Voyage dans les Alpes du 1er au 31 Août 1897  par Léonie Fine
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Carte du voyage
- Carte de la région

1897 - Carnet n°7 rédigé par Léonie Fine relatant un voyage dans les Alpes (Vercors)



De g. à d. Adèle, Claire,
Béatrix et Louise

Du 1er au 31 août 1897
Benjamin Salles (49 ans), Léonie Fine-Salles (44 ans), leurs cinq filles Gabrielle (15 ans), Claire (12 ans), Adèle (10 ans), Béatrix
(8 ans), et la gouvernante Eléonore.
Cf. Généalogie Salles
Amélie (Lily) d'Astros (épouse de Jules Drujon) est une cousine de Benjamin. Cf. Généalogie Strafforello

photo1900
Benjamin et Léonie vers 1900


Dimanche 1er Août 1897     Départ de Marseille   [Carte Voyage]

         Départ à 10 h 05 du soir avec nos cinq filles et Eléonore. Grande affluence à cause des fêtes d'Orange en l'honneur de Félix Faure, notre président. Nous sommes admirablement installés, quatre par quatre, dans deux compartiments de 1ère communiquant, avec cabinets.

Lundi 2 Août 1897    Arles / Valence / Grenoble/ Lans / Engins / Les Jaux  [Carte Voyage[Carte Vercors[Carte Région]

           A Arles 1ère invasion : une dame entre au milieu du compartiment que j'occupais avec mes trois filles aînées, mais, grâce à l'obscutité, elle le croit plein et redescend ! Sans encombre notre retour pour Grenoble ; par moments, jolis sites sur les bords de l'Isère.
           Benjamin ne peut l'éviter avec ses femmes de chambre, mais le sommeil d'Adèle et de Bébé est respecté et Eléonore vient nous trouver. A Tarascon, assaut épouvantable, des dames redescendent de notre compartiment après ma déclaration touchant la soi-disant maladie de Claire. Benjamin a du recevoir encore un monsieur jusqu'à Avignon. Dans cette gare un monsieur demande à monter dans notre compartiment de dames seules, nous le gardons jusqu'à Orange. De là à Valence, calme, plus de foule ! Béatrix est la seule à avoir parfaitement dormi, puis Clairette. A 4 h nous déjeûnons au buffet de Valence et continuons .
         A 8 h à Grenoble, achetons notre 2ème déjeûner. Admirablement installés dans ces excellents chars appelés "train de plaisir", nous partons pour Lans à 8 h ½. Côte très rapide à gravir à partir de Sassenage. Vue splendide sur la vallée de l'Isère. A mi-côte rencontre d'un char chargé de bois à moitié renversé, il barre la route. Nous descendons de voiture et pendant ¾ d'heure, on travaille à faire passer notre voiture.
           Point de village, presque pas d'habitation, un seul joli petit château perché sur un rocher à pic, jusqu'au hameau d'Engins ! Les lacets sont immenses, dans tous les sens et raides ! Après Engins, les gorges ravissantes avec le Furon aux eaux transparentes ! Nous espérions que Lans serait là, au milieu des bois de sapins, mais il n'en est rien, Lans est au milieu de champs et de prairies ; notre hôtel est au hameau des Jaumes, nous y arrivons à 1 h. Tous les Drujon sont là pour nous accueillir avec la plus grande effusion ! Nous allons avec eux sous une treille, à l'abri du vent, car elle est bâtie des deux côtés ; puis choix des chambres : avons au 1er, Benjamin et moi, une jolie chambre avec fenêtres au nord et au couchant ; Gabrielle, Claire et Adèle, une à côté de la notre avec fenêtre au levant ; Loulou couche toute seule dans une petite chambre avec la même exposition ; au dessus c'est celle d'Eléonore et de Béatrix. Nous partons à 3 h avec les Drujon pour le village, visite à l'église fort jolie ; aller aux Falcons par une jolie route, c'est l'endroit le plus pittoresque, Jules et Lily en sont amoureux ! Visite des Falcons, très curieux ; un moment sur la terrasse pendant que les garçons glissent en traîneau ! Retour à 6 h par le chemin direct ; nous ne serons qu'à 5 à 10 m. des Drujon. Nous recevons notre bagage et nous installons. Dîner à 7 h ½ ; une famille a sa table à côté de la notre. Coucher de bonne heure. Impression peu favorable, je croyais le pays plus pittoresque et l'hôtel moins auberge mais ces Repellin sont de très braves gens, ce sont ces dames qui font tout.

Mardi 3 Août 1897    Les Jaumes   [Carte Environs]

           En nous levant nous voyons les Drujon sous nos fenêtres ; Jules emmène nos grandes à l'église où il va, avec ses filles, faire une répétition de chant. La véranda nous est d'un grand secours, les enfants s'y installent tandis que je perfectionne notre installation. A midi nous déjeûnons sous la véranda, ce que nous adopterons désormais, le coup d'œil y est très joli. A 2 h ½ passons par le village pour divers achats, un billard est chez le boulanger ; le tailleur est coiffeur, ainsi de suite. Chez les Drujon, sur la terrasse un moment de causerie puis le fameux goûter autour de la table garnie d'immenses bols et d'une casserole de lait aux proportions gigantesques, de pain, de beurre disparaissant sur de larges tartines : en un clin d'œil tout a disparu.
           Départ à 4 h ½ pour la route de St Nizier, charmante, très pittoresque, au milieu d'une forêt de sapins, on se dirait à St Cergues ! Décidément les environs sont très jolis ! Il est facheux que les Jaumes, hameau où se trouve notre hôtel, ne soit pas mieux situé ! Sans la véranda que deviendrions-nous ? pas un arbre pour nous abriter ; la grand'route de Grenoble à St Marcellin au couchant, la route de Jaumes à Lans au nord, des prairies et le jardin potager des deux autre côtés. Les enfants et les grands cueillent des fraises ! Retour à 7 h ¾. Eléonore, les trois petites et Léon Drujon ont fait une petite promenade puis sont retournées par les Falcons.

Mercredi 4 Août 1897    Col de l'Arc   [Carte Environs]

           Tandis que Loulou mène ses deux petites sœurs aux Falcons, nous lisons ou écrivons sous la véranda. Le monsieur, sa femme et leur fille Mireille sont les Courret de Marseille, Mr est second à bord de l'Armand Béhic(1) ; la dame dont le petit garçon a une entérite est également de Marseille, c'est une dame Dalmas. Pendant le 2ème déjeûner sous la véranda, tonnerre, temps noir sur Villard-de-Lans. J'oublie de noter à 11 h notre visite au curé, charmant accueil ! A 2 h le temps est si menaçant que nous courons tous chez Lily ; le tonnerre gronde, la pluie commence, nous arrivons au pas de gymnastique. Les enfants s'installent autour de la table et font divers jeux ; Benjamin lit dans l'embrasure d'une fenêtre tandis que Lily et moi travaillons dans l'autre ; les jeunes filles, installées dans la chmabre d'Anna et de Lisbeth, lisent le fameux livre de politesse du S.C. tout en cousant ; Jules écrit dans sa chambre, il prépare son discours pour les prix de dimanche.
          A 3 h ½ le ciel redevient radieux, grands et petits sortent et, dans la grange, se livrent à un plaisir goûté par tous sauf par Lisbeth : on s'élance du haut d'un mur sur un char rempli d'herbe fraiche ; la pauvre Lisbeth ne se décide qu'au dernier moment à faire le grand saut périlleux. Nous visitons l'écurie, admirons vaches et veaux.
          Après le goûter pantagruélique, départ pour la promenade dans le ravissant vallon menant au col de l'Arc ; c'est extrèmement boisé et très vert ; Lily nous abandonne en route pour aller faire des achats ; nous arrivons en haut d'un mamelon d'où le vue est très belle ! Puis, quelle descente ! Le souvenir de Paul Coirard l'ayant immortalisé, on l'appelle "la descente de l'Oncle Paul" ! C'est une vraie dégringolade ! Jules s'élance, forme barrière, puis chacun le suit, renforçant cette barrière humaine destinée à arrêter la fougue de celui qui descend ! heureux quand la digue ne rompt pas ! Nous rencontrons Lily devant l'église où nous allions dir notre chapelet. A table le soir, Claire, Adèle et Béatrix nous amusent par le récit de leurs jeux avec leus cousins et par les inclinations de chacun !...
(1) (ndlr) Paquebot lancé en 1891 Site

Jeudi 5 Août 1897    [Carte Environs]

          Matinée tranquille, sous la véranda on lit, on travaille, on écrit et l'on joue. Mme Courret ne parait pas trop émue du départ de son mari, séparation de trois mois. L'après-midi allons chez les Drujon pour nous diriger vers le hameau des Egauds sur le versant occidental : montée au milieu des bois de sapins, de pins, de hêtres, etc., beaucoup de houx ! La vue sur le versant du Moucherotte, mais, sauf le massif de la Gde Chartreuse, toutes les montagnes couvertes de neige sont dans la brume. Jules nous donne la comédie dans nos projets de courses en voiture dans le Vercors, avec ses fourmillements dans les jambes !... Cette course s'est effectuée sans soleil ; le soir temps couvert.

Vendredi 6 Août 1897   Gorges du Bruyant   [Carte Environs]

          Temps couvert aussi allons-nous chez les Drujon ; assis sur la terrasse nous lisons le livre de politesse de Maryan, tout en le commentant. Jules vient nous trouver un instant, mais il travaille à son discours des prix. Retour à 11 h ; rencontre du facteur, encore rien pour nous ! Ils nous oublient tous ! ... nous sommes désappointés et furieux ! Légère indisposition qui me fait garder la diète à midi. A 2 h ½ départ pour les Falcons avec toutes les fillettes ; Lily mène aussi ses garçons ; le but de notre promenade est un goûter à la cascade du Bruyant ; forte chaleur pour nous y rendre ; à partir du bois, c'est charmant ! Les enfants cueillent fraises et framboises avec mille cris de joie. A 4 h ½ arrive la cascade ; on s'assied sur la prairie et le goûter étalé et bien vite avalé ; l'eau du Bruyant d'une fraîcheur délicieuse, elle me remet complètement ! Le site est ravissant, les gorges on ne peut plus pittoresques, sapins, rochers à pic, prairies et le clair Bruyant au fond.
Malheureusement on ne peut admirer à son aise à cause de la difficulté du chemin, cinq fois il faut traverser le Bruyant avec des ponts qui n'existent plus qu'en partie ! ce sont des rires fous ! on s'échelonne, les grands tiennent les plus petits, puis ce sont des bains plus ou moins complets comme le petit Léon qui a eu de l'eau jusqu'aux cuisses, son manteau a flotté longtemps sur les eaux ! Il s'agit de traverser des prairies innondées, chacun prend bravement son parti car il s'agit de prendre la diligence au moins pour les plus jeunes ! Cest au pas de gymnastique que nous parcourons une délicieuse allée de sapins dans les gorges d'Engins car la diligence est en vue. Enfin nous y sommes ! Jules gesticule, mais en vain, la voiture est une vraie grappe humaine. A notre étonnement une jeune fille appelle Gabrielle du sommet de la diligence, c'est Mlle Jeanne du Seigneur ! Halte à la scierie, soirée incomparable, temps clair, montagnes d'une pureté sans pareille ! Revenons enchantés !

Samedi 7 Août 1897    Saint Nizier   [Carte Environs]

          Nous faisons sortir Panpan de l'écurie et les trois fillettes commencent à la monter sur la route de Lans. Anna, Lisbeth et Mimi, qui sont venues de bonne heure prendre des nouvelles des petites jambes ayant tant marché hier, assistent à ces premiers essais. A 2 h ¼ départ en voiture pour St Nizier, Mr Achard nous mène jusqu'à la fontaine glacée où arrivent les quatre Drujon. Là, Jules prend les guides en main et nous voilà partis. La route monte au milieu des sapins et de prairies magnifiques, la vue devient de plus en plus belle. Le massif de la Grande Chartreuse est à deux pas ! Grenoble à nos pieds, nous surplombons la vallée et sommes à plus de 1100 m d'altitude. Nous nous asseyons dans un bois de sapins, les Grandes Rousses apparaissent dans le lointain mais sont bientôt voilées par les nuages. Grande dissension entre Jules et moi à leur sujet, elles deviennent l'objectif constant de notre lorgnette et passent à l'état de scie ! Quelle vue ! Ah, si nous pouvions habiter St Nizier en famille ! à 1 h seulement au dessus de Grenoble, dans un site enchanteur et avec quel panorama !... Aussi, après une visite à la minuscule église entourée du cimetière, poursuivie par cette pensée de passer ici un été, j'avise une jolie habitation pour savoir si elle ne serait pas à louer. Ô Déception ... c'était le presbytère ! La sœur du curé me répond le plus aimablement possible et me dit qu'à l'hôtel il y a une quinzaine de chambres qu'on loue à partir de 5 fr.
           A 6 h hélàs ! il faut partir. Jules est fou et nous donne la comédie tout le temps soit pour faire trotter Bichette qui ne marche pas, soit pour arrondir les angles que Lily trouve trop brusques, soit enfin pour masser Benjamin qu'une pluie fine pénètre ! Nous sommes sans parapluie, de plus les Drujon ont fait un brin de toilette ! Il faut faire des frais d'imagination pour tout mettre à l'abri, les chapeaux passent sous les banquettes, les robes sur le tête, etc. C'est dans cet accoutrement que nous sommes dépassés par un fringant cheval ; il portait le bel officier de St Nizier renfermant sous sa capote un beau bébé !...

Dimanche 8 Août 1897    [Carte Environs]

           Temps pluvieux, aussi faut-il mettre les robes de demi-saison. Anna et Lisbeth viennent déjeûner avec nous ; allons à l'église à 8 h ½. Procession extérieure puis l'on rentre pour la messe, nous nous mettons aux bancs en entrant , beaucoup de femmes, très peu d'hommes. Jules est à l'harmonium dans le chœur car c'est une demie grand'messe, puis le curé monte en chaire après l'Evangile, fait les prières du prône, dit les noms des personnes décédées, annonce les fêtes, fait une allocution, puis continue sa messe pendant que Jules, changeant d'harmonium, accompagne les chanteuses dont ses filles font partie. Le petit clerc passe du pain bénit dans une corbeille et le bedeau quête dans un récipient arrondi entourant une bougie allumée. A 10 h nous rentrons chez nous. C'est à 3 h qu'a lieu le rendez-vous pour la distribution des prix. A 2 h ½ arrivons sur la place croyant être à temps à la bénédiction, mais les vêpres de 2 h, le salut, tout est terminé ! Le ciel est d'un sombre effrayant ; le curé nous reçoit avec Jules et ses filles dans son presbytère pour nous soustraire à la pluie.
           Devant les écoles une estrade est préparée, Jules y prend place à côté du vieux maire et au milieu du conseil municipal. Le curé, simple invité, est assis au milieu de l'auditoire, nous l'entourons, les villageois sont debout derrière nous. Les parapluies abritent l'assemblée. L'école des garçons et celle des filles sont à droite et à gauche. Jules commence son discours, son but est de prémunir la jeunesse contre le désir de se placer dans de grandes cités, de devenir des déclassés et de leur donner l'amour de leurs champs et de leur pays. Il est applaudi plusieurs fois, le jeune docteur de Villars-de-Lans donne plusieurs fois le signal ! Des chants et des récits de petites filles puis la distribution des prix, nous retiennent jusqu'à 4 h ½.
           Nous allons avec les Drujon aux Falcons où, après goûter, les enfants vont s'amuser dans les chambres à cause de la pluie, puis sur le terrasse dès qu'elle cesse.

Lundi 9 Août 1897    [Carte Environs]

           Matinée tranquille. Cependant, à 11 h, allons, Benjamin et moi, à Lans voir cette foire aux bestiaux qui n'a rien d'intéressant. De là aux Falcons pour prendre heure pour ce soir ; rencontrons Claire et Adèle qui reviennent avec l'ânesse tandis que Loulou nous accompagne. Correspondance et travail jusqu'à 4 h ½ où les Drujon viennent nous prendre pour aller sur la route d'Autrans ; très boisée ; l'ânesse chevauche en avant ; à la bifurcation de la route de Méaudre, prenons cette route également boisée.
           Nous nous reposions assis sur d'immenses sapins quand arrivent, par la même route que nous, une dame, une jeune fille et un jeune homme : c'était Mlle Jeanne du Seigneur avec son frère et sa tante, Mme Ricard (une Vanhouke) ! Ils arrivaient de Lans où ils avaient été nous chercher. Il est convenu que vendredi, nous irons les voir dans l'après-midi. Benjamin est consterné parce que Mme Ricard nous veut à déjeûner un autre jour. Retour charmant en descendant. L'ânesse et Jules passent en avant ; bien jolis côtés, tout boisés.

Mardi 10 Août 1897    Les Goulets   [Carte]

           Départ à 6 h ¼, en voiture avec les Drujon, pour notre excursion aux Goulets. Nos deux messieurs vont à pied jusqu'à la scierie en dessous de Villars-de-Lans ; nous allons en 35 mn dans ce village chenger de voiture afin d'en prendre une plus grande. Petite visite à l'église, horrible. Mr Achard nous conduit ; nous prenons ces messieurs au passage à 7 h ¼ ; pas trop de reproche sur notre retrad !
           Pays très vert et très boisé d'abord, puis gorges de la Bourne très sauvages et sévères ! Il fait froid, nous sommes très couverts. Du Pont de la Goule Noire à la bifurcation des deux routes, enthousiasme, puis prenons à gauche la route qui s'élève, laissant celle de la Balme au dessous de nous. Nous nous élevons ainsi jusqu'à St Julien-en-Vercors, sur le plateau à 1300 m d'altitude ; redescendons sur St Martin-en-Vercors où nous avons une grande tentation de téléphoner à Alfred.

        

          La route redevient intéressante un peu avant les Barraques, très riante. Nous y sommes à 9 h ½. Tandis que nos chevaux se reposent, commençons à pied cette magnifique route des Goulets ! Tous ces tunnels ! cette Vernaizon si encaissée ! Grands et petits, tous y prennent de l'intérêt. Que de pierres jetées dans son lit de notre route suspendue ! Rencontre d'une dame (Mlle Furby), connaissance de Jules, salutations. Remontons en voiture, passons à Echevis, puis aux Petits Goulets, Ste Eulalie. Cherchons la montagne à gauche. Enfin arrivons à 11 h 10 mn à Pont-en-Royans, pittoresquement étagé. Descendons à l'hôtel Bonnard, puis visite à l'horrible église, promenade en ville ; on y grille en attendant midi. Dîner très gai, seuls dans la salle. Gabrielle et Anna rient sans discontinuer ; tête de veau ! Servantes blonde et brune, une autre petite était dans le bas de l'armoire quand nous nous croyions seuls !
          Repartons à 2 heures avec une chaleur caniculaire ; cette vallée de la Bourne, très sauvage, est trop ensoleillée pour nous enthousiasmer ! A la Balme à 4 h ; avec les fillettes nous nous asseyons aux bords de la rivière, puis rafraîchissements au café ! Refaisons avec enthousiasme la route parcourue ce matin. A 6 h à Villars-de-Lans ! Que ces côtés sont boisés et verts ! Que de pêcheurs d'écrevisses dans la Bournes ! Laissons Mr Achard aller changer sa voiture au Villars et marchons sur la route de Lans. Lily, Loulou et moi y montons les premières ; Benjamin et Gaby vont à pied jusqu'à Lans où nous arrivons à 7 h 10 mn ; Adèle et Béatrix reviennent des Falcons après notre arrivée. Pendant cette longue journée, les enfants ont joué aux cartes et perdu je ne sais combien ! lu, récité, joué aux d'esprit, etc.

Mercredi 11 Août 1897     [Carte Environs]

           Temps très chaud, le thermomètre monte à 25°. Après déjeûner allons nous confesser, mes trois grandes et moi. Timbre électrique pour faire venir le curé. Anna et Lisbeth ayant appris par Benjamin que nous étions à confesse, viennent nous rejoindre. Le curé, très bien. Retour toutes ensemble sous la véranda : jeux de cartes, tours, etc. Anna et Lisbeth nous quittent à midi. Après le second déjeûner, chacun reprend ses occupations. Après le goûter on se rend chez les Drujon, nous travaillons sur l'aire, Jules est étendu sur le paille et lit, les enfants vont aux champs, perchés sur les chariots.
           A 6 h Lily va à confesse, Benjamin et moi allons nous promener au Peuil, arrivons juste à 7 h ½ ; les enfants reviennent directement avec l'ânesse. Souhaitons bonne fête à Claire avec des fleurs cueillies dans ma promenade, sur la route devant l'hôtel. Après dîner admirons le clair de lune, temps doux et magnifique ; c'est la 1ère fois que l'on peut sortir le soir sans se couvrir.

Jeudi 12 Août 1897   

           Messe à 7 h pour Claire, c'est une demi grand'messe dite en une demie heure. En sortant pluie ; or nous avons trois parapluies et les Drujon ont leurs ombrelles. Installation dans nos chambres car il fait trop frais pour rester sous la véranda. Ecriture, lecture, travail et jeux dans le chambre de Gaby avant et après dîner. Le soir, vers 4 h, Jules arrive des Falcons, il reste bien 2 h avec nous, nous le recevons sous la véranda ; il fait jouer Claire à celui qui arrive le premier à 100, puis causons sur différents sujets, entr'autres les lycées. A 6 h ½, allons, Benjamin et nos trois grandes, réciter notre chapelet à l'église. Le nombre des pensionnaires a augmenté, je ne sais où on les loge ! J'étais trop bien aujourd'hui, malgré la pluie, entre mon mari et mes cinq filles.

Vendredi 13 Août 1897    Méaudre   [Carte]

           Ciel nuageux, temps frais, le soleil perce peu à peu. Après déjeûner allons aux Falcons ; il fait très frais sur la terrasse. Jules se moque de moi qui m'assieds au soleil puis chacun quitte l'ombre parce qu'on y a trop frais. On s'amuse, on travaille et on cause jusqu'à 11 h. Jules fait encore des tours de carte aux enfants, surtout à Claire. Retour à 11 h pour la réception de nos lettres, c'est un si bon moment !
           A 2 h départ avec Jules en voiture pour Méaudre où nous allons voir Jeanne du Seigneur ; il est entendu que Jules s'arrêtera avant d'arriver, errera avec son appareil photographique puis attendra Benjamin et Loulou sous bois, ceux-ci ne feront qu'une simple visite à Mme Ricard. Route charmante, on traverse des bois de sapins délicieux. A 3 h nous arrivons à Méaudre. L'hôtel Joseph Martin est en arrivant à gauche sous de beaux arbres. Dans un petit kiosque sont Mme Ricard, Mr Jacques et Mlle Jeanne du Seigneur ; accueill simple, conversation soutenue. Ce simple mais bon petit hôtel est éclairé à l'électricité, il a quatre chambres à deux lits ; la pension est de 5 fr par jour.
Quand Benjamin parle de partir, Mme Ricard propose de l'accompagner ; pour la détourner de son projet à cause de Jules, je lui demande de nous faire plutôt promener dans les bois du côté opposé que j'ai l'air de désirer connaitre. Benjamin part donc avec Loulou sans encombres ! Après le goûter de la jeunesse avec de la gelée de groseille, nous partons avec un garde des forêts pour faire l'ascencion d'un mamelon très boisé. C'est dur au début, pente très raide, ensoleillée, j'en suis contrariée pour Clairette que je ménageais tant ! Quelle solitude ! Quels beaux bois! Les sapins sont bien mes arbres préférés. Du sommet voyons la chaîne de la Moucherolle ! Descente rapide ; n'arrivons à Méaudre qu'à 7 h ! Quel retard ! Embrassons les deux petits garçons de Mme Ricard, puis en voiture.
           Voilà Mr Achard qui nous fait prendre la route du Villars, j'ai beau protester sur la longueur de la route, il m'assure qu'elle est trop belle pour ne pas la faire et qu'il nous conduira très vite ! Passons devant la mairie toute neuve avec ses deux ailes comprenant l'école des garçons et celle des filles. L'église nouvelle est fort jolie ! En somme Méaudre est très bien, situé au milieu des bois de sapins, mais très isolé ! Descendons avec une rapidité vertigineuse les gorges de Méaudre qui suivent la Bourne de Méaudre, c'était à faire. Il fait froid. Gaby, Claire et moi bien encapuchonnées, jouissons pleinement sans la crainte de mettre Benjamin en souci par notre retard énorme ! Nos deux chevaux nous enlèvent, revoyons volontiers les sites boisés au dessous de Villars ; puis dans la plaine nous filons à toute vitesse. Arrivée à 8 h 10, une heure après avoir quitté Méaudre ! Benjamin nous attendait sur la route avec les enfants, n'était nullement inquiet ; leur retour à pied les a enchantés. Eléonore est au lit, elle a eu cet après-midi vomissement, éblouissement, etc.

Samedi 14 Août 1897    [Carte Environs]

           Chaleur, aussi pas envie de remuer. Sous la véranda on écrit, on lit, on joue, et cela jusqu'à 4 h. Après goûter, nous prenons tous le chemin des Falcons, et pédestrement, car depuis jeudi l'ânesse est retournée à la montagne et n'en est plus revenue, au grand désespoir de Claire ; Chez Amélie, nous nous installons sur l'aire, au milieu de grands tas de paille, tandis que Claire, Adèle et Bébé parlent avec les enfants Drujon sur les grands chariots pour les champs. Jules voulait les prendre en photographie, mais les bœufs se sont trop vite mis en route. Jules récite des vers de Racine, un peu de toutes ses pièces. Enfin, vers 6 h, Lily nous déracine de nos places et nous mène en haut d'un petit mamelon que l'on atteint sans peine, en passant par les prairies et sous des sapins. Charmante halte. Le soir est poétique dans les montagnes ! Les ombres s'étendent de plus en plus dans la vallée, les vaches paissent nombreuses dans les vertes prairies ! Tout est calme et tranquille ! Le soir beau clair de lune ! Eléonore est mieux. Claire est enchantée parce que la fermière des Drujon lui apprend à traire ! Adèle est tombée dans le fumier, elle n'en fait jamais d'autre !

Dimanche 15 Août 1897    [Carte Environs]

           A 7 h ½ sommes à l'église pour la communion distribuée aux fidèles. Jules et ses filles viennent déjeûner à l'hôtel, puis retournons à l'église tous ensemble pour la messe de 8 h ½. C'est la grand'messe, le prône, puis la procession tout autour de l'église à laquelle nous prenons part. Il fait chaud à 10 h pour revenir. Avec cela le vent du midi souffle, ce qui indique la pluie. Le fait est que notre repas de midi sous la véranda se fait avec une fraicheur charmante, le ciel est tout gris. Nous mettons les toilettes d'été pour les vêpres de 2 h ; malgré l'empressement que nous y mettons, à 2 h 10, les psaumes sont déjà chantés, et, à 2 h ½, nous sortons de l'église après la bénédiction qui se donne après un simple Tantum ergo ! On va se déshabiller à l'hôtel afin de goûter plus à son aise aux Falcons où la table est des mieux servies ; on voit que c'est jour de fête : pâtes d'abricot, chocolats à la crème. Les enfants organisent une grande partie de cache-cache : divisés en deux camps, les voilà courant derrière la paille, sur les chariots de foin, dans les fermes voisines ; pendant ce temps, Lily, Benjamin et moi, assis derrière un grand tas de paille qui nous abrite du vent du midi qui souffle en tempête et d'une petite pluie fine, nous lisons. Lily de temps à autre nous lit dans une notice sur Mr de Falloux, l'histoire d'un curé demandant à son évêque le changement de son vicaire, c'est impayable et celle de Mr se mettant des grandes feuilles de fougère pendant sous son chapeau afin d'avoir plus frais.
           Nous sommes admirablement avec le massif de la Grande Chartreuse en face de nous et, à notre droite, ce joli coin de montagnes que j'aime tant et qui parait tout velouté avec la brume. Jules, de temps à autre, vient nous faire des petites visites ; nous admirons ses photographies instantanées. Mimy et Marthe s'amusent à nos pieds ; ce moment est délicieux ! La pluie nous en chasse ! Nous courons à notre hôtel où, sous la véranda, nous jouons au 31 de 6 h ½ à 7 h ¼. Après le souper, le jeu reprend de plus belle ; comme nous jouons sans parler aux morts, ce sont des cris, des rires fous. Mr Delmas et Mme Couret s'amusent à regarder les fillettes. Le soir j'examine nos différentes excursions, nous ferons peut-être en plus celle de La Grave et du Lautaret par le col du Galibier.

Lundi 16 Août 1897      [Carte promenade]

           Nous devions ce matin monter au Moucherotte, mais nous avons du y renoncer dès hier soir à cause de la pluie qui d'ailleurs a duré toute la nuit ! A 8 h, nous nous n'étions pas encore sortis de notre chambre Benjamin et moi, quand un grand branle-bas se fait entendre. Jules et Maxence venaient chercher leurs cousines pour voir sortir le pain du four. Claire et Béatrix suivent leus cousins, Gabrielle et Adèle partent par le chemin le plus direct et Loulou, qui arrive pour la seconde fois de Lans, repart en courant sans avoir déjeûné !
           Benjamin et moi suivons les enfants une demie-heure après, sans pluie, mais nos enfants se sont tellement mouillées que le fourneau est entouré des chaussures séchant, Lily a fourni à chacune une paire de rechange ; Loulou a du mettre une robe de Lisbeth, ses vêtements étant trempés. Nous sommes tous dans la salle à manger, mais, comme les enfants jouant aux cartes nous étourdissent, nous montons travailler dans la chambre de Lily. Benjamin vient y lire, tandis que Jules va à son bureau faire de l'anglais.
          Vers 10h on nous appelle pour voir retirer du four les gros pains ronds, puis chacune reprend ses chaussures et, à 11 h, nous retournons chez nous. Nous voulons dîner sous la véranda mais il fait si frais que nous avons pélerines, capuchons ou manteaux. Il tombe plusieurs ondées, le brouillard nous enveloppe. A 2 h les trois grandes partent pour les Falcons où on les attend pour faire des crêpes. Benjamin et moi allons les y rejoindre avec les petites vers 4 h : crêpes excellentes. Puis on se divise : nos enfants jouent à cache-cache dans la grange, nos 4 aînées partent seules pour se promener.
          Quant aux deux ménages, ils font la promenade la plus ravissante qu'on puisse imaginer ! A mi-hauteur, entre la route de St Nizier et celle d'Engins, nous suivons un chemin entre des prairies et sous de jolis bois de sapins, nous gagnons peu à peu la route de St Nizier à l'endroit qui domine le joli cirque au dessus des gorges du Bruyant ! Le ciel est moitié nuageux, moitié bleu, en passant par toutes les teintes ; les bois de sapins sont d'un vert sombre, les prairies des verts les plus variés, ce temps sombre donne à la nature un charme infini ! Quelle chose d'indéfinissable qui captive et subjugue, nous sommes tous sous ce charme ! Par moment Jules nous fait part de son enthousiasme, en analysant les beautés de cette riche nature. Benjamin et moi revenons par Lans ; nous mettons 25 mn de la fontaine glacée à l'hôtel. Les enfants arrivent en même temps que nous, des Falcons. Les 4 jeunes filles s'étaient promenées en lisant et étaient rentrées à 6 h pour lire. A 9 h ½ assistons, de la fenêtre des fillettes, au lever de la lune derrière le Moucherotte !

Mardi 17 Août 1897    [Carte Environs]

          Ciel magnifique ! Déjeûner à 7 h ½ pour être à 8 h aux Falcons ! Prenons Jules, Anna et Lisbeth. Reprenons le chemin d'hier, nous enfonçons sous bois. Les sapins nous abritent des rayons du soleil, c'est extrèmement agréable ; à chaque bifurcation, Jules demande des conseils, nous finissons par nous laisser conduire par la jeunesse qui voudrait nous mener à la source du Bruyant, mais elle échoue et devant un immense champ de blé, il nous faut regagner la route de St Nizier par un chemin montant et ensoleillé ! Halte sous les sapins ; sommes aux Falcons à 11 h ¼, y reprenons nos deux fillettes et rentrons pour déjeûner. Il fait chaud, la ciel n'a plus un seul nuage et dire qu'hier il faisait froid ! Nous avons besoin de repas car, attendant Mme Ricard ce soir, il faudra la faire promener !
          Vers 3 h elle arrive avec Mr Jacques et Mlle Jeanne du Seigneur, nous les recevons sous la véranda, les araignées font plus que jamais des descentes multiples derrière Mme Ricard, son neveu est obligé de se livrer à une chasse effrénée ! A 4 h Anna et Lisbeth arrivent, on prend de la bière, on fait honneur au goûter. A 5 h nous partons pour le vallon du col de l'Arc et revenons entre les deux mamelons par le Peuil. La conversation a été animée ; Benjamin, toujours drôle, fait rire Mme Ricard à maintes reprises, Mr Jacques, moins timide, va en éclaireur, tout va bien ! Retour vers 7 h. Mme Ricard, son neveu et sa nièce partent en voiture ; Anna et Lisbeth nous renvoient nos trois fillettes des Falcons, il fait nuit. C'est la journée où nous avons le plus marché, 5 h ½.

Mercredi 18 Août 1897    Saint Nizier      [Carte]

          Quelle tranquillité dans l'hôtel : Mr Delmas, Mme Couret et Mireille sont partis. Matinée très chaude, bien qu'en allant à la messe pour ma tante d'Astros, la rosée fut telle que les arbres dégouttaient. Aussi tranquillité parfaite sous la véranda, correspondance, etc. Recevons cinq lettres.
           A 1 h ½, départ pour Saint Nizier avec les Drujon, Jules conduit. Chaleur accablante, un peu d'air en nous approchant de ce site enchanteur ! La famille Reynaud qui y est venue ce matin, dit avoir vu le Mt Blanc ! Je compte une dizaine d'étrangers sur la place, devant le restaurant du Moucherotte. Allons sous bois à la place occupée l'autre jour, nous voyons la base du Mt Blanc mais il est couronné de nuages. Admirons le magnifique glacier de Taillefer et d'autres ! Jules, qui a un esprit de contradiction très marqué, reste muet tant qu'il n'a pas goûté, puis, comme nous montons pour mieux voir, alors que nous nous taisons, son admiration commence ! Avec Lily et les fillettes allons à un joli chalet que fait construire Mr Guillot ou Guillon à 1225 m d'altitude ; on y jouit d'une vue magnifique sur les montagnes et sur la vallée avec Grenoble à ses pieds. Avec Lily allons plus loin et plus haut à travers une prairie ; un ouvrier nous dit qu'hier le ciel était si pur que le Mont Blanc était saisissant. Nos messieurs nous appellent, il faut malheureusement retourner.
Au retour nous ne mettons qu'une heure au lieu d'une heure ¼, il fait frais, c'est délicieux. Le cheval va vite, la forêt qu'on traverse est sombre et belle ! La vue sur la vallée très riante ! La jeunesse chante ; nous accrochons un chariot chargé de bois, la lanterne tordue ! Au retour arrivent les enfants, petite promenade dans le chemin. Le soir il fait des éclairs.

Jeudi 19 Août 1897   

          Quel déluge pour fêter l'anniversaire de Loyola. Nous devions aller à Rencurel si le temps était beau ; malgré les signaux convenus, Anna et Lisbeth, à 6 h, viennent et trouvent tout le monde dormant. On lit, on joue, on écrit, on joue du piano. Après dîner Jules arrive à la nage, nous fait une bonne visite ; puis nous changeons de chambre pour ne pas être toujours au même endroit, on porte dans ma chambre tables et chaises : mistigri, pierre le noir, puis on débute des vers. On rejoue et on se couche. La réception du courrier a été plus que jamais le plus beau moment de la journée.

Vendredi 20 Août 1897    Ascension du Moucherotte      [Carte ]

          Enfin beau temps, 11° ; après déjeûner allons chez les Drujon où nous travaillons dans la salle à manger pendant 2 h, c'est la dernière fois que nous travaillons tous ensemble. Retournons chez nous pour recevoir notre courrier.
          A 1 h partons de chez nous pour le Moucherotte, c'est une belle ascension ! A 1 h ½ nous rencontrons les trois Drujon à la fontaine glacée. Il fait très frais ; montons à l'ombre ; mais peu à peu quelle pente il faut gravir pendant une ½ heure, c'est désespérant ! Le chemin est vertical et ... au bout de ce temps, Jules nous déclare qu'il s'est trompé de chemin ! Voilà une contrariété ! Je ne veux pas redescendre ! se tant fatiguer pour rien ! Au bout de 10 mn, Jules vient après mille explications nous dire qu'il faut redescendre mais il est si navré ; puis ce repas nous a remis que nous ne lui en voulons pas et redescendons sans plaintes des pentes énormes. Heureusement le vrai chemin est moins raide, le grand plateau gazonné au dessus de la croix est encore long et fatigant.

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Enfin à 4 h ½ arrivons au 1er sommet du Moucherotte, environ 1800 m, d'où la vue dédommage amplement de toute fatigue ! Le Mont Blanc étincelant de blancheur avec une couronne de nuages ! Le Taillefer splendide, les montagnes de Belledonne ! Beaucoup de beaux glaciers ! Enfin une superbe vue de vallées, celle de l'Isère, de Grésivaudan, du Drac et de la Romanche. Toujours Grenoble à nos pieds. Vizille avec son magnifique château en face de nous ; au dessous de nous Claix avec le Pont-de-Claix ! C'est féerique ! Restons une heure au sommet de notre Moucherotte, lorgnettes et cartes en mains. Il fait très froid malgré nos pélerines et le soleil, sommes obligés de nous étendre un peu plus bas sur des rochers; Nous dévorons nos poires et, mourant de soif, buvons dans tous les creux de rochers l'eau qui s'y trouve, soit avec les coquilles, soit en aspirant avec des cornets de papier ! 2 heures de descente par les chalets, chemin préférable ! A 7 h ½ à l'hôtel, enchantés de notre expédition ! Une dépêche des Ricard nous annonce qu'ils ne sont pas des notres demain.

Samedi 21 Août 1897    Gorges de la Drevenne     [Carte]

          A 6 h départ tous les cinq avec Anna et Lisbeth pour voir la chute et les gorges de la Drevenne. Temps splendide mais froid. Ce pont de la Goule Noire, ces gorges sauvages ! A 7 h ½ à La Balme. Prenons la route de Rencurel, mettons pied à terre pour visiter la jolie église ; il est 8 h ¼, les enfants tricotent, lisent, babillent, déjeûnent ! Nous remontons le cours de la Delouche jusqu'au col de Romeyère, 1047 m ; plus d'habitation ; à droite un sentier qui, passant par le col de Pertuizan conduit à Méaudre. La route devient plus pierreuse, le gazon y pousse, longeons la Drevenne ; enfin, tout-à-coup, à un tournant, la route qui semblait être une allée, passe dans les gorges.
          La Drevenne tombe de cacade en cascade d'une hauteur de 150 m ; la route en encorbeillement, le précipice effrayant au dessous ; des rochers s'étant détachés, la voie est encombrée, on la répare. Vue sur la vallée de l'Isère du côté de l'Albenc ; voyons St Gervais et Rovon dans la plaine. Descendons jusqu'à des ruines, il est 10 h ¾. A pied jusqu'au pont au dessous de la dernière cascade. La hauteur du chemin que l'on vient de faire est inouï ! Prenons de l'eau à un torrent et remontons près des maisons en ruines dans lesqualle nos chevaux ont trouvé un abri, pour nous installer pour déjeûner. Nous sommes très bien sur une prairie en pente, à l'ombre de noyers. Notre déjeûner est royal et digne d'avoir été préparé par Mme Achard : saucisson, beurre, thon mariné, pâté, poulet, veau, fromage, gateau de savoie, fruits ; puis Anna nous offre fruits confits et chocolats à la crème ! La gaîté et l'appétit marchent à l'unisson ! Après le déjeûner retournons boire au torrent ! Départ à 1 h ½ ; route très intéressante ; quelle hauteur de notre route suspendue contre le rocher ! A 4 h moins ¼ à la Balme, de l'air malgré le soleil beaucoup moins chaud qu'à Pont-en-Royans. on se rafraîchit et l'on repart pour Villard. Ces gorges de la Bourne toujours plus belles ! A 6 h moins ¼ à Villard ; tandis que les fillettes cherchent des paniers, un vieil ivrogne s'approche de la voiture, fait à Lisbeth une histoire d'étoile des glaciers à propos de fleurs. Libeth garde son sérieux et riposte ; mais quand, saluant Benjamin, il s'incline en l'appelant baron, comte, marquis, prince et lui dit :"votre moustache devient vert-de-gris", nous pouffons tous de rire. A 7 h moins ¼ nous arrivons à l'hôtel où m'attendait la plus grande des surprises ! Alfred m'écrit que Louise est à St Joseph jusqu'au 8 septembre ! Quelle joie pour tous ! J'en suis toute heureuse.

Dimanche 22 Août 1897   

          Temps splendide, messe avec chant de la passion, prône, etc. ; beaucoup de monde, Lily ne trouve des places qu'à grand peine ! On publie encore les nouvelles sur la place de l'église ! malles à faire ! dernier déjeûner sous la véranda, il fait chaud. A 2 h aux vêpres, à 2 h ½, tout est fini, même la bénédiction qui se donne après le simple chant du tantum. En courant chez nous, le ciel est tout gris, il tombe des gouttes. orage très fort, pluie diluvienne, tonnerres, éclairs. Nous regardons partir les diligences, c'est très amusant. A 6 h allons faire nos adieux aux Drujon, ils sont décidés à ne pas partir demain pour la Chartreuse s'il pleut, nous, au contraire, pensons partir à cause des Albert. Retour avec une pluie torrentielle, tonnerres, éclairs, la nuit est noire ; chaque éclair nous montre un chemin changé en torrent. Après un changement de chaussures indispensable, dîner des adieux avec les fillettes. Loulou ne voulant pas coucher seule à cause de l'orage, Benjamin prend son lit et Adèle vient dans mon lit.

Lundi 23 Août 1897    Lans / Grenoble / Voreppe / St Laurent-du-Pont / Saint Pierre-de-Chartreuse (?)   [Carte]

          Lever à 4 h ½ ; petite pluie fine. Partons néanmoins sans les Drujon ; adieux aux fillettes ; laissons Adèle et Béatrix dans notre lit. Adieux aux Achard et aux Repellin ; avec Benjamin assis sur le 1er banc du train de plaisir, aussi, malgré la pluie, jouissons-nous du coup d'œil de cette belle route, des gorges d'Engins ; le Furon est grossi considérablement par l'orage d'hier soir ! Un petit garçon se mouille sur le petit banc devant nous ; Benjamin lui donne son capuchon, nous l'enveloppons dans la couverture.
Excellent déjeûner chez Ripollin, place Grenette, nous nous régalons, des croissants exquis et de bons petits pains au beurre. Nous n'étions plus habitués à pareil festin. Vu la pluie, visitons Grenoble, la cathédrale N.D., l'église St André renfermant le tombeau de Bayard, l'une et l'autre peu remarquables. Pour le coup, la bibliothèque magnifique ; le musée de peintures, beaucoup de tableaux de grands maîtres ; puis le Palais de Justice d'une très belle architecture, les plafonds et sculptures en bois de certaines salles splendides du XVIIème. Enfin allons au retaurant Dreveton sur la place Grenette, près de l'hôtel Mornet au 1er. Nous y mangeons bien ! Enfin nous prenons à nouveau une nourriture convenable !
          Au Grand Hôtel, trouvons notre landau de Repellin et partons à 1 h pour la Grande Chartreuse par Voreppe. Il ne pleut plus, le temps est assez clair malgré le ciel gris. La montée de Voreppe au col de la Placette, déserte et jolie ; des cascades de tous côtés. A St Laurent du Pont, prenons un café et repartons. A peine rentrés dans le désert, la pluie commence ; à partir du pont de St Bruno, il faut fermer le landau. Enfin ½ heure avant l'arrivée pouvons ouvrir le devant. Arrivée à 6 h ½, trouvons Marie et Lily, quelle joie de nous retrouver ! Sommes seulement avec deux dames pour dîner dont une très gentille. Mangeons le poulet apporté pour Clairette, ce qui n'offusque pas la sœur. Albert et Benjamin viennent après souper, qu'il est bon de se retrouver en famille ! Beaucoup de voyageurs arrivent jusqu'à 9 h du soir !

Mardi 24 Août 1897   La Grande Chartreuse / Le Sappey-en-Chartreuse / Grenoble   [Carte]

Lever à 5 h ½, temps splendide. Avec Marie et mes filles à la messe des P. Chartreux à 6 h ½ ; usages particuliers. Très nombreux à déjeuner puis jolie promenade avec nos messieurs aux prairies de Chartronsette. A midi monde fou à table, on se succède, nous comptons 130 personnes. Il fait si chaud que nous nous reposons après dîner. Au moment de partir, à 3 h, rencontre des Drujon et de Léon qui arrivent, enthousiasme ! On se revoit volontiers ! mais les adieux succèdent à la chaleureuse rencontre. Retour charmant, le Chamechaude magnifique. Arrêt à l'hôtel du Désert à St Pierre de Chartreuse, prix de la pension, 9 fr., et en dessous, position agréable. Route très agréable au milieu des forêts de sapins ; la route s'élève à 1300 m au col de la Porte puis descente sur le village du Sappey à 1000 m d'altitude sur un plateau élevé. Hôtel Jay, pension à 6 fr, mauvais esprit ; on en construit un nouveau, l'hôtel Jail qui parait être mieux, mais le Sappey ne nous ravit pas. En voiture descendons sous le fort St Eymard, avec vue sur la vallée de Grésivaudan, très belle.
          Mettons 3 h ½ de la Gde Chartreuse à Grenoble sans arrêt. Au Grand Hôtel ; les Albert arrivent à 8 h ; dîner tous ensemble. Nous avons appris, par une carte de Clotilde à la Gde Chartreuse, la mort inopinée de notre dévoué et excellent curé, Mr Pin, c'est foudroyant.

Mercredi 25 Août 1897    Grenoble / Vizille / Le Bourg d'Oisans / La Grave   [Carte]

          Tandis qu'Albert et Marie courent les magasins, nous nous levons tranquillement ; déjeûnons tous les 8 ensemble puis, à la gare, on se sépare, n'ayant pu se mettre dans le même compartiment ; Vizille où nous prenons le tramway à vapeur de Bourg d'Oisans ; la route n'a rien d'extra, très resserrée, montagnes très arides. Bourg d'Oisans, position très laide mais beaux hôtels ; déjeûner à celui de l'Oberland français ; départ en landau à 1 h, temps très nuageux et incertain ; il faut à tous moments mettre nos capuchons, la couverture, la toile cirée à cause de la pluie, puis ouvrir les ombrelles, nous découvrir à cause du soleil.
          Route bien intéressante, toujours dans les montagnes dévastées. Sentier très curieux descendant de Mons, suivons deux personnes descendant ces lacets aériens avec la lorgnette. Voyons de la glace naturelle prise aux glaciers suivre des fils aériens pour être transportée. Cascades innombrables, La Grave me ravit et m'enchante ! Je ne croyais pas que ce fut si beau ! Ces glaciers de la Meije decendent très bas ! Quelle envie d'aller y passer une saison ! L'hôtel de la Meije a des pensions à 7, 8, 9 fr. Villard de Lans moins bien posé. Enfin l'immense glacier de l'Homme, il fait froid, descendons pour nous réchauffer. Ces glaciers blancs forment un contraste saisissant avec les montagnes d'ardoise qui les entourent. Arrivons à Lautaret à 7 h, 2075 m d'altitude. On nous met à une petite table avec une dame anglaise fort gentille du reste ! Il fait froid ; un grand poële chauffe la salle.

Jeudi 26 Août 1897    La Grave / Lautaret / Galibier / Valloire / St Michel de Mne / St Jean de Mne / Grenoble    [Carte]

          Quel froid la nuit ! le froid aux pieds me réveille ! Lever à 4 h ½, pas un nuage au ciel, c'est trop de bonheur !

Les acensionnistes s'ébranlent, un jeune homme avec son piolet est prêt à partir. A 5 h ½ montons en voiture, il fait bien froid, car nous sommes à l'ombre longtemps. Les glaciers du Rateau et de l'Homme, du massif du Pelvoux, magnifiques ! Nous essayons de marcher, notre essoufflement est tel qu'il nous faut tous remonter en voiture, plus tard les enfants vont cueillir des marguerites et de très jolis plumets gris.
En 2 h au col du Galibier, 2645 m. La vue très étendue du côté de Briançon, bornée des autres côtés, pas un glacier ! La route passe sous un tunnel, en sortant encore plus jolie surprise est le sommet du Mont Blanc qui montre sa croupe naigeuse en face de nous ! Nous avons de la glace de tous côtés ! Mais quelle dévastation ! un vrai chaos et toujours cette terre grise ! Nous longeons la la Valloirette.
A Valloire descendons, visitons l'horrible église. La coiffure des femmes singulière, elles portent des ailes de cigale en auréole tout le tour de la figure, les femmes les ont blanches, les jeunes filles noires, les petites filles grises. Enfin nous revoyons des arbres, ce sont des mélèzes ! deux hôtels, celui de Valloire et du Galibier a des étrangers, il ne serait pas mal. Marchons pour nous réchauffer, la montée n'est pas raide. A partir du fort du télégraphe, descente rapide en lacets dans une belle forêt de mélèzes sur Saint Michel de Maurienne qui est à nos pieds dans la vallé de l'Arc étroite et encaissée ; nous y sommes à 11 h ½ ; à l'hôtel de la gare, un déjeûner nous attend, des officiers des chasseurs alpins déjeûnent dans la même salle.
           Prenons le train à 1 h, il arrive de Madame quelques stations au dessous. Suivons la gracieuse vallée de l'Arc ; St Jean de Maurienne avec sa grande église est la seule ville importante. Voyons un crétin qui nous envoie des baisers ; beaucoup de femmes avec la même coiffure et un très joli costume avec veste assortie à la jupe, un corselet, une ceinture, tout cela avec des couleurs voyantes. Un jeune homme monte dans notre train, il est accompagné d'une famille entière ; nous apprenons à la station d'après par sa conversation avec une amie l'attendant, qu'il avait été à bicyclette avec Valentine jusqu'à Albertville, n'étaient rentrés qu'à midi pour le train d'une heure et que sa tante les avait grondés. Passons dans la vallée de l'Isère. Claire lit tout haut ce qui se rapporte à la route que nous suivons, ce qui amuse trois personnes âgées se trouvant dans notre compartiment.
          A Grenoble à 7 h ; achats de friandises chez Durand, place Grenette. Dînons au restaurant de l'hôtel, puis, de notre chambre, voyons les danses d'une noce, le groupe des nouveaux mariés, les jeunes filles en bleu, en rose, etc.

Vendredi 27 Août 1897    Grenoble /St Georges de Commiers / La Mure / Corps  [Carte]

          Beau temps, c'est merveilleux ! A 8 h 45 en gare, y rencontrons Mme Lions et ses trois filles allant à Annecy. Nous prenons le train jusqu'à St Georges de Commiers, là celui de La Mure, féérique, c'est un petit St Gothard. on s'élève au-dessus des profondes gorges du Drac, puis, à force de zig-zag, de tunnels, de viaducs superposés, de rampes très raides, on s'élève jusqu'à La Motte-les-Bains, joli oasis de verdure, enfin jusqu'à La Mure ! Ce chemin de fer n'est pas assez vanté ! En arrivant, en omnibus pour l'hôtel du Nord où, à la même table que d'autres pélerins y compris un ecclésiastique, nous commençons notre déjeûner avec du cervelas, quand une dame nous rappelle que c'est vendredi. Installés tous les cinq sur une diligence, à l'abri du soleil, nous faisons de la Mure à Corps de 1 h à 4 h, un trajet délicieux. Pentes très fortes, parties assez vertes. Le Mont Aiguille et l'Obion sont les deux plus remarquables. Nous traversons la gorge profonde de la Bonne pour suivre celle non moins profonde du Drac. Un garde-vayer nous cite les noms des villages.
          A Corps, il nous faut descendre de l'impériale de notre diligence devant une tablée de sous-officiers du génie. On nous attelle un petit vis-à-vis avec rideaux. Nous partons à 4 h ½, des mules nous traînent. Jolie route. Décidément ces côtés sont moins arides que je le disais ! Pente extrèmement raide ; il nous faut mettre pied à terre un moment, c'est trop raide et trop pierreux ; d'ailleurs 3 mules et 2 hommes usant leurs poumons à crier, font marcher la voiture si bien que nous arrivons après 2 h ½ de route. Il est 7 h. Nous arrivons avec deux voitures publiques, autrement point de pélerinage. Après un très maigre souper à la basilique où les Pères font la prière à haute voix, puis instruction et salut. La chapelle est bien ornée, espérons que N.D. de la Salette nous bénira et accordera toutes les grâces que nous lui demandons.

Samedi 28 Août 1897    Corps / La Salette / Corps / La Mure   [Carte]

          Lever à 6 h ; à la chapelle à 7 h ; nous y trouvons Benjamin ; après nous être confessé, notre bon missionaire vient nous donner la communion ; après la messe de 8 h et le déjeûner, allons sur les lieux de l'apparition fort touchants, y faisons le chemin de la croix, puis montons à la petite chapelle de l'Assomption ; tous les pélerins se promènent ; allons dans l'allée horizontale qui fait le tour du mamelon ; montons jusqu'à la croix. Enfin, après quelques achats, nous nous asseyons à 11 h à l'endroit de l'apparition et entendons l'intéressant récit. Le ciel tout gris nous favorise. Décidément La Salette n'a pas cet aspect sévère que le souvenir de 1864 m'en avait laissé. Le trésor est de toute beauté : un ostensoir évalué à 135000 fr, un calice tout aussi beau, une croix en diamants qu'on met à la Vierge pour les grandes fêtes ; ces jours-là, la Ste Vierge a une parure de 300000 fr.
          Après un petit déjeûner, partons à 1 h moins ¼, après une discussion entre Benjamin et un cocher qui voulait nous mettre une personne étrangère dans notre voiture. En route, notre cocher nous dit que nous avons fameusement bien fait de refuser la personne en plus : c'était l'abbé de 120 k. ! Il devient la cause de notre hilarité jusqu'au soir ! En redescendant une ondée épouvantable qui nous fait prendre Claire dans notre voiture ; les autre pélerins se sont trempés !
          Un arrêt à Corps, puis, à 3 h, départ dans un petit break avec deux personnes étrangères; Il fait très chaud, le soleil est resplendissant. Rencontre des 25 voitures amenant les pélerins parisiens à La Salette. A 6 h à La Mure ; la famille avec l'abbé précepteur couchera aussi à notre hôtel du Nord. Allons faire une enquête pour l'heure des messes ; au couvent, pas d'heure convenable, à la paroisse, messe à toutes les heures ; horrible église, la nouvelle n'est pas ouverte encore. Dînons avec l'abbé, la dame, le jeune homme et la petite fille à la même table. L'abbé et le jeune homme font une orgie d'écrevisses. Loulou et Mlle Marguerite bavardent comme deux pies. Claire, placée entre le jeune homme et l'abbé, a toutes les prévenances de l'abbé. je monte faire coucher les enfants, c'est un fou rire continuel sur l'abbé. Claire s'attend à le voir paraitre pour l'embrasser dans son lit. C'est une comédie ! Si l'on sort pour aller au WC, on rencontre l'abbé.
Orage violent, passons la soirée dans la chambre des 3 fillettes qui sont couchées.

Dimanche 29 Août 1897    La Mure / Vizille / Uriage / Grenoble   [Carte]

A cause de l'orage d'hier soir, renonçons au départ matinal. A la messe de 9 h de l'abbé en question. Le temps se découvre, partons à 10 h en petit break découvert pour Vizille ; ne mettons qu'une heure et ½, allons vite. Très jolie route, d'abord en droite ligne pendant 5 km, puis la vue des trois lacs de Pierre-Châtel, de Pétitchet, enfin le plus grand de Laffrey, fort joli ; tout est vert, boisé ! c'est très gracieux ! Avant la grande descente, vue étendue sur Grenoble, Uriage, Vizille.
En arrivant allons au château pour le visiter. Il est beau, beaucoup de beaux meubles anciens, mais aussi beaucoup de modernes, vu que Mme Perrier, la mère de l'ex-président, l'a en partie démeublé en le vendant à Mr Imbert. Elle ne l'a vendu, dit-on, que 5 à 600000 fr. Nous rencontrons Mr et Mme Imbert avec leurs trois invités qui avaient failli empêcher la visite du château. Promenade du Dauphin peu intéressante.
Départ à 1 h en tramway à vapeur de Vizille-ville pour Uriage où nous faisons, au restaurant du Rocher, un excellent déjeûner, dehors, sous une tente, devant la partie vitrée d'un salon où chantent des jeunes filles ; l'une d'elles a une belle voix ; nous entendons un doux mystère, Les Dragons de Villars. Plus loin, des messieurs jouent aux cartes, c'est sérieux et très silencieux. Après une petite promenade dans le magnifique parc, laissons l'ascension au château d'Uriage à Mr Allemand et prenons la tramway à vapeur pour retourner à Grenoble par Gières ; joli trajet. Après avoir dépouillé notre courrier à l'hôtel, appris que le chat était repêché dans le puits de La Viste, allons chez les Pères Jésuites entendre un sermon et recevoir une bénédiction. En courant prenons une glace, puis à la place de la Halle pour recevoir les enfants. Attendons une heure la diligence et, à son arrivée, quelle mystification ! Adèle toute souffrante dans les bras d'Eléonore ! Quel ennui ! C'est un gros embarras d'estomac : sa langue est très blanche, mais avec cela, elle est gaie. Notre tournée avait trop bien réusssie ! Voici les soucis !

Lundi 30 Août 1897    Grenoble / Valence / Orange / Avignon / Tarascon

          Excellent et dernier déjeûner au Grand Hôtel où nous nous sommes trouvés très bien. Partons avec Léon d'Astros qui, lui aussi, a couché hier soir au Grand Hôtel et se rend chez jeanne Richard. Benjamin a acheté en gare un déjeûner tout préparé que nous nous distribuons avant d'arriver à Valence, c'est un moment très amusant pour les enfants ; Adèle avale un consommé. Notre changement de train se fait très facilement grâce au wagon qui nous est réservé. A Orange Léon nous quitte. Nous sommes à 3 h à Avignon où Louise nous attend avec Alfred et Raymond.
          Après l'effusion des premiers moments, nous allons prendre des glaces chez un très bon confiseur, c'est Louise qui nous régale, biscuits exquis. Tandis qu'Alfred et Louise vont faire des achats pour leur école de St Geniès, allons au S.C., les uns à pied, les autres en voiture. Marie d'Azambuja nous fait un chaleureux accueil, Mme Merlat aux enfants, les Corenson viennent nous rejoindre puis, vers 6 h, prenons la direction de notre restaurant Crillon où nous avons commandé un dîner. Nous y sommes très bien, dans un jardin, séparé des autres tables par la verdure. On est tout heureux de se retrouver en famille ! Les Corenson nous accompagnent en gare, mais le train rapide part avec ¾ d'heure de retard, c'est-à-dire à 9 h ½. Nous sommes tous casés mais dispersés.
          Peu après notre départ, nous recevons une grêle de pierres venant battre contre les glaces, les brisant, etc. Le train stoppe et nous voilà environ 2 km avant Tarascon en détresse ! On s'informe, les messieurs descendent du train, c'est la bielle de la locomotive qui s'et cassée ; basculant en arrière, elle nous a envoyé cette grêle de pierres ; si elle avait basculé en avant, nous déraillons. Pendant une heure, nous restons dans l'attente ; enfin une locomotive arrive de Tarascon, nous marchons avec une lenteur désespérante ! Cet accident nous occasionne un retard de 3 heures, il est 1 h ½, nous ne savons quel parti prendre pour passer la nuit.

Mardi 31 Août 1897   

          Trouvant en gare l'omnibus de Bagany, nous prenons tous nos bagages et partons pour La Viste. Le cocher nous dit qu'Alfred et Isabelle étaient venus nous attendre en gare ainsi que les trois commis de Benjamin. Arrivons à 3 heures, sonnons par derrière tout doucement, mais tout le monde est sur pied, Alfred, Clotilde, Isabelle, etc. Nous apprenons la mort subite d'Auffrère qu'on enterre ce matin à 8 h ; voilà ce que les commis venaient apprendre ! Ce pauvre Benjamin se couche pour deux heures.         

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