Lettre du 24 Mai 1927 du Frère Journoud   

24 Mai 1927 - Lettre du F. Journoud qui relate les derniers moments du Frère Edouard Fine
(destinataire inconnu)

13 RUE SARENTE                                                       Lyon, le 24 Mai 1927

                                               Mon Révérend et bien cher Frère,
S.C.
Vous avez reçu coup sur coup deux télégrammes : c'est la manifestation avec laquelle s'est précipitée la fin du cher Frère Fine.
Rien d'anormal dans son état jusqu'à mercredi. Il nous avait encore fait les cas de conscience dimanche soir : nous avions remarqué, en cette occasion, un peu plus de faiblesse dans la voix, et ce cher vieillard, qui depuis toujours se plaignait de l'affaiblissement de sa vue, avait montré seulement un peu plus de peine à se lire. Les trois jours suivants, il [ill.] , comme de coutume, à son confessionnal de St Bonaventure. Toutefois, mardi, il me dit que sa surdité augmentait, et qu'il ne croyait pas pouvoir en conscience, continuer à entendre les confessions dans une église. Alors je lui proposai de se réserver pour la confession des M N. dans une sacristie et je lui parlai même d'aider pour la confession des élèves. Le F. Fayols demeure seul avec 450 enfants à confesser, pendant que le F. Michel se repose à Mongré.

Jeudi matin, le P. eut de la peine à arriver au bout de sa messe : il se brouilla après la consécration et se trouva indisposé pendant son action de grâces. Ce fut le premier symptôme révélateur de quelque chose d'insolite. Je le condamnai à la chambre (il fallut y aller de l'autorité, tant il entendait suivre, en toutes choses, la règle). A part un léger dérangement d'entrailles et un peu de lourdeur de tête, il disait n'éprouver aucun mal.

La nuit de jeudi à vendredi fut pénible ; insomnie, grande faiblesse et surtout oppression. Je lui donnais la Ste Communion à 5 h ½. Je fis venir le Docteur au petit jour. Il constata une affection pulmonaire mal caractérisée : congestion ou pneumonie, mais surtout la faiblesse du cœur l'inquiéta. Il me dit que l'état était très sérieux. C'est alors que j'écrivis à Madame Salles la lettre qu'elle a du recevoir ce matin. Mais je pensais pouvoir attendre midi pour donner l'Extrême Onction au cher malade, en présence de toute la communauté.

Malgré la piqûre d'huile camphrée que lui fit le docteur, le Père eut une syncope à 8 heures du matin. En hâte je lui administrai l'Extrême Onction en présence des quelques frères qui se trouvèrent libres à ce moment. Il avait toute sa connaissance, répondit aux prières. Puis je le remerciai au nom de la Communauté, et spécialement de T.R.S [ill.] des services qu'il lui avait rendus et de la très grande édification qu'il avait partout et toujoutrs donnée. Il a répondu : "Je demande pardon de tous les mauvais exemples que j'ai donnés et des torts que j'ai pu faire" — "Mon bon Frère, répliquai-je, nous n'avons vu, en tous cas, que vos bons exemples, et nous en gardons le fidèle souvenir".

Après quoi, le cher malade parut se plonger dans un grand recueillement. A 10 heures et ½, tandis que le Frère Gilles et le Frère Roujol arrangeaient un peu son lit, il eut une seconde syncope. On m'appelat aussitôt ; je n'eus que le temps de lui donner une absolution et de recevoir son dernier soupir. Ce fut un simple petit cri suivi d'un souffle. Le cœur s'était arrêté.

Pendant ces dernières heures, le cher Frère montra un calme et une paix parfaite. Je ne crois pas qu'il ait souffert, ni physiquement ni moralement. Il garde sur sa physionomie son indéfinassable expression de paix souriante. Le docteur Mollard dit à quelqu'un qu'il rencontra au sortir de sa dernière visite au malade : "Le Frère Fine est un saint !". Tout le monde a souscrit à ce témoignage.
Sa sœur et ses parents seront grandement consolés par ces détails que je vous écris à la hâte. Notre communauté fait en sa personne une perte irréparable. Nous avions si bien senti l'honneur et le profit que nous avions de recevoir ce trésor que Rome nous rendait.
En union de N.S. bien vôtre en N.S.

signature F. Journoud