Waterloo ; en voiture, traversons la Tamise, à l'hôtel Charing Cross. Logés au 5ème dans deux chambres contigües. A pied à la National Gallery : tableaux de Greuze, de Raphaël, du Poussin, du Titien, du Tintoret, une Vierge de Sassoferrato admirable ! A une confiserie, café glacé et gateaux horribles. En auto à Hyde Park, jolis équipages et surtout cavaliers, amazones, enfants à cheval, c'est très joli. A St Paul en auto, tour dans la ville. Voyons des soldats écossais, pleins de cachet. Dîner réussi au restaurant de Charing Cross, nous y sommes très bien. Voyons des cabs. Coucher de bonne heure.

Mardi 17 Juin 1913     Londres

           Petit déjeûner excellent. En auto par Regent Street au jardin d'Acclimatation, très beau. Les pingouins avec leur démarche lourde, très drôles ; les serpents énormes et magnifiques ; les singes méchants et rageurs ou comiques. Nous y passons la matinée ; les éléphants et les ours dansent. Revenons au restaurant à midi enchantés mais las ! 2 heures de repos ne sont pas de reste.
En auto à Westminster Abbey, c'est d'une munificence inouïe, cette ancienne abbaye de bénédictins, changée en nécropole est d'abord comme grandeur puis comme architecture gothique plutôt flamboyant, inouïe ! La profusion des tombeaux et des monuments est fatigante ; certaines chapelles d'une richesse étonnante. Voyons le buste de Walter Scott, le tombeau de Marie Stuart, le cloître ravissant. Le trône est des plus anciens avec la pierre sur laquelle Jacob a reposé sa tête, dit la légende.
Nous avions vu, avant Westminster, la Tour de Londres, ancienne citadelle servant de prison, aujourd'hui devenue musée des armures. Là ont été tués les enfants d'Edouard. Dans la cour est indiquée la place où Anne Bolyen, Jeanne Howard, Jane Grey et tant d'autres ont péri sur l'échafaud. Beaux hommes rouges avec le grand bonnet de poils. De Westminster à Hyde Park, nous sommes vannés. Un équipage à 4 chevaux, beaux attelages, amazones, cavaliers, toilettes, nos places sont excellentes. A 8 h excellent dîner à notre restaurant dans l'hôtel ! Pourvu que les enfants n'aient pas la coqueluche.

Mercredi 18 Juin 1913     Londres

           Francis d'Azambuja arrive à 8 h, assiste à notre petit-déjeûner. A St Paul, magnifique église anglicane, rappelant comme style, mais en plus petit, St Pierre à Rome. Les mausolées y sont beaux et nombreux, mais pas avec cette profusion de mauvais goût de Westminster Abbey. Celui de Wellington énorme, celui de Nelson. Je préfère dans la crypte ceux, plus simples, où reposent leurs cendres. Le char en bronze qui a servi au transfert de celles de Wellington, fort beau ; le rétable du maître-autel splendide. La coupole étonne Jeannette par ses proportions gigantesques. A la galerie de portraits, très intéressante ; Victoria, âgée, est parlante ; Charles Ier, Henriette et leurs enfants, par Van Dick, touchants.
           Tandis que Benjamin rentre à l'hôtel, tous les 4 à Hyde Park, assis devant l'allée des cavaliers en quantité, beaucoup d'amazones, des enfants, des cavaliers en quantité ; c'est très amusant ; beaucoup de toilettes dans notre allée. Un officier français à cheval, en uniforme, venu pour le concours hippique en l'honneur de notre Président Poincaré, attendu le 24.
           Après le déjeûner, avec Francis, allons à l'hippodrome. Jolie salle ; chiens savants très curieux, additionnant, faisant des soustractions, aboyant d'après les heures le nombre de fois voulu. Gymnasiarques extrêmement forts comme équilibristes. Après cela, tout dit en anglais peu récréatif et surtout beaucoup de choses triviales me déplaisant. Comme fééries c'est très jolie, surtout le ballet des cloches. Les acteurs et actrices viennent par un sentier fleuri au milieu des spectateurs.
           Excellentes glaces chez le Linder de Londres en sortant du théâtre, puis en auto à Richmond dans le parc : cerfs, daims et biches en liberté. Immenses pelouses. La terrasse de Richmond avec vue charmante sur la Tamise. Allons jusqu'à Hampton Court, mettons pied à terre dans ce beau parc, allons jusqu'au Palais Royal, habité jadis par Cromwell et les Stuart. 800 de ses milliers de chambres sont occupées par des pensionnaires de l'aristocratie. Retour par les bords de la Tamise, très jolis, allées sablées. Montons à Richmond pour revoir la terrasse. En traversant le parc, d'un côté chevreuils, daims, cerfs et biches courant à toute vitesse à travers champ, d'un autre tout un troupeau de ces animaux couchés, serrés près d'un ruisseau.
          Retour très gai en auto toujours. Arrivons si tard au restaurant de l'hôtel qu'il nous faut manger à la carte. Francis nous quitte à 9 h ½.

Jeudi 19 Juin 1913     Londres / Folkestone / Boulogne / Paris

           Départ de Londres à 10 h après un copieux petit déjeûner au restaurant de l'hôtel, ce qui est commode c'est la communication de l'hôtel avec la gare. En deux heures à Folkestone ; traversée bonne; en 1 h ½ à Boulogne ; 2 autos étaient transportées sur notre bateau, beaucoup de passagers, bien installés dans des fauteuils. Douane pour les petits bagages à Boulogne. Dîner rapide au buffet. 3 h de trajet. Jeanne est contente, au buffet elle ne voulait pas déjeûner de crainte de manquer le train. Allant à grande vitesse, nous n'apercevons pas Amiens, à peine Chantilly, le train ne s'arrête qu'à Breteuil. Douane pour nos gros colis à Paris. Chez Corinne, nombreux courrier ; sommes navrés, les 4 plus jeunes de Gaby ont la coqueluche et ceux de Claire des maux de gorge. Mes pauvres petits chéris, et nous ne sommes pas là ! Corinne souffrante ira se reposer demain.

Vendredi 20 Juin 1913     Paris

           Très bien dans notre jolie chambre tendue de cretonne ; reprenons notre messe de 7 h ½ à St François-Xavier. Après notre petit déjeûner en chambre, on nous annonce un monsieur, c'est Salvat. Il est ici pour quelques jours. A 9 h nous étions chez Adèle, elle nous fait visiter leur joli rez-de-chaussée. Mllle Bethdford est déjà partie pour Jambles, Adèle est seule avec une autre jusqu'au 7 Juillet. Au Printemps, faisons des achats pour Adèle et pour mes petits enfants, des manteaux tricotés. A déjeûner apprenons que Moulant est là à table avec nous. Après notre repas, allons prendre Adèle à pied au Louvre dans lequel nous lachons Jeannette, elle va voir les galeries tandis que nous causons, assis sur un banc du jardin des Tuileries. A 5 h, allons à la sortie, au bas des escaliers, personne. Dehors, personne. Ne sachant que penser, nous partons à l'autre bout du jardin, Jeannette nous rejoint, nous voilà chez un confiseur et goûter sur un autre banc des Tuileries. Vite en auto raccompagnons Adèle et au Bois. Très peu d'équipages, beaucoup d'autos, des toilettes. Voyons deux biplans. Descendons de voiture pour les mieux considérer.
Corinne est partie, Lilette la remplace, elle est aussi fatiguée que sa sœur. Etalage des manteaux achetés. Enfin lettre de Jules, meilleures nouvelles de nos petits enfants.

Samedi 21 Juin 1913     Paris

           Allons prendre Adèle à 9 h pour monter ensemble à Montmartre par le funiculaire. Arrivons pour le salut donné aux élèves de l'école St Nicolas, la musique, la fanfare se font entendre me rappelant les processions. L'autel principal en marbre blanc de toute beauté, le chœur, la table de communion, les marches, les armes des villes principales de France, la basilique de Montmartre sera splendide une fois terminée. Le campanile s'élève par derrière, je ne l'avais jamais vu. Tandis qu'Adèle regagne son chez-elle, allons déjeûner au vilain buffet de la gare St Lazare où Adèle vient nous rejoindre pour prendre le train de midi ½ pour Versailles. Cette ligne est élevée et la plus jolie des trois. Temps couvert avec quelques ondées, prenons le tramway jusqu'à l'Orangerie que nous traversons. Les orangers sont en fleurs, les rosiers forment des festons tout fleuris. Entrons dans le parc par ce côté, allées sombres, beau coup d'œil sur l'enfilade du canal et le château. Contournons par les allées jusqu'au bassin de Neptune et rentrons au palais ; il pleut. Adèle et Béatrix restent à causer dans la galerie des sculptures. Avec Benjamin et Jeanne voyons vite les salles de la Smala, celles à côté, toute l'enfilade des salons, la magnifique galerie des glaces.
           Je les laisse à la galerie des batailles pour aller à pied chez Maty, 1 rue l'Ermitage. Je la trouve très pâlie, plus gentille que jamais. Elle avait failli sortir, heureusement sa mère lui avait ordonné de rester. Tout le monde vient me rejoindre pour voir Claire Perrin. Rejoignons Adèle et Jeannette croisant sur le trottoir. Le tramway nous rapatrie. J'accompagne Adèle à son couvent tandis que Benjamin et Béatrix rentrent pédestrement. Point de lettres ! Corinne à la campagne, au repos, Lilette au lit, c'est Mme Henri qui vient présider la table. Benjamin et Mme du Rousset taillent une bavette.

Dimanche 22 Juin 1913     Paris

           Quelle journée d'angoisse ! ce matin à la messe de 8 h à N.D. des Victoires et petit déjeûner chez le boulanger en face comme d'habitude, puis chez Adèle où se trouvent Benjamin et Salvat. Lecture d'une lettre de Noélie nous apprenant le souci qu'a donné notre cher petit Jacques. Sur ce, nous décidons de téléphoner à Albert pour avoir des nouvelles. Tous au bureau de poste. Albert dit à Salvat qu'il est mieux. Nous rentrons dans la petite salle à manger où nous attendons Salvat pour déjeûner. Décidons de téléphoner une seconde fois pour savoir s'il faut partir ce soir. Nous nous mettons à table sans Salvat ; le voici, Albert revenait de la Viste, les nouvelles sont meilleures. Sur ce, attendons demain pour décider ; avec Adèle à Asnières, vêpres et bénédiction. Adèle reste avec ses enfants.
           En auto au lac d'Enghein, fort joli, casino au bord de l'eau, on y prend des rafraîchissements pendant que la musique joue des airs ravissants. Avons le tort de ne pas nous y arrêter pour parcourir la forêt de Montmorency. Mystification : d'abord notre mécanicien ne connait aucun chemin et, à chaque bifurcation, il prend celui qu'il ne faut pas ; ensuite nous suivons les indications des passants, toutes différentes. Alors que nous étions en pleine forêt, voilà un bon monsieur nous fait retourner en arrière, pour prendre plus bas une route bitumée. C'est comique. Jeannette le prend au tragique au début, puis, après une mercuriale de Béatrix, redevient la plus gaie ! A 7 h arrivons chez nous, une dépêche... émotion violente. Il y a du mieux. C'est Jules qui nous télégraphie. Ce soir, à table, Mme du Rousset entre son gendre et sa fille, Mr et Mme de Perceval, celle-ci charmante, lui, fait aller sa belle-mère sur l'amour, la sévérité pour une femme de chambre fiancée. Il est drôle.

Lundi 23 Juin 1913     Paris / Marseille

           Chez Adèle avec Benjamin. Nous revenons à pied chez Corinne, Adèle entre nous, il faut une heure de la rue Clapeyron au Bd des Invalides. Adieux à Lilette dans son lit, bien aplatie. Voici la dépêche après la lettre si alarmée de Gaby me disant : "Maman, vous qui avez perdu un enfant, comprenez ma douleur". Xavier nous désire - dit sa dépêche. Demain nous y serons. Béatrix et Jeannette, qui sont sorties pour faire des achats, apprenent notre détermination. Dernier déjeûner seuls avec Adèle dans la joli petit salon de Corinne. Gros sacrifice en pensant aux quatre bonnes journées sacrifiées, nous comptions travailler de 9 h à 6 h sous les beaux ombrages du Luxembourg ou sous ceux des Tuileries, tout en causant ; c'est notre petit Jacques qui nous attire et ne nous laissera de repos qu'en nous trouvant à son chevet. Pauvre Gaby, ce qu'elle doit passer. Adèle nous accompagne à notre train à 3 h 45. C'est l'express, 10 arrêts. Wagon-restaurant, excellent dîner.

Mardi 24 Juin 1913     Marseille

           Arrivons à Marseille à 9 h. Jacques bien mal.         

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