Deux lettres de Barthélemy Albert Fine à sa fille Marie (Mimi) (1866-1945)  


Marie était bénédictine. Son père, Barthélemy Albert, vécut de 1833 à 1899.

Marseille le 28 Février 1891

Ma chère Mimi
C'est hier matin en quittant la maison pour mon bureau que j'ai trouvé dans la boîte la lettre si détaillée sur la belle journée du 10.
Vite de rentrer au salon avec la chère missive et de la dévorer des yeux avec ta mère et tes sœurs. Te dire combien je suis content de te savoir si bien dans ta vocation, et si heureuse, ma chère enfant, est difficile à exprimer, moi qui désirerait vous voir tous les dix aussi heureux que toi, moi qui reconnait que c'est bien difficile en vivant au milieu du monde. Je fais ce que je peux auprès de ta sœur et d'Albert, et quoique leurs désirs soient bien modérés, comme je ne peux pas les satisfaire, je crois qu'ils en souffrent, cette souffrance ou plutôt cet état moral se manifeste par des heures d'ennui et un certain dégoût de la vie. Il faut avouer que les journées sans occupations sérieuses et intellectuelles sont bien longues pour Marthe, Thérèse, Albert, Marthe lit, Thérèse peint.
Oh chère Marie, si la situation d"un père de famille aussi favorisé que moi dans ses enfants est pleine de consolation, elle n'est pas exempte de soucis pour ses chers enfants que j'aime plus que moi-même.

Toi du moins, tu ne me donnes plus des soucis et, sans t'en douter peut-être, tu m'as procuré de bien douces consolations. Pourquoi ne te l'avouerai-je pas, N. Seigneur a daigné faire rejaillir sur moi un peu de cette joie si pure, dont il a été si prodigue envers toi le jour de ta profession. Jamais je n'avais éprouvé tant de consolation au sortir de la Ste table que le dimanche de la quinquagésissime et le mardi 10 février. J'avais lu la veille avec un grand intérêt le détail de la touchante cérémonie de la profession et je disais à N. Seigneur : Souvenez-vous que je suis le père de celle qui se donne à vous sans réserves, et il s'en est souvenu, quels délicieux moments j'ai passé là ; mais aussi comme j"avais souffert de n'avoir pas pu me rendre à ton appel si pressant. Enfin le Bon Dieu a pansé lui-même mes blessures et c'est un fameux médecin.

En même temps que ta lettre, nous avons reçu la caisse annoncée contenant ta couronne de roses et de lys. Les fleurs séches si artistement disposées sur un papier représentant la décoration de ton lit, celles séparées que tes sœurs se sont partagées comme souvenir, les 2 petites brochures avec la feuille détachée, envoi de Mme Jaubert pour les Henri, enfin tes lunettes que ta mère a changées pour d'autres avec des verres nouveaus, et que je t'envoie aujourd'hui dans un étui en fer blanc.

Ta couronne que nous ferons mettre sous verre nous rappelera ta présence si nous en avions jamais besoin. A son arrivée notre Paulette qui est on ne peut plus curieuse a posé cette couronne sur sa tête en souvenir de Mimi, elle avait l'air d'un petit chérubin avec ses longs cheveux bouclés tombant sur ses épaules. Nous lui parlons souvent de toi et je crois que vous auriez bien vite refait connaissance si les circonstances le permettaient.

Toutes ces joies spirituelles, ces satisfactions de famille n'emportent pas tous les soucis de ma situation, je suis chargé et surchargé, avec des embarras financiers provenant surtout des tristes affaires en soie que je ne puis plus liquider. Pourtant, comme il est probable qu'Albert ne restera pas soldat si je pouvais lui laisser une industrie un peu plus lucrative ! Je vais continuer la fabrication des réglisses, en portant la fabrique en ville où je réaliserai des économies impossibles à St Marcel. Je lui dois cette dernière tentative pour lui permettre de s'établir un jour comme il le désire, mais j'ai renoncé à la Loubière.

Quant à ma santé, je suis toujours sous le coup d'une blessure interne qui nécessiterait une opération des plus douloureuses pour laquelle, quoiqu'endormi, j'ai peu d'attrait.
A cette nouvelle, notre chère Carmélite, cet ange gardien de la famille, m'a écrit pour m'en dissuader et m'a envoyé de l'huile de la Ste [ill] en grande vénération au Carmel, en m'annonçant une neuvaine pour ma guérison. Quoique je souffre encore pas mal, je vais pourtant mieux et nous irons probablement à la Sumiane Dimanche. Je suis entièrement entre les mains de Dieu.

Adieu, reçois mes plus tendres embrassemants.
A. Fine
Thérésine insiste pour te remercier en son nom de ton souvenir, elle est bien dévouée.


Lettre d'Albert à Mimi du 12 Août 1895

Marseille le 12 Août 1895

Chère Mimi
J'ouvre la lettre de ta mère pour venir m'associer aux souhaits qu'elle t'envoie à l'occasion du 15 août.

Les tiens, chère amie, me sont arrivés le 6 au soir mélés avec les fleurs qui m'ont été offertes et ont eu le même parfum. Je deviens bien vieux pour espérer de vous être conservé longtemps encore, dans tous les cas je conserverai l'affection de tous mes enfants sans que l'éloignement ait pu amoindrir la tienne.

Mes souhaits pour toi sont tous de l'ordre spirituel, car quels biens pourrais-tu désirer encore ? Comme Marie de l'Evangile tu as choisi la meilleure porte. Je demanderai donc à N/Seigneur le 15 août qu'il te fasses goûter les jouissances qu’un époux peut procurer à son épouse, tandis qu’à nous, il nous aime comme un père, et nous n’entrons pas aussi intimement en relation avec lui. C’est de toute justice car nous n’avons pas tout quitté pour lui.

Je ne puis pas te promettre d’aller te voir, mais si Albert entreprend le voyage d’affaires que j’ai en vue, je te l’enverrai en précurseur, et tu jugeras toi-même quel bon garçon il est ; et si Xavier réussissait ses examens pour Saint Cyr, il deviendrait presque ton voisin.

Adieu, chère et tendre enfant, reçois les plus affectueux embrassements de ton bien dévoué père.
A. Fine