23 Septembre 1863 - Lettre de Ed. de Bouchaud à Albert Fine (1807-1887)  

23 septembre 1863 - Réponse d'Ed. de Bouchaud, responsable à l'école Notre Dame de Mongré de la Congrégation des Pères jésuites, à Albert.
Il confirme la vocation d'Edouard et incite Albert Fine à inscrire Edouard au noviciat dès la fin de l'année au lieu de la faire attendre un an.

Monsieur,

Je dois avant tout vous dire tout mon regret d'avoir laissé votre lettre sans réponse jusqu'à ce moment. J'ai été dérangé ces jours-ci par des soins plus multipliés qui ne m'ont pas laissé le temps d'écrire.
Quant à l'objet sur lequel vous voulez bien me faire l'honneur de me consulter, voici ce que je crois pouvoir vous dire en toute assurance. Il est évident que vous êtes parfaitement dans votre droit quand vous pensez à soumettre à une cetaine épreuve, bien modérée assurément, la résolution qu'a prise votre cher Edouard de quitter le monde.

Toutefois, je dois ajouter que vous pourriez, sans imprudence, lui donner, à la fin de cette présente année, l'autorisation qu'il vous demande. Vous ne feriez en cela que ce qu'ont fait bien des parents chrétiens, qui n'ont pas cru qu'une année passée au sein de la famille fût indispensbale pour apprécier la solidité de la vocation de leurs enfants à la vie religieuse, et qui n'ont pas eu lieu de regretter d'avoir souscrit en ce point au pieux désir de ces mêmes enfants.

La vocation d'Edouard est à mes yeux une question claire comme le jour. Depuis, je crois, six ans, que ce cher enfant est plus près de nous, nous l'avons vu grandir en sagesse en même temps qu'en âge, sans que chez lui les heureuses dispositions dont il était animé, se soient démenties un seul jour.

Je ne puis donc douter que Dieu ne lui eût parlé au cœur. Je suis intimement persuadé que, s'il doit en effet rester pendant un an dans sa famille, non seulement cette mesure ne portera aucune atteinte à sa résolution, mais, au contraire, elle n'aboutira qu'à la fortifier. Aussi la plus grave objection que je prendrai la liberté de soulever contre cette mesure, est-elle son inutilité même et la crainte qu'il n'en résulta pour Edouard une contrariété qu'il saura supporter, je n'en doute pas, avec la soumission convenable, mais qui sera peut-être nuisible à sa santé.

Quelle occupation, quel genre de travail trouverez-vous à votre fils, qui puisse l'intéresser assez pour le distraire un peu de ses aspirations ? N'a-t-il pas eu occasion de faire, pendant les vacances de chaque année, une expérience bien suffisante des douceurs de la vie de famille ? Les connait-il si peu qu'il soit vraiment indispensable de la soumettre, sous ce rapport, à une épreuve prolongée ? Edouard n'est pas de ces enfants à imagination vive et ardente et dont la volonté tourne comme le vent ; et pour dire ma pensée devant Dieu, je ne puis pas admettre la supposition qu'une fois engagé, il éprouve jamais le moindre repentir d'avoir pris ce parti.
Voici des considérations, Monsieur, que je prends la liberté de vous soumettre. Je ne l'aurais point fait si vous n'aviez bien voulu m'autoriser à cette ouverture.

Edouard ne saura point que je me suis occupé de lui dans cette cisconstance. Il sait, le cher enfant, que je l'aime beaucoup, mais il ne se doute pas que je le vénère comme un ange, et j'ai toujours évité de sortir, avec les enfants qui me sont confiés, des bornes de la plus scrupuleuse discrétion. Je suis peut-être encore plus refermé avec ceux qui m'inspirent plus d'intérêt.
Il ne me reste, Monsieur, qu'à prier N.S. qui aime et qui bénit votre famille, de vous donner, ainsi qu'à Madame Fine, la lumière et le courage dont vous aurez besoin pour discerner et accomplir la volonté de Dieu sur vous et sur les chers enfants qu'il vous a donnés.
Veuillez croire à mes entiments les plus respectueux et les plus dévoués.
Mongré, le 23 9bre1863
Ed. de Bouchaud